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Berlinale 2021 – compétition : Guzen to sozo (Wheel of Fortune and Fantasy) du japonais Ryusuke Hamaguchi remporte l’Ours d’argent – Grand Prix du jury

Les films précédents du cinéaste japonais, Asako I & II (2018) et Happy Hour (2015), se déclinaient sous la forme du roman, fleuve même pour le dernier cité, puisqu’il durait 317 minutes. Guzen to sozo se rend sur le terrain de nouvelle, avec pour sous-titre à La roue de la fortune et de la fantaisie (Wheel of Fortune and Fantasy) : Nouvelles de Hamaguchi. Le film est structuré en trois parties qui factuellement n’ont rien à voir les unes avec les autres, si ce n’est un axe commun, celui de tourner autour d’un personnage féminin ; les trois parties sont elles-mêmes divisées en trois actes. Le cordon ombilical de Guzen to sozo est le thème de la coïncidence qui fait déraper la réalité. Aucune des trois histoires dans leur entier n’est probable ; c’est ce qui fait le charme de ce film tout en délicatesse, où les situations banales sortent de la piste de la réalité pour entrer dans une matière plus floue qui reflète les états intérieurs de leurs protagonistes.

— Fusako Urabe, Aoba Kawai – Guzen to sozo (Wheel of Fortune and Fantasy)
© 2021 Neopa/Fictive

Le premier épisode, intituté Magic (or Something Less Assuring)  [La magie (ou quelque chose de moins rassurant)] se déroule entre deux amies mannequins, Meiko (Kotone Furukawa) et Tsugumi (Hyunri), cette dernière racontant sa rencontre et son premier rendez-vous avec un jeune homme. Pendant la discussion, Meiko réalise que son ami parle de Kazuaki (Ayumu Nakajima), son ex-petit ami avec lequel elle a rompu il y a plus d’un an. Les « mots qui caressent » comme le dit Tsugumi peuvent aussi être des claques. Hamaguchi propose deux fins à cet épisode, la première romanesque destructive, celle de la première impulsion, suivie par une seconde réaction, celle de la fin socialement correcte qui rejoint probablement la réalité.
Le second épisode, Door Wide Open (Porte grande ouverte), implique un professeur d’université d’une cinquantaine d’années, Segawa (Kiyohiko Shibukawa), qui vient de remporter un prix littéraire au grand dam de Sasaki (Shouma Kai), son ancien étudiant qu’il avait renvoyé. Pour se venger, il envoie son amante Nao (Katsuki Mori) piéger le professeur, professeur qui toujours garde la porte de son bureau grande ouverte. Nous ne raconterons pas cette partie sulfureuse qui rebondit dans une direction inattendue, et sans dévoiler la fin, on remarquera tout de même la petite flèche décochée envers la société japonaise et sa représentation des femmes en son sein, encore très traditionnelle : quand Sasaki et Nao se reverront pas hasard dans un bus quelques années plus tard, il s’avère que le cancre est devenu éditeur dans une grande maison d’édition alors que la férue de littérature se contente d’être correctrice chez un éditeur.
Le troisième épisode, Once Again (Encore une fois), nous entraîne dans un temps parallèle où en 2019, Xeron, un virus informatique mondial, a fait fuiter toutes les informations et communications. Résultat :  tout le monde reçoit tous les courriels de ses contacts. Le monde se met donc hors-ligne et revient au bon vieux système du courrier postal et du télégraphe. Natsuko (Fusako Urabe) est une ingénieure informatique et se retrouve au chômage technique. Elle se rend dans sa ville natale pour une réunion d’anciennes camarades de classe. Le lendemain, sur le chemin de la gare, elle tombe par hasard sur la personne qu’elle était venue voir dans cette réunion, mais qui n’y était pas présente. Nana (Aoba Kawai) semble également troublée et enchantée de la rencontrer. Elles se rendent chez Nana pour leurs retrouvailles, mais au milieu de leur conversation, la situation prend un tournant déterminant.

Chaque épisode a ses qualités propres – le premier est le plus rocambolesque, le deuxième le plus éloquent sur la société sans merci, le troisième le plus éthéré – mais le cinéaste japonais nous parle beaucoup dans ce recueil de nouvelles cinématographiques d’amour, de regrets, de convenances, de la contingence des choses ; il interroge la mémoire et ce que l’on y enfouit et distille quelques punchlines poétiques comme celle où Nana dit : « chacun peut avoir un trou à l’intérieur qui ne peut être rempli, mais on peut être connecté à l’autre par le même trou. »

Ces saynètes deviennent hypnotiques et c’est à regret que l’on quitte cet univers lorsque le générique nous ramène au nôtre. Comme nous enjoint Ryusuke Hamaguchi à l’évocation de son film :

Je vous en prie, prenez plaisir à être surpris par l’imprévisibilité du monde.

De Ryusuke Hamaguchi ; avec Kotone Furukawa, Kiyohiko Shibukawa, Katsuki Mori, Fusako Urabe, Aoba Kawai, Ayumu Nakajima, Hyunri, Shouma Kai ; Japon; 2021; 121 minutes.

Malik Berkati

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