Berlinale 2020 – Panorama: Cidade Pássaro (Shine Your Eyes), du réalisateur brésilien Matias Mariani
Cidade Pássaro (Shine Your Eyes) dont la traduction littérale signifie ville aux oiseaux – commence comme un documentaire, filmant les rues et les immeubles d’une grande ville, les passants, les commerçants, les livreurs, les rues et les magasins de la ville qui s’animent en matinée. Le musicien Amadi (Okechukwu Ukeje, connu sous le nom O. C. Ukeje) n’a plus eu de nouvelles de son frère aîné Ikenna Igbomaeze (Chukwudi Iwuji) depuis longtemps. Il voyage du Nigéria vers la métropole brésilienne de São Paulo, où Ikenna, doué pour les mathématiques, est censé travailler comme professeur dans un institut technologique – du moins, c’est ce qui est indiqué sur la page d’accueil de l’institut, Universidade Govenant chega a São Paulo: son portrait et son titre trônent aux côtés de celui de Miro Kuzko (Paulo Andre). Mais non seulement il n’y a aucune trace d’Ikenna, l’institut n’existe même pas. Avec le soutien de son oncle et de l’ex-amant d’Ikenna, et en possession des mystérieuses notes et calculs de son frère, Amadi part à la recherche de son frère.
Deux frères nigérians. L’un, le plus jeune, vient chercher le plus âgé, disparu dans la grande ville. Le cadet suit les traces laissées par son aîné dans un jeu de pistes, rencontre des gens. Selon la tradition africaine, le plus âgé est le soutien de famille, la lumière des yeux de la mère, ce qui ne cache pas sa préférence pour lui. Le plus jeune en pâtit et en souffre. Il se retrouve dans un salon de coiffure tenu par son oncle avec il converse en igbo. Puis, dans un cybercafé, il demande à la caissière de voir un ordinateur parmi d’autres, posés sur une étagère. La caissière lui indique que cet ordinateur a été déposé pour réparation il y a longtemps mais que personne n’est venu le reprendre : «quatre-cents reais !» Après avoir allumé l’ordinateur qu’il a reconnu comme étant celui de son frère, Amadi ouvre plusieurs fichiers, se retrouvant avec plusieurs fenêtres simultanément. Il y découvre des selfies de son frère avec un jeune homme barbu et blond, et des documents sur les courses de chevaux dont Ikenna est féru. Amadi découvre, au fur et à mesure qu’il ouvre des fichiers, que les références professionnelles de son frère auprès de la soit-disant université sont fausses : il s’agit d’une institution publique. Amadi se rend aux courses de chevaux et mise sur un cheval gagnant; partageant sa joie avec un autre spectateur, il découvre que c’était un proche de son frère.
Au fil de son enquête, Amadi découvre que son frère se fait appeler Charlie et a effacé son passé. Quand il raconte le fruit de ses recherches à son oncle, celui-ci s’exclame : «Je ne le défends pas mais la famille a mis trop de pression sur lui. Ils veulent à tout prix de ce mariage avec la femme avec laquelle Ikenna est fiancé depuis cinq ans et votre mère lui met la pression pour qu’il épouse afin de ne pas perdre la face devant la société. Ikenna porte son fardeau.» Dans des moments de solitude, Amadi réécoute des messages de sa mère à son frère aîné : « Ikenna, mon fils aîné ! Mon coeur ! Mon amour ! » On comprend ici le poids de la tradition, du rôle dans la société nigérianne et les attentes des membres de la communauté. Puis Amadi rêve, se voyant courir enfant avec son frère sur le chemin terreux de l’école.
Ainsi, au fil des recherches et des pérégrinations d’Amadi dans les rues et les quartiers de São Paulo, Matias Mariani fait voyager les spectateurs à travers Cidade Pássaro, leur faisant découvrir des merveilles de l’architecture de la métropole : on croit y reconnaître l’Edifício Sampaio Moreira, l’Edifício Copan, Edifício Itália et le majestueux, le Theatro Municipal de São Paulo en plein concert symphonique.
Au fil des pistes qu’Amadi suit – le numéro de téléphone de son frère auprès de son opérateur, les annonces d’emploi postées sur internet, l’ex-petite amie, Amadi mème une recherche assidue digne d’une enquête policière. Tel un fin limier, Amadi croit reconnaître son frère au coin d’une rue. L’architecture, moderne, en cours de restauration, joue un rôle crucial dans Cidade Pássaro et en devient un protagoniste à part entière. Amadi étant musicien, la musique est omniprésente : musique traditionnelle de la région d’Anka, une zone de gouvernement local de l’État de Zamfara au Nigeria, musique brésilienne du type foro, composition moderne.
Tourné au format écran 4: 3, le premier long métrage du réalisateur brésilien Matias Mariani est une exploration énigmatique qui opère à plusieurs niveaux. La tradition familiale nigériane, dans laquelle le premier-né joue un rôle primordial, est étudiée aux côtés de l’architecture avant-gardiste de São Paulo, de la vie professionnelle et des rêves des immigrants de la ville et de la communication entre Amadi et les Brésiliens, qui doivent d’abord trouver un langue commune; la danse et la musique en seront les premières. Les mathématiques, l’étude de la résonance et la musique, signée Flemming Nordkrog, jettent un pont fragile entre les cultures.
Dans la présentation de son film Cidade Pássaro dans la section Panorama de la Berlinale, le réalisateur et co-scénariste Matias Mariani a évoqué sa relation avec la ville de São Paulo. Une ville bigarrée et multiculturelle où toutes les communautés immigrées se côtoient et une ville devenue emblématique des Brésiliens nordestinhos (de la région du Nord-Est brésilien).
« Lorsque vous y êtes, vous vous sentez comme un étranger, avec un sentiment d’appartenance. São Paulo peut être beaucoup, et c’est certainement un mélange sauvage. Le film est né avec ce sentiment. »
Shine Your Eyes – titre international – révèle le Brésil à travers les yeux étrangers. Le film, partiellement parlé en anglais, dense et très riche, présentant des strates multiples, au bénéfice d’une magnifique photographie signée Leonardo Bittencourt.
Cidade Pássaro, du réalisateur brésilien Matias Marian, film co-écrit avec Chika Anadu, Francine Barbosa, Júlia Murat, Maíra Bühler, Roberto Winter, est l’un des treize représentants du long métrage du cinéma brésilien – dix-neuf titres au total, en comptant les courts métrages – à la Berlinale 2020. Ce vendredi, Marco Dutra et Caetano Gotardo, réalisateurs du film brésilien en compétition Todos os mortos (All the Dead), sont allés rendre hommage à leur compatriote et collègue de Panorama. Ricardo Alves Jr, co-directeur, avec Grace Passô, de Vaga Carne, une autre réalisation brésilienne du festival, étaient aussi présents dans le public. Il est de notoriété publique que Berlin a toujours été le festival international le plus réceptif au cinéma brésilien.
Après avoir été diplômé de la NYU Tisch School of the Arts, Matias Mariani a beaucoup travaillé en tant que producteur dans des films tels que Fish Dreams (Semaine de la Critique à Cannes), Drained (Sundance), Adrift (Cannes, Un Certain Regard). Peu de temps après, Matias Mariani a commencé sa carrière de réalisateur avec She Dreamed That I Died, qui a remporté le prix de la meilleure réalisation au Festival international du film de Paulínia (ville brésilienne de l’État de São Paulo.) et au Festival international du film de Viña Del Mar. En 2014, Matias a sorti le long métrage I Touched All Your Stuff, qui a été présenté en première mondiale au FID Marseille et a remporté le prix du meilleur montage au Festival international du film de Rio de Janeiro, ainsi qu’une sortie en salles au Brésil et aux États-Unis. Récemment, Matias Mariani a écrit le long métrage Pendular, réalisé par Julia Murat, nommé meilleur film au Festival international du film d’Abu Dhabi, et fait ses débuts fictifs avec Cidade Pássaro (Shine Your Eyes), récemment intégré à Cine Qua Non Lab, le programme de laboratoires de scénaristes au Mexique.
Cidade Pássaro (Shine Your Eyes) s’inscrit pleinement dans «le programme Panorama, emblématique de l’urgence de l’action politique et de la désobéissance civile. Les cinéastes et les protagonistes se dressent contre les autorités », souligne le nouveau chef de cette section Michael Stütz.
De Matias Mariani; avec O. C. Ukeje, Chukwudi Iwuji, Indira Nascimento, Paulo Andre, Ike Barry, Okechukwu Ukeje ; Brésil, France; 2020; 102 minutes
Firouz E. Pillet
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