Cannes 2019 : Nuestras madres, premier long métrage du Guatémaltèque César Díaz, déterre le passé douloureux du conflit armé au Guatemala
[EDIT 30.12.2020: Le film ne pouvant sortir sur les écrans suisses pour cause de pandémie, il est visible depuis le 22 décembre sur la plateforme de VoD Filmingo ]
Le film s’ouvre sur une vue aérienne d’une table sur laquelle sont posés les restes d’un squelette humain; os par os, une main gantée pose les pièces manquantes de ce puzzle humain et achève cette macabre reconstitution par le crâne. La caméra dévoile le jeune homme qui est en train de reconstituer le squelette. Le jeune homme ôte ses gants et prend une canette. Tout en se désaltérant, il regarde le squelette posée sur la table puis quitte la salle. On comprend rapidement qu’on se trouve à l’institut de médecine légale de la capitale guatémaltèque.
Ernesto (Armando Espitia), un jeune Guatémaltèque cherche son père disparu pendant le conflit armé qui a opposé entre 1960 et 1996 différentes guérillas marxistes au gouvernement du Guatemala. A travers sa rencontre avec une femme autochtone, Nicolasa (Aurelia Caal), Ernesto découvre que son histoire et son identité familiale sont beaucoup plus complexes, et difficiles à assumer, qu’il ne le pensait.
Le réalisateur César Diaz a trouvé l’inspiration de son premier long métrage, Nuestras Madres, au sien même de sa propre histoire : le père de Diaz, un militant politique, a disparu en 1982 pendant le conflit armé interne au Guatemala.
L’action du film se déroule en 2018 et se concentre sur un jeune anthropologue qui croit avoir trouvé des indices qui l’amèneront à retrouver son père, un guérillero qui a disparu pendant le conflit armé.
Le film ancre son intrigue au coeur des préoccupations de la génération post-conflictuelle au Guatemala. César Díaz raconte sa propre histoire alors qu’il suit l’histoire d’Ernesto, ce jeune anthropologue de l’institut médico-légal, qui travaille à l’identification des personnes disparues, tout en cherchant des réponses à propos de son père, un autre disparu pendant la guerre civile. Les deux histoires, la personnelle et la nationale, se fondent dans ce film tourné dans un pays qui cherche toujours des réponses enfouies sous son sol.
La relation d’Ernesto avec sa mère, Cristina Ramirez (Emma Dib) semblent à la fois intenses et difficiles, passionnées et douloureuses; le film apportera le jour sur les arcanes méconnues de cette relation conflictuelle, méconnues en premier lieu par Ernesto.
Ernesto doit se consacrer au dossier des disparus du cimetière municipal de la capital, un ordre de travail que lui répète sans cesse son chef à l’institut médico-légal. Le jour où Ernesto, sollicité par une femme âgée venue d’un village autochtone pour qu’on déterre les restes de son mari assassiné, décide de se rendre au village pour récolter les témoignages des villageoises qui demandent réparation – 24 00 quezcals – et récupération des corps de leurs disparus afin de pouvoir les enterrer dignement, le jeune homme se fait aussitôt rappeler à l’ordre par son chef qui lui assène : « Les témoignages ne sont aucune preuve légale. »
Tout au long du film, on cerne que le besoin de reconnaissance des victimes et de leurs proches, assassinés durant le conflit armé, dérange encore à et que le pays peine à entendre les témoignages des personnes survivantes et à accepter les demandes d’exhumation des restes de leurs proches.
Quand Ernesto se rend au village de Nicolasa, elle lui raconte comment les guérilleros qui sont venus de la capitale ont enfermé tous les hommes du village dans l’école, les ont torturés avant de les jeter dans une fosse commune avec les bébés et les enfants du village. Puis ils ont violé les femmes avant de repartir.
Comme le précise le cinéaste au sujet de son film :
Celui qui reste a toujours le sentiment que la personne disparue un jour va apparaître, et cette situation est terrible, parce que tu as toujours cet espoir.
Le réalisateur, ne voulait pourtant pas faire un film autobiographique, mais souhaitait partir de ses propres sentiments comme point de départ, d’où un sentiment poignant de véracité et d’authenticité qui imprègne tout le film.
A Cannes, César Diaz a expliqué comment ce film est né :
Je faisais des recherches pour un documentaire et j’ai découvert un village où un massacre avait eu lieu. Ce qui a retenu mon attention, c’est comment les femmes du village, quand vous arrivez et que vous commencez à en parler, vous emmènent sur les lieux du massacre et pour que ce soit réel et que vous n’oubliez pas, vous racontent ce qui s’est passé, ce qui leur est arrivé. Pour moi, la volonté et le courage de ces femmes m’ont donné envie de raconter leur histoire non pas à travers le genre documentaire, mais un personnage qui cherche son père.
Avec pudeur mais avec justesse, le film de César Diaz montre des moments de peur, par exemple, peur de témoigner, peur de trouver, même s’ils veulent trouver. Le cinéaste de souligner à ce propos :
Le Guatemala est un pays qui vit dans la peur parce qu’après une guerre et ce qui s’est passé, vous n’en avez pas d’autre. Vous devez survivre et la peur est ce qui vous fait survivre. Et ce qui est admirable, c’est que ces femmes ou ces gens surmontent leur propre peur pour penser à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes.
A travers ce film, César rend un bel hommage à ces victimes silencieuses, résistantes et résiliantes, qui malgré les ans qui passent et la machine officielle qui boit leurs espoirs comme leurs revendications, restent debout et dignes. Pour représenter l’audition des témoignages que fait Ernesto au village, la caméra de Diaz filme les visages de ses femmes survivantes, silencieuses, parées de leurs robes et de leurs coiffes multicolores qui font ressortir les traits fatigués, les rides de leur visage mais aussi leur regard franc et décidé. Une sé quence qui sera reprise au tribunal lors de l’ouverture du procès tant attendu où la caméra de César Diaz filme le visage de toutes ces villageoises, venues à la capitale, qui siègent sur le premier banc face aux magistrats. Une prise de vue efficace qui en dit plus que n’importe quel mot !
Pour accompagner ces douloureux récits de vies brisées et massacreées, il fallait une musique à la fois discrète et subtile. Rémi Boubal signe la musique de ce film co-produit par la France, la Belgique et le Guatemala.
César Diaz travaille déjà sur un prochain long métrage, un documentaire sur la morgue de la ville de Guatemala et sur une adaptation de Los Jueces d’Arnoldo Gálvez Suárez, roman lauréat du Prix centraméricain Mario monteforte Toledo 2008 et qui présente un conflit actuel, et bien qu’il ne s’y réfère pas directement dans le livre, l’intrigue pourrait se passer dans des pays comme le Guatemala ou d’autres pays en Amérique latine, où le conflit de l’impunité est latent et gangrène la société depuis des décennies.
Le long-métrage Nuestras Madres de César Diaz était en course à la Semaine de la Critique et a été couronné de la Caméra d’or, reçue des mains de Rithy Panh qui ne pouvait qu’être sensible au travail de mémoire et de reconnaissance des victimes effectué par César Diaz, lui qui a consacré toute sa filmographie aux victimes de Pol Pot et des Khmers rouges.
Le film de César Diaz fait déjà l’objet de nombreuses invitations dans divers festivals.
Firouz E. Pillet, Cannes
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