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Black Movie 2025: le festival a projeté La libertad de Fierro pour aborder la question de la (sur)vie après l’enfermement. Rencontre avec Santiago Esteinou et César Fierro

Après avoir été présenté au TIFF 2024 en première mondiale puis dans les festivals de Zurich et de Morella, le dernier documentaire du cinéaste mexicain Santiago Esteinou est présenté à Genève et fait suite au documentaire Los años de Fierro (2014) en racontant la reconstruction de la vie du mexicain César Fierro retrouvant la liberté après quatre décennies de prison.

La libertad de Fierro de Santiago Esteinou
Image courtoisie Black Movie

En février 1979, un chauffeur de taxi a été assassiné à El Paso, au Texas. Une enquête bâclée et partiale implique César Fierro, un jeune homme de vingt-deux ans de Ciudad Juárez. Pour lui faire avouer, ils arrêtent ses parents et menacent de les torturer. César, intimidé, plaide coupable et est condamné à la peine capitale. S’ensuit quatre décennies de confinement et de solitude absolue à l’unité Polunsky de Livingston, au Texas, avec une peine capitale fixée puis reportée dix-sept fois.

César Fierro a passé la majeure partie de son existence dans cette fameuse unité Allan B. Polunsky, une prison où l’on maintient des êtres humains dans un isolement total pendant des décennies, les privant de tout contact physique avec d’autres personnes et où les gardiens se déchaînent sur les détenus leur infligeant des traitements qui dépassent l’entendement.

Après quarante ans dans ce couloir de la mort texan, il est enfin redevenu un homme libre et doit maintenant reconstruire sa vie et réapprendre le sens du mot liberté…

Le réalisateur Santiago Esteinou et César Fierro se sont rencontrés en 2009 lors du tournage de Los años de Fierro sorti en 2014. Grâce à ce documentaire consacré à la trajectoire de César et à sa mise à l’isolement arbitraire, le cinéaste mexicain permet au public de prendre conscience des conditions auxquelles César a survécu. Les deux hommes ont entretenu une correspondance pendant près de quinze ans. Puis, en 2020, en pleine pandémie, César a miraculeusement été libéré à quelques heures de l’exécution fatidique. Comme il n’avait nulle part où aller, Santiago l’a hébergé quelques semaines dans sa famille, avant que l’ancien détenu ne se rende à Ciudad Juárez, sa ville d’origine située dans le nord du Mexique. Sa ville natale qu’il ne reconnaît pas tant elle a changé en quatre décennies !

C’est là que commence véritablement son long chemin vers la guérison et la reconstruction. Les gestes du quotidien, l’intégration des avancées technologiques, les rencontres, tout est un obstacle à surmonter…

Présenté durant le Festival Black Movie, La libertad de Fierro retrace l’épopée d’une libération physique et mentale bouleversante. C’est ce qu’a enregistré Santiago Esteinou dans son documentaire Los años de Fierro, de 2014, qui n’a pas été diffusé publiquement pour ne pas gêner la défense juridique de César et « qui aurait pu précipiter son exécution » comme le souligne le cinéaste les larmes aux yeux : « C’est à ce moment, face à cette épée de Damoclès qui menaçait la vie de César, que j’ai réalisé l’impact de mon rôle en tant que cinéaste. »

— César Fierro – La libertad de Fierro
Image courtoisie Black Movie

Lorsqu’il travaillait dans les champs du Nouveau-Mexique comme journalier récoltant des légumes, César Fierro a l’avenir devant lui. Le jeune homme surnommé « El guapo » (beau) par les filles, selon son frère Jorge, son corps maigre, sa peau lisse et foncée brûlée par le soleil des champs, ses cheveux noir charbon qui lui arrivaient jusqu’aux épaules et son visage avec une moustache appartiennent à de lointains souvenirs d’une vie volée.

A soixante-sept ans, le crâne rasé, la barbe grise et les hésitations de quelqu’un qui réapprend à vivre, arborant un bonnet flanqué d’un drapeau suisse pour surmonter le froid hivernal qui règne dans la Cité de Calvin, César Fierro raconte, avec un calme et une humilité qui imposent le respect, son histoire.

Santiago Esteinou, votre film La Libertad de Fierro a été présenté au Festival de Toronto en septembre 2024 et est projeté actuellement au Festival Black Movie. Comment en êtes-vous arrivé à l’histoire de César Fierro et quand vous est-il paru intéressant de réaliser un premier film, Les Années de Fierro, qui a désormais un deuxième titre, La liberté de Fierro ?

Ma rencontre avec César a commencé en 2009, je vivais à Philadelphie où j’étudiais le cinéma. On a beaucoup parlé de l’affaire Avena, où le Mexique poursuivait les États-Unis en justice pour violations des droits de plusieurs personnes condamnées à mort. Je devais présenter un projet de documentaire à l’université et j’ai eu l’idée de le faire sur l’affaire Avena. Le cas Avena compte cinquante sous-cas. Il était impossible de faire un film avec cinquante protagonistes. J’ai dû me concentrer sur un seul. J’ai obtenu un résumé des cinquante cas et là j’ai appris l’histoire de César Fierro et j’ai décidé de voir s’il me donnait une interview. C’est le début de Los años de Fierro, un film qui dépeint l’injustice juridique dans son cas. D’une manière générale, César est contraint d’avouer un crime qu’il n’a pas commis ; Ils arrêtent sa mère et le menacent, lui disant que soit il signe, soit ils s’en prendront à elle et à son beau-père. Il est condamné à mort et, bien qu’il parvienne à prouver qu’il a été contraint de s’incriminer, il lui faudra quarante ans pour retrouver sa liberté. C’est à ce moment-là que nous avons pensé qu’il fallait faire une deuxième partie. J’ai choisi ce documentaire comme travail de thèse.

Los años de Fierro date de 2014, La libertad de Fierro de 2024, comment vous deux , Santiago et César, le documentariste et le protagoniste, avez-vous vécu cette décennie entre les deux documentaires?

SE : Les Années de Fierro n’a pas pu être projeté pour des raisons liées à la défense de César. Les avocats craignaient que le film ne précipite son exécution, sans qu’ils aient le temps de préparer une stratégie. Au début, César était défendu par un homme extraordinaire, Richard H. Burr, mais il défendait seul le dossier, et du coup il a reçu le soutien d’un grand cabinet new-yorkais, Debevoise & Plimpton, et l’équipe avait plus de moyens.

César Fierro : je dois souligner que dès le premier documentaire de Santiago, mes conditions d’emprisonnement se sont nettement améliorées. La décennie précédente a été un enfer et je ne souhaite pas m’étendre sur tout ce que les gardiens m’ont infligé. Je dirais seulement qu’ils m’ont privé de tous mes effets, y compris mes habits, même en hiver. Ils m’ont privé de repas et venaient, en pleine nuit, quand j’essayais de dormir, me jetaient du gaz lacrymogène en plein visage. Mais, à force, le corps s’habitue et je ne réagissais même plus aux jets de gaz au point que les gardiens croyaient que j’étais mort. Dès le premier documentaire de Santiago, les gardiens m’ont rendu mes habits et me donnaient à manger. Ils ont commencé par me donner des médicaments en me disant : « C’est une pilule miracle, tu vas te sentir mieux et tes problèmes vont disparaître. » Le travail de Santiago a permis à mes conditions de vie en prison d’être meilleures.

César, la correspondance que vous avez entretenue durant quinze ans vous a permis de garder espoir malgré l’annonce des dates successives d’exécution ?

CF : Avant d’échanger avec Santiago, je faisais des exercices dans ma cellule pour ne pas devenir fou. Mais surtout, je me remémorais les chansons de mon enfance et je les chantais, cela me reconnectait avec la vie extérieure, avec mon enfance et ses souvenirs. Une fois le contact régulier avec Santiago, par lettre ou en visite en prison, les gardiens ont changé d’attitude à mon égard. Je sentais qu’ils voulaient être irréprochables comme ils savaient que Santiago préparait un film.

SE : Nous continuions à garder contact avec César par lettres. J’étais très proche de leur équipe de défense, à un moment donné ils m’ont demandé de les aider à leur présenter certaines personnes que je connaissais grâce au film et qu’ils voulaient interviewer à des fins juridiques. Un jour, l’avocat m’a dit : « César va au Mexique et je ne connais personne d’autre que toi ; aide-moi !», et je suis ravi de la vie que j’ai pu lui proposer.

Santiago, le premier documentaire est un film journalistique, où vous racontez le cas de César et les injustices qui ont été commises contre lui ; le second se concentre sur le témoignage d’un homme libéré et qui cherche à se réinsérer dans la société. Peut-on dire qu’il existe différentes stratégies du documentariste ?

SE : Dans certains films qui traitent de personnes ayant été en prison, la partie judiciaire ou criminelle nécessite une construction importante du discours. Mais après tant de temps, nous avons pensé laisser cela de côté et nous concentrer sur la façon dont vit une personne qui sort de prison. Nous ne voulions plus nous concentrer sur le juridique ou le pénal. César est désormais libre, c’est une nouvelle étape de sa vie et il fallait voir les défis qu’il allait relever. Nous avons eu le privilège d’accompagner quelqu’un qui faisait face à cette aventure et qui nous a permis de l’enregistrer. C’était un énorme privilège.

Santiago, dans La libertad de Fierro, vous accompagnez César à Ciudad Juárez, vous enregistrez ses contacts avec ses amis, sa famille, ses désaccords, comment il essaie de se faire une vie; est-ce plus compliqué d’avoir cette caméra qui le suit ?

SE : César et moi avions déjà convenu que nous ferions ce film s’il sortait de prison. Je savais déjà que cela allait arriver. Et aucun de nous ne l’a vraiment remis en question, il fallait le faire et nous l’avons fait.
Il arrive aussi que lui et moi passons beaucoup de temps ensemble, sans caméra. Je vois César plusieurs fois par semaine, il fait presque partie de ma famille. Nous vivons tellement ensemble que peut-être la caméra ne se ressent pas autant, finalement elle est habituée à cette coexistence.

La libertad de Fierro de Santiago Esteinou
Image courtoisie Black Movie

César, comment s’est passé votre retour au Mexique ? Et votre retour dans votre ville natale ? On vous y perçoit déçu …

CF : Quand ils m’ont libéré, je n’y croyais pas: mon exécution devait avoir lieu quatre heures plus tard. Ils m’ont amené à la frontière et m’y ont déposé sans argent. J’ai pu emprunter un téléphone à un représentant des cartels pour cent pesos et j’ai appelé le numéro d’un avocat dont je me souvenais. Mes avocats étaient horrifiés qu’on m’ait laissé sans rien à le frontière. Ils ont tout de suite acheté un billet d’avion pour j’aille à Mexico City. Je n’avais aucun endroit où aller et Santiago et sa famille ont proposé de m’héberger. Depuis cinq ans, j’y suis toujours (rires) et je suis très reconnaissant à Santiago, à ses parents et à sa sœur qui prennent soin de moi.
Juste après ma libération, je suis retourné dans ma ville, à Ciudad Juarez mais la ville avait tellement changé que je n’ai rien reconnu. Je n’avais plus aucun repère et j’éprouvais un immense désenchantement.

Vous êtes l’ami de César, mais vous êtes aussi l’homme à la caméra, dirait Dziga Vertov. Pourquoi ajouter ce personnage-documentaire ?

SE : Cela influence également le fait que les personnes qui réalisent le film sont ses amis. César Axel Pedraza, Javier Campos, José Miguel font partie du cercle social le plus important de César.

Au début, il y avait un montage du film où je n’apparaissais pas et ça n’a pas marché. J’ai résisté parce que cela m’a donné toute la honte du monde. Je suis d’ailleurs très nerveux à chaque projection de mon film dans les festivals. Ensuite, nous sommes allés avec le monteur Javier Campos à un atelier de documentaire en Grèce et cela a été quinze jours de lavage de cerveau pour moi. Ils nous ont convaincus que je devais être présent, sinon on ne comprendrait pas à qui César parlait, ni où il habitait, ni qui l’accompagnait à Juárez.

Le portrait que le film présente de Ciudad Juárez attire l’attention, César découvre une autre ville et le désenchantement de César survient. Comment la ville s’intègre-t-elle dans le contexte du personnage ?

SE : César a quitté Ciudad Juárez en 1979, à cette époque c’était un endroit avec beaucoup de vie, il m’a dit que les boîtes de nuit étaient ouvertes 24 heures sur 24 et César chantait avec son cousin dans un groupe musical. Ils vivaient de fête en fête et passaient de très bons moments. Je pense que c’était choquant pour lui d’arriver dans une ville qui a vécu ce qu’il a vécu, comme la violence de la guerre contre la drogue. Confronté à cette réalité choquante, il avait en tête qu’il se rendrait dans cette ville frontalière qui était un lieu de divertissement. Et maintenant, nous avons une ville qui subit encore cette triste violence que nous vivons dans le pays.

CF : Quand on m’a incarcéré, la ville de Ciudad Juarez vivait la nuit, on s’y amusait. La ville d’aujourd’hui est devenue très dangereuse et c’est le fief des cartels qui y font la loi. Il y a aussi beaucoup de corruption au sein de la police. Cela est accentué à cause de la situation avec la frontière et les nombreux passages de migrants.

Santiago, Comment votre équipe, qui est assez réduite, a-t-elle vécu cette expérience aux côtés de César ?

SE : Je trouve admirable leur implication auprès de César. Je suis très reconnaissant envers mon équipe, Axel m’a soutenu avec César pour porter plainte ; l’épouse de Javier Campos est militante aux États-Unis et nous a soutenus dans nos efforts pour que César vienne au Mexique. Mon équipe a été incroyable sur ce projet et a fait des choses qui ne relevaient pas de sa responsabilité. En tant que réalisateur, vous ne pouvez qu’être reconnaissant d’avoir une équipe comme celle-ci.

César, que pensez-vous du cinéma ?

J’ai eu une jeunesse frontalière, de longues années de réclusion, et ces années qu’on m’a prises ne reviendrons pas. Ce sont des années perdues à tout jamais. Je m’habitue à la vie à Mexico City avec Santiago et sa famille, avec ses proches. Je sors et mon groupe d’amis est composé de gens qui font des films.

SE : Je pense que César suppose que c’est quelque chose qui lui est arrivé. Il ne se pose pas trop de questions, c’est drôle parce qu’il lisait quand il était en prison, et à sa sortie il m’a dit : « Je ne veux plus lire, je veux juste regarder des films et des séries. » C’est dommage qu’il ne lise plus, mais il aura droit à ce qu’il veut. Il a reconstruit sa vie, créé son propre espace. C’est un privilège de voir qu’une personne qui sortait et n’avait pas de téléphone portable à la main, qui ne savait même pas allumer la télévision, qui était condamnée à être seule, parce que ce qu’il y a de terrible dans son histoire, c’est la punition implicite de la solitude forcée, il n’a eu aucun contact avec aucun autre être humain sauf par lettre, et du coup on le voit créer son propre cercle social, qui a ses amis, c’est enrichissant.

Durant l’interview, le téléphone de César sonne …

CF : Excusez-moi ! C’est une alarme pour me rappeler de prendre mes médicaments. Je dois en prendre à vie. Mon corps a récupéré de ces années d’enfermement et n’a, étonnement, pas trop de séquelles. Mais ma tête ne va pas bien. On m’a emprisonné quand il n’y avait que des téléphones fixes et des cabines téléphoniques, la télévision en noir et banc. Je ressors et il y a la télévision en couleurs, internet, et tout le monde a un téléphone, voire plusieurs. Santiago m’a offert un premier téléphone puis un deuxième alors que je ne sais pas quoi faire avec le premier, je ne sais pas comment l’utiliser. J’utilise l’alarme pour me rappeler mes prises de médicaments (rires).

César, qu’avez-vous pensé de La libertad de Fierro ?

CF : Je m’y sens bien représenté. Il y a des moments qui me rendent triste, évidemment. Le lendemain du visionnage, je n’arrivais pas à dormir, le film me faisait réfléchir. J’espère que le public réalise que, au moment où il voit le film et au moment où je vous parle, il y a des innocents, comme moi, qui attendent dans le couloir de la mort. Le système judiciaire américain diffère d’un état à l’autre : il y a le couloir de la mort fédéral et les couloirs de la mort de chaque Etat. Joe Biden a gracié les personnes qui attendaient leur exécution dans le couloir de la mort fédéral mais il n’avait aucun moyen d’intervenir pour les couloirs de la mort de chaque Etat. Chaque Etat décide ce qu’il veut. Dans mon cas, j’ai été condamné au Texas et même quand on a prouvé que l’enquête avait été bâclée et orientée, je restais dans le couloir de la mort car une fois condamné au Texas, le juge ne revient pas sur le jugement.

SE : Comme moi, César espère que le film parviendra à rendre visible son histoire et qu’il pourra obtenir justice, sur la base de la recommandation du CNDH (Conseil national des droits de l’Homme, accrédité de statut A auprès des Nations Unies; n.d.l.r), et aussi que le dossier soit ouvert.

Dans quelle mesure un film comme La libertad de Fierro peut-il contribuer à faire avancer les questions de justice, comme celle à laquelle César Fierro est toujours confronté ?

SE : Les films ne créent pas d’activisme à eux seuls, ils sont un outil que les militants et les avocats peuvent utiliser pour atteindre un objectif, mais je n’ai jamais aimé m’attribuer un crédit qui ne m’appartient pas. Le cinéma permet de raconter une histoire. Quand on voit César à l’écran, on a beau écrire à quoi ressemble son personnage, tant qu’on ne le voit pas, on ne comprend pas qui il est. En ce sens, il peut servir d’outil, mais le travail de lutte pour les droits de l’homme est réalisé par d’autres personnes et non par des documentaristes.

CF : C’est grâce au groupe d’avocats qui ont œuvré, pro bono, pour ma défense et ma libération que j’ai pu sortir du couloir de la mort. Je leur en suis très reconnaissant. Mais il faut savoir que la direction des prisons fait ce qu’elle veut. Par exemple, dans ma prison, ils s’étaient engagés et avaient accepté la venue de Santiago à qui j’avais écrit que je me réjouissais de sa venue. Au dernier moment, ils ont appelé mes avocats pour dire que Santiago avait renoncé à venir. Quand mes avocats ont vérifié auprès de Santiago, celui-ci était surpris. Mes avocats ont découvert que la prison décidait et changeait à leur convenance ce qui avait été décidé.

Santiago, si on inclut Mukí Sopalírili Aligué Gawichí Nirúgame (La femme d’étoiles et de montagnes, 2023), sur Rita Patiño, une femme indigène mexicaine, vos trois films ont-ils à voir avec ces confinements ?

SE : Ce sont en fait deux histoires, bien qu’il s’agisse de trois films, mais ils partagent cela en commun. Ce qui m’a permis de faire le film de Rita, c’est qu’il soulevait beaucoup de questions sur ce qui allait advenir de la vie de César. Nous ne voulons pas que l’histoire de Rita se répète. De retour au Mexique, la vie de Rita n’a pas été facile, le gouvernement l’a laissée perdue, si sa nièce ne l’avait pas secourue, sa vie aurait été un désastre. Dans ce cas, si on ne fait pas quelque chose pour César, si on n’exige pas que ses avocats aient un plan bien fait, la même chose arrivera. C’était la leçon de Rita. Nous ne voulons pas du même film avec Fierro, faisons en sorte qu’il ait une fin moins tragique.

— César Fierro – La libertad de Fierro
Image courtoisie Black Movie

Au-delà des films de Fierro, ce qui reste le plus important pour vous, c’est votre protagoniste, César …

SE : Bien sûr. Si nous n’avons pas projeté Los años de Fierro, c’est pour cela que nous avons donné la priorité à César. Les gens qui se trouvent dans le documentaire ne sont pas des acteurs, ce sont des gens de chair et de sang, et leurs intérêts passent avant ceux du film. C’est une leçon qu’il ne faut pas oublier, l’humain doit passer en premier, et encore plus dans le cinéma documentaire.

L’affaire Fierro est la pointe de l’iceberg de beaucoup de choses, une approche de nombreuses erreurs du système judiciaire, mais aussi de la migration. Comment les migrants sont traités d’un côté de la frontière, comment ils sont traités de l’autre, que fait le Mexique avec la population migrante qui arrive dans ce pays. Parce qu’au Mexique, il doit y avoir des gens dans des conditions si injustes, qui viennent du sud, c’est donc une invitation à remettre en question l’application de la justice dans les deux pays.

Sandra Babcock qui dirige le programme d’assistance juridique de la capitale mexicaine, précise :

SB : Financé par le gouvernement mexicain, le programme fournit une aide juridique aux ressortissants mexicains accusés de crimes capitaux ou qui attendent d’être exécutés aux États-Unis. Je pense à cet homme de trente-huit ans originaire du Maryland qui est à l’avant-garde de l’utilisation du droit international comme stratégie anti-peine de mort depuis plus de dix ans. Au début des années 1990, j’ai été l’un.e des premiers avocat.es de la défense à utiliser la Convention de Vienne dans une affaire passible de la peine capitale.

Grâce à votre histoire, César Fierro, on peut s’interroger sur la liberté en vous suivant dans votre retour à la vie libre. Peut-on se réinsérer dans le monde, comment soigner les séquelles invisibles de l’emprisonnement ?

CF : Je ne conserve pas de haine pour les personnes qui m’ont fait cela, cela ne sert à rien. Je ne veux plus y penser et passer à autre chose. Je suis libre, bien entouré par Santiago et ses proches. Je l’accompagne dans les festivals pour présenter son film, pour parler de mon expérience, pour échanger avec le public. Mais si mon corps est libre, mon esprit est toujours enfermé. J’ai perdu mes années de jeunesse. Dans ma tête, je suis un jeune homme … de soixante-sept ans ! Après quarante ans en prison, je ne trouve pas de travail. Comment vivre sas argent ? Je regarde vers l’avenir que j’ai devant moi.

Ainsi César conclut-il en souriant notre entretien et en nous remerciant de notre intérêt pour son histoire en nous donnant un incroyable leçon d’humanité !

La table ronde intitulé « Survivre à l’emprisonnement » qui a eu lieu le dimanche 19 janvier 2025 a réuni Santiago Esteinou, réalisateur et César Fierro (ex-condamné à mort) avec l’une de ses avocat.es, Sandra Babcock.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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