Cannes 2019 : « Chambre 212» de Christophe Honoré
En habitué de la Croisette, Christophe Honoré avait présenté l’an dernier en compétition Plaire, aimer et courir vite sur la tragédie des années sida à travers l’histoire d’amour entre deux hommes, récompensé finalement par le Prix Louis Delluc 2018.
Son nouveau film, Chambre 212, présenté dans la section Un Certain Regard, nous invite dans un appartement parisien de la rive gauche. Une femme, la quarantaine, prend sa douche au milieu de la journée. Son mari, début cinquantaine, arrive et sétonne qu’elle se douche à cette heure puis il lui dit qu’il va lancer une machine. Elle, c’est Maria (Chiara Mastroianni), lui, Richard (Benjamin Biolay).
Alors qu’il est en train de remplir le tambour de la machine et de vider les poches des habits de sa femme, il y trouve son téléphone qu’il pose précautionneusement sur une étagère. Mais le téléphone ne cesse de vibrer : il finit par y jeter un coup d’oeil et découvre que, via un SMS qui ne laisse guère place au doute sur la joyeuse partie de jambes en l’air qui a eu lieu l’après midi, sa femme le trompe.
A la fois abattu et indigné, il lui demande des explications quant à son infidélité; Maria de lui répondre : « Après vingt ans de mariage, tous les couples ont des coups de canif dans le contrat. ». Elle lui avoue qu’elle a eu des dizaines d’amants depuis leur mariage. Outré de la réponse de Maria, il lui rétorque qu’il ne l’a jamais trompé.
Il lui adjoint de partir pour réfléchir. Elle ne part pas bien loin puisqu’elle décide d’aller s’installer pour la nuit à l’hôtel, de l’autre côté de la rue. Elle a ainsi pleine vue sur leur appartement et peut observer Richard. Mais à peine arrivée dans cette chambre 212, elle reçoit une étrange visite : son mari lorsqu’il avait vingt-cinq ans (Vincent Lacoste). Ils se mettent à parler de leur relation, du temps qui passe, de la routine inéluctablement associé à l’usure des sentiments, de l’érosion de la passion.
Christophe Honoré est un ovni dans le paysage artistique français. A l’héritage multiple de diverses influences,i l y a en lui un soupçon de Sacha Guitry (il écrit ses films et ses pièces) et un brin de Patrice Chéreau – il multiplie les mises en scène, au cinéma, au théâtre et à l’opéra, et une pointe de Woddy Allen pour le côté introspection et thérapies de groupe. Dans son analyse du couple en crise dans le labyrinthe de l’usure des sentiments, Christophe Honoré puise dans le cinéma de Bertrand Blier qu’il magnifie.
A travers la délicieuse et magique introspection amoureuse de Chiara Mastroianni, il place les spectateurs aux premières loges pour observer cette galerie insolite et drolatique de personnages. La mise en scène emprunte au théâtre tout en restant cinématographique le tout étant bien maîtrisé puisqu’il est habitué tant au cinéma qu’au théâtre. Le ton est donné dès le début. Dans ce film ludique et léger, il s’amuse à inverser les schémas classiques : ici, c’est la femme qui trompe un mari fidèle et qui assume, seule, la légèreté et l’infidélité à répétions.
Dans un chassé-croisé sentimental, émouvant et lumineux, Christophe Honoré s’amuse eà faire resurgir des personnes du passé tant de Maria que de Richard, beaucoup plus puisque tous ses anciens amants se retrouvent dans sa chambre d’hôtel alors que surgit le dernier en date, Asdrubal Electorat, son élève à l’université avec lequel elle entretient une relation depuis trois mois.
Surgit aussi la conscience de Maria, qui a la tête d’Aznavour et qui se met à chanter La Mamma suscitant rires et amusement. Sa conscience tente de raisonner cette serial-lover, croqueuse d’hommes. Par le truchement de ces divers personnages qui apparaissent quand on ne les attend pas, le film ouvre des corridors insoupçonnés. L’exercice est tout simplement jubilatoire.
Depuis les films des années 2000 de Christophe Honoré (Dans Paris, Les chansons d’amour, …) on note le culte que le cinéaste voue à la Nouvelle Vague – avec Godard et Truffaut en maîtres à penser et à filmer.
Dans cette chambre d’hôtel plus exigüe, au milieu du quartier parisien de Montparnasse, vont donc défiler , pour notre plus grand bonheur, différents personnages liés à la vie passé ou présente de Maria mais aussi de Richard. En effet, son premier amour, Irène Hafner (Camille Cottin), qui était sa professeur de piano quand il était adolescent revient aussi, une femme dont il se dit qu’il aurait dû l’épouser et faire sa vie avec elle. Toutes ces personnes du passé ont en commun d’avoir, chacune, une idée très précise de ce que Maria doit faire de son couple. Vont aussi ressurgir la mère de Maria, les différents hommes de sa vie ou plutôt d’une nuit voire moins. Quand tous les amants se retourne réunis, sagement alignés face à Maria assise dans son fauteuil, s’en est trop pour Asdrubal qui se croyait l’élu et devient furibond.
Richard, pris de stupeur, envahi par un sentiment de déception, continue à déambuler dans leur appartement. Maria, face à la galerie de personnes rencontrées autrefois, tente de justifier ses choix de vie : la vie extra-conjugale n’aide-t-elle pas plutôt à consolider une relation ? Certains de ses ex s’indignent, sa conscience ne la juge pas mais lui suggère des pistes de réflexion. Son jeune mari (Vincent Lacoste) lui fait remarquer que, même si elle ne s’est pas vu vieillir, elle n’est plus la femme qu’il a connu il y a vingt ans. Dans ce couple en crise, la beauté cruelle des mots que se balancent les protagonistes dans l’intimité de ce règlement de comptes claque aux tympans.
Avec Chambre 212, Christophe Honoré Honoré met tout sur la table de dissection, la dégradation des sentiments et la passion qui s’émousse. Il réussit à parler du sujet le plus sérieux du monde – l’amour – avec un mélange exquis de profondeur et de légèreté.,le passé qu’on ne peut s’empêcher d’enjoliver.
Cette galerie de personnages est brillamment portée par les comédiens : tout d’abord, Chiara Mastroianni qui, dirigée pour la cinquième fois par Christophe Honoré, à l’instar de Catherine Deneuve, sa mère, et de son cinéaste de prédilection, André Téchiné, Chiara Mastroianni a su tissé une relation cinématographique complice avec son réalisateur au fil de leur collaboration. Benjamin Biolay confirme qu’il est talentueux comédien et Camille Cottin, à contre-emploi, ce qu’elle devrait faire plus souvent, nous convainc avec son aisance.
Firouz E. Pillet, Cannes
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