Cannes 2022 : Mi país imaginario (Mon pays imaginaire), de Patricio Guzmán, présenté en séance spéciale, suit les manifestations de 2019 à Santiago de Chile
Disséquant les origines des manifestations de 2019, débouchant sur une remise complète du système obsolète établi en 1973 et analysant les similitudes avec la répression des citoyens chiliens lors du coup d’État de Pinochet, Patricio Guzmán analyse méthodiquement les origines de cette révolution, les revendications des manifestants, l’extrême violence des mesures répressives.
La caméra de Patricio Guzmán entraîne les spectateurs en octobre 2019 alors qu’une révolution inattendue et une explosion sociale secouent le Chili. Un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Santiago de Chile pour plus de démocratie, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution. Les femmes étaient particulièrement présentes, scandant un poème composé par l’une d’entre elles, un poème qui revendique plus de parité et qui dénonce le machisme séculaire, un héritage atavique qui, jusqu’à 2019, n’avait jamais été remis en question avec une telle unité et une telle virulence. Dès qu’il a eut connaissance de ces manifestations, Patricio Guzmán s’est aussitôt envolé pour son pays natal pour filmer ces téméraires révolutionnaires et les rencontrer. Il explique à propos de son souhait de filmer cette révolution :
« Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin ! »
Mi país imaginario, comme l’a rapporté le réalisateur, parle du séisme social d’octobre 2019 et des transformations vécues par le pays depuis lors. L’une de ses plus grandes innovations est que le fil conducteur de ce film repose sur les interviews et donc les voix de diverses femmes telles que : la journaliste et écrivaine Mónica González, la photographe et documentariste Nicole Kramm, la femme politique mapuche et universitaire, linguiste, militante pour les peuples indigènes Elisa Loncón et lectrice et écrivaine Nona Fernández, la politique scientifique Claudia Heiss, entre autres.
La caméra du cinéaste chilien, désormais établi en France, fait la part belle à Las Tesis, un phénomène mondial né dans les rues de Valparaiso et Santiago : Trois rangs de femmes aux yeux bandés scandent sur un beat oppressant :
« Ce n’était pas ma faute/ Ni de celle du lieu/ Ni celle de mes vêtements/ Le violeur c’était toi… »
Accompagnée d’un index accusateur pointé droit devant, cette performance du Collectif Las Tesis a été créée le 25 novembre, simultanément à Valparaíso et à Santiago, au Chili, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes… Une séquence impressionnante par sa puissance et par son message !
La productrice du film Alexandra Galvis souligne :
« Mi país imaginario est un film sur le Chili d’aujourd’hui. Sa trilogie s’est terminée par un vœu : que le Chili retrouve sa joie. Désormais, il recourt exclusivement à des voix féminines pour écouter les changements au Chili, de l’éclatement social à la création de la Convention constituante. »
Coutumier de la Croisette, Patricio Guzmán semble apporter son soutien à toute la population chilienne par son documentaire, riche, fort, exhaustif et nécessaire, mais, par sa présence, le cinéaste apporte aussi son soutien à la délégation chilienne qui accompagne deux autres films chiliens présentés à la Quinzaine des réalisateurs : Cette année : 1976 de Manuela Martelli et Pamfir en coproduction avec l’Ukraine, ainsi qu’un court métrage en compétition.
La musique originale de Mi país imaginario, qui met très judicieusement en relief les images et les entretiens, est composée par Jose Miguel Miranda.
Comme, d’accoutumée, les films de Patricio Guzmán sont distribués en Suisse, il ne nous reste qu’à souhaiter que ce dernier documentaire exceptionnel le soit aussi !
Firouz E. Pillet, Cannes
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