Cannes 2019 : « O que arde » (Viendra le feu), d’Olivier Laxe, ou comment un pyromane enflamme la Croisette
Le dernier fil d’Olivier Laxe, présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019, plonge en immersion totale, « en observation participative » comme aurait dit le sociologue Pierre Bourdieu, dans les vallées reculées de Galicie.
Amador Coro (Amador Arias ), auquel Inazio (Inazio Abrao) voue une haine depuis que Amador a été condamné pour avoir bouté le feu aux forêts avoisinantes, a été condamné pour avoir provoqué un incendie; il sort de prison, personne ne l’attend. Il retourne à pied dans son village niché dans les montagnes de la Galicie où vivent sa mère, Benedicta (Benedicta Sanchez) et leurs trois vaches. Leurs vies s’écoulent lentement, au rythme apaisé de la nature. Jusqu’au jour où un feu vient à dévaster la région.
Rappelons le parcours d’Olivier Laxe, qui avait remporté le Grand Prix de la Semaine de la critique avec son film Mimosas, un film qui suivait les péripéties d’une caravane accompagnant un cheik âgé et mourant à travers le Haut Atlas marocain. Sa dernière volonté est d’être enterré à côté de ses proches. Mais la mort n’attend pas. Les caravaniers, craignant la montagne, refusent de continuer à porter le cadavre.
Moitié galicien, moitié français, Olivier Laxe est resté profondément attaché à la terre de ses parents. Né en 1982 à Paris, Oliver Laxe y a grandi ; ses parents, émigrées espagnols originaires de la Galice , ce que le cinéaste a découverte à l’adolescence, travaillaient comme gardiens d’immeuble dans le XVIe arrondissement. Le réalisateur confie que se parents s’étaient « rencontrés lors d’un bal pour migrants au Bataclan ». Par la suite, il veut devenir cinéaste et part faire des études cinématographiques en Espagne, à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone. En 2006, il s’installe au Maroc à Tanger, ville où la population parle encore espagnoé.
Son dernier film, O que arde recourt à des acteurs non professionnels de la la Galice et s’apparente, dans la majeure partie du film, à un documentaire. Il faut une certaine concentration pour comprendre, ou du moins, de le tenter.
Quand le pyromane rentre chez sa mère, une femme menue et très âgée qui est restée seule à s’occuper du potager et des animaux, on ressent l’hostilité que subit Amador, les ragots que les habitants du visage diffusent à son passage. Pourtant, il a purgé sa peine. La rancune est vivace : ses voisins le reçoivent entre commisération et méfiance. La caméra de Laxe suit de près Amador qui, intialement, décline toute invitation puis tente, peu à peu, de se réinsèrer comme il peut à la routine de la vie villageoise, entre réunion pour partager quelques bières ou un enterrement au cimetière du village.
Sa mère, Benedicta (Benedicta Sánchez), bien que non professionnelle, s’avère une actrice excellente, a vécu ses deux années dans la solitude le «deuil» de l’absence de son fils. A son arrivée, sans dramatiser le fils prodigue lui annonce : « Maman, je vais rester ici un moment ». La mère qui répond, de manière laconique et pragmatique : «Amador,as-tu faim? ».
A travers sa filmographie, Oliver Laxe a démontré qu’il est capable de trouver de la poésie, et même une certaine mystique, dans des situations anodines que d’autre ne verraient même pas.
Mais soudain, dans la seconde du film, au rythme plus soutenu, la fumée apparaît et le village semble menacé par les flammes. Un hélicoptère de la brigade forestière survole la région.. Tout devient très rapidement un brasier et grave des images indélébiles dans l’esprit des spectateurs : les villageois les plus jeunes portant des sceaux pour lutter contre le feu, les villageois les plus âgés qui, emmenés par les pompiers, refusent de quitter leur maison, les vaches qui beuglent, les chevaux qui hérissent face à l’avancée des femmes, les pompiers au coeur de l’action..
Dans les premières minutes de O que arde, son troisième long métrage en tant que réalisateur, la magie de son style cherche à embellir la misère de cette région pauvre d’Espagne. Le film vit au rythme de l’Espagne isolée, occultée, parfois méprisée, dans une introspective laconique où les dialogues sont rares et où les regards priment sur les palabres.
O que arde est le dernier film espagnol présent à la 72ème édition du Festival de Cannes après Almodóvar et Terra, trois styles très différents – voire opposés – de la narration à travers des images, mais représentant le pays et le cinéma espagnol dans ce concours mondial.
Mais vous l’aurez compris : le film d’Olivier Laxe s’adresse à un public bien particulier, averti !
Firouz E. Pillet, Cannes
© j:mag Tous droits réservés