Cannes 2021 : le film brésilien Medusa, d’Anita Rocha da Silveira, illustre de manière poignante l’extrémisme religieux à l’ère de Bolsonaro
Dans une perspective dystopique, le long métrage d’Anita Rocha da Silveira, présenté à la Quinzaine des Réalisateur, aborde les diverses tendances de la société brésilienne actuelle à l’image d’une Méduse : l’extrémisme religieux des églises évangélistes dont les fidèles sont menés par des pasteurs, la pratique de la chirurgie esthétique à outrance et le culte de la beauté des femmes, les Brésiliens qui s’instaurent justiciers de la normalité au nom du Christ.
Au Brésil, de nos jours, Mariana, vingt-et-un ans, vit dans un monde dirigée par sa communauté religieuse où elle doit être une femme pieuse et parfaite. Elle fait d’ailleurs partie de la chorale de son église, Les Trésors de Dieu, en tant que choriste aux côtés de sa meilleure amie, Michele, la chanteuse principale. Pour résister à la tentation, Mariana s’attelle à contrôler tout et tout le monde. La nuit tombée, elle se réunit avec son groupe de filles de l’église évangéliste, et, ensemble, cachées derrière des masques, formant une terrible meute, elles repèrent de jeunes filles ou femmes seules, les chassent et les lynchent pour les punir celles d’avoir dévié du droit chemin. Mariana travaille dans une clinique de chirurgie esthétique mais le jour où elle arrive au travail avec un sparadrap sur son visage pour cacher un coup, Le docteur Arnaldo la congédie car elle ne peut pas effrayer les clientes dans ce « temple de la beauté ».
Medusa s’ouvre sur une scène terrible d’une jeune fille qui rentre chez elle et se fait passer à tabac et est contrainte de confesser ses péchés et de promettre de consacrer dorénavant sa vie à Jésus face au téléphone portable que tient Michele pour la filmer. Michele montrera ensuite à ses ouailles que cette vidéo a récolté une avalanche de « likes ».Mais au sein du groupe, l’envie de crier de Mariana sera plus grande qu’elle ne peut supporter mais le chemin pour afficher puis assumer sa désapprobation ne sera pas facile.
Dans l’univers de Mariana, les femmes doivent toujours être parfaites. Mariana s’applique un masque sur le visage tout en priant Jésus et se rend à une réunion organisée par le pasteur afin de rencontrer, via une sorte speed-dating religieux, de jeunes hommes qui font partie d’un groupe de justiciers, Os vigilantes de Sião (Les gardiens de Sion) qui s’entraînent comme pour des arts martiaux,
Pour appliquer ce diktat de perfection à la lettre, Mariana et ses copines sont persuadées d’être dans le juste et de faire de leur mieux pour tout contrôler et tout le monde autour d’elles. Avec fierté, Michele raconte l’histoire de Melissa, une femme d’une beauté extrême, qui avait un amant différent chaque soir jusqu’au jour où un « ange » est apparue, une femme en chair et en os, qui lui a jeté de l’essence sur le visage avant de bouter le feu. Melissa, défigurée, a été rejetée, considérée comme un monstre. Une des filles du groupe religieux s’inquiétant de savoir si Melissa est morte, Michele lui répond aussitôt que Melissa méritait son sort vu qu’elle avait pêché et que c’est « la volonté de Dieu ».
En plein prêche du pasteur, qui hypnotise les fidèles, dont certains entrent en transe, une autre acolyte de leur église susurre à l’oreille de Mariana : « Mariana, j’ai lu une fois que les noms de filles commençant par la lettre M sont des noms de femmes malveillantes : Mariana, Michele, Melissa, Maria Magdalena ! » Mais le prêche se poursuit, ponctué par les chansons de la chorale dans un décor aux néons roses qui rappelle plus une scène de télé-réalité ou une scène de fotonovela qu’un office religieux. Même si les paroles sont sans ambiguïté et religieuses, la musique nous donne envie de fredonner, voire de chanter : hypnotique et envoûtant ! Aurions-nous succombé à l’appel du pasteur ?
La réalisatrice brésilienne Anita Rocha da Silveira mêle la violence mythique et la violence réelle faite aux femmes, par l’éducation, par l’injonction de la beauté et de la jeunesse éternelles. Anita Rocha da Silveira s’inspire d’histoires peut-être fictives mais aussi bien réelles de violences aux formes multiples pour décrire une société devenue une fosse aux serpents où la religion, la masculinité toxique et la politique de droite s’entremêlent d’une manière bien trop familière. On se rappelle l’importance qu’a joué l’église évangéliste dans les dernières élections.
Medusa reflète la pression de la société pour que les femmes soient parfaites, irréprochables, dévouées au Christ et à leur époux respectif. À travers l’histoire et le cheminement de Mariana, obsédée par le contrôle de tous les aspects de sa vie, le film scrute la pression que la société exerce sur les femmes pour qu’elles soient parfaites.
À Cannes, la réalisatrice a expliqué que le film s’inspire du mythe grec de Méduse, une prêtresse qui a été punie par la déesse Athéna pour avoir cédé aux avances sexuelles de Poséidon, gagnant des cheveux de serpent et un regard capable de transformer en pierre quiconque la verrait :
« Elle a été punie pour sa sexualité, pour être “impure”. Cela m’amène au Brésil contemporain, où nous voyons le retour d’un modèle de femme douce et soumise – avec le taux de féminicide en hausse, la violence contre les femmes souvent utilisée comme une forme de contrôle, il est continuellement réitéré ».
Mari Oliveira fait ses débuts en tant que protagoniste du film Medusa, d’Anita Rocha da Silveira et vit son premier festival à Cannes. Lors de la projection du film à la Quinzaine des réalisateurs, Mari Oliveira a confié :
« Le film étant à Cannes, je réalise le rêve de mon adolescence de devenir actrice alors qu’on me répétait tellement que je ne pouvais pas faire un tel métier, que ce n’est pas un métier pour ceux qui viennent d’où je viens. C’est marrant car si vous me demandez si j’ai imaginé tout ça, la réponse sera : bien sûr ! J’ai travaillé si dur ! Je n’ai jamais eu peur de rêver. Je veux profiter de cette opportunité pour faire aller loin mon travail, m’abandonner à de nouvelles opportunités et surtout montrer que c’est possible. »
Ballerine, comédienne, doubleuse et étudiante en cinéma avec une spécialisation en scénario, Mari Oliveira née à Anchieta, au nord de Rio de Janeiro, et recherche la représentation des femmes noires dans son travail. Avec quatre longs métrages à son actif, un feuilleton et deux séries, elle crée en 2018 la chaîne « Tela Preta TV » – une chaîne entièrement produite par des Noirs. Elle y a présenté des programmes de cinéma, de mode, d’entrepreneuriat et a également couvert des événements dans les communautés de Rio de Janeiro à la recherche d’un nouveau récit et d’une nouvelle représentation. Actuellement, elle présente également le podcast Sala 4 en tant qu’étudiante et spectatrice de films.
Le film d’Anita Rocha da Silveira parle de ce cri de révolte et de libération des femmes brésiliennes face aux injonctions que leur imposent la société, l’Église, le patriarcat :
« Pour moi, cela représente la libération de cette colère que les femmes mettent de côté depuis des années, depuis des générations. Nous pouvons libérer cette colère que nous devons garder à l’intérieur parce qu’on vous dit que vous ne pouvez pas parler à haute voix, vous ne pouvez pas être fou, vous devez être cette femme contrôlée qui parle à voix basse et ne perd pas le contrôle. Je peux être perçue comme bruyante, comme folle parfois mais ça me va. »
Lors du photo-hall du film Medusa, la réalisatrice et ses acteurs ont dénoncé la crise sanitaire au Brésil, « un des pays qui comptabilise le plus de morts du Covid ».
Firouz E. Pillet, Cannes
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