Cannes 2022 : Revoir Paris, d’Alice Winocour, présenté dans la Quinzaine des Réalisateurs, s’inspire des attentats de Paris pour en donner une vision personnelle
À Paris, Mia (Virgie Efira), interprète du russe au français à la radio, est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible alors qu’elle croise Thomas (Benoît Magimel), un autre rescapé qui était alors courtier financier.
Revoir Paris, d’Alice Winocour s’est vu attribuer un titre anglais, Paris Memories, qui évoque le nom d’un parfum de luxe. Pourtant, il n’en n’est rien. S’inspirant des attentats de Paris mais en en livrant un récit libre, Alice Winocour suit le cheminement chaotique de Mia qui mène une véritable enquête policière pour reconstituer, par bribes, au fil des indices, sa mémoire défaillante, parcellaire depuis le traumatisme.
Livrant des vues de Paris traumatisé par le terrorisme, assumant sa source d’inspiration mais sans faire de référence directe aux attentats de 2015 au théâtre du Bataclan, Alice Winocour a ressenti le besoin de faire un film sur ce sujet comme son frère cadet était présent sur place mais a réussi à survivre. L’ouverture visuelle sur Paris suggère que la vie normale, dans des prises de vue très réelles, a repris son cours. Tout semble normal, à y mieux regarder, le public constate que les changes ont bel et bien changé. Quand Mia part à la recherche du cuisinier qui lui a tendu la main pendant l’assaut, elle constate que tout le personnel de la brasserie a été licencié et remplacé par des nouveaux-venus.
Mia retrouve progressivement sa mémoire au fil de ses visites successives dans le bistrot, rencontrant l’empathie de certaines victimes dont la responsable du groupe de rescapés, mais suscitant l’agressivité d’une femme, qui la prend pour cible. Toutes les victimes ont en commun d’avoir été visées par un tueur méticuleux qui a vidé, sourire aux lèvres, une machine entièrement chargée. Mia a tout oublié et se souvient progressivement uniquement de fragments; Thomas se souvient de tout mais est devenu claustrophobe. Alice Winocour filme les événements de l’attaque, montrés dans des plans et des sons sélectionnés, subtilement montés puis coupés en noir, qui sont aussi peu clairs pour le public que pour Mia. Un procédé recherché par la cinéaste pour exprimer le trouble que vit Mia depuis l’attentat.
Se remémorant peu à peu au fil des rencontres avec d’autres survivants mais aussi des proches des victimes qui n’ont pas survécu, Mia se reconstruit émotionnellement, mentalement, psychologiquement. Sans relâche, Mia cherche ce mystérieux être humain, dont les mains sont tout ce dont elle se souvient, tenant les siennes dans les siennes ce jour-là, pour le remercier. Avec l’aide d’une jeune serveuse de service ce jour-là, Mia finira par retrouver le cuisinier qui l’a réconfortée pendant l’attentat.
Alice Winocour propose une vision à la fois réaliste et onirique, en visualisant certaines des autres victimes dans des flashs fantomatiques. Revoir Paris laisse transparaître un message d’espoir pour un retour, à la fois à la vie et à la normalité, à l’instar de ces touristes qui disent: « Nous allons toujours à Paris. »
Sous un soleil écrasant, nous avons rencontré Alice Winocour sur la terrasse de France TV, à quelques pas du Palais des Festivals.
Comment s’est déroulé le tournage de Revoir Paris ?
Les gens s’arrêtaient encore et encore et demandaient s’il s’était passé quelque chose, alors nous avons dû mettre des pancartes disant « Ceci est un tournage de film ».
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire un film sur un attentat, librement Inspiré par les attentats de Paris en 2015 ?
L’inspiration provient d’une situation personnelle car mon petit frère était au Bataclan le soir de l’attentat. Je lui écrivais un SMS et il m’a répondu que je ne devais pas écrire car l’endroit avait été pris d’assaut par des terroristes. J’ai écrit à partir de mes souvenirs de cette nuit-là, et aussi des discussions que j’ai eues les jours et les mois qui ont suivi avec mon frère. J’ai décidé de ne pas représenter le Bataclan et d’écrire sur un lieu fictif, inspiré par ces souvenirs et par le monde que j’ai découvert de mon frère et des gens autour de lui qui ont survécu et se sont échappés et que j’ai rencontrés.
Votre frère a-t-il survécu ?
Oui, j’aurais dû le préciser, bien sûr ! Et il a été très proche du film, il a lu le scénario et vu le casting. Il est même visible en tant que figurant dans le film.
Avez-vous parlé à des experts en psychologie pour préparer Revoir Paris ?
Bien sûr, car je voulais respecter au mieux la situation des victimes. Et on m’a parlé de cette notion de « diamant dans le trauma », qui est la beauté qui peut surgir dans la tragédie. Derrière un événement traumatisant se cachent des rencontres entre des personnes qui ne se seraient pas rencontrées s’il n’y avait pas eu de drame, venant de mondes et de classes différents. La plupart du temps, nous sommes coincés dans notre classe respective, et les moments où cela peut changer sont vraiment rares, voire jamais. Mais dans des moments comme ceux-ci, les barrières sont brisées – nous sommes tous égaux face à la tragédie.
Votre protagoniste, Mia, mène une enquête policière, récoltant des indices, pour reconstituer des morceaux de sa mémoire…
Vous avez tout à fait raison, c’est exactement cela que je recherchais. Chez les traumatisés, il y a plusieurs niveaux de choc. Tout dépend de la menace à laquelle la personne a été exposée et de ce qu’elle a vu. Pour le rôle de Mia, je me renseigne sur cette forme de dissociation quoi peut apparaître avec soi-même après un traumatisme. J’ai aussi étudié le fonctionnement de la mémoire traumatique. Je me suis basée sur des témoignages pour élaborer ma perception de cette construction par morceaux, par palier progressifs.
Avez-vous pu rencontrer des personnes rescapées ou des proches des victimes ?
J’ai visité les associations de survivants où les personnes qui ont perdu des êtres chers cherchaient ceux qui étaient dans l’attaque pour savoir s’ils se souvenaient de ce que quelqu’un a fait ou dit avant de mourir. Ils ont essayé de reconstituer les événements en tant que collectif, où le collectif fait partie de la cure parce que vous ne pouvez pas le faire vous-même. Au lieu de cela, les gens se rassemblent, sont là les uns pour les autres, s’entraident. Montrer cela aujourd’hui, avec différentes communautés qui se battent, semble important – et c’est une belle chose.
La ville de Paris est un protagoniste à part entière dans votre film…
Paris est ma ville. Je n’ai jamais tourné à Paris auparavant ; c’était difficile pour moi. Justement, je voulais montrer Paris comme son propre personnage, le personnage blessé qu’est devenu Paris après les attentats et que chaque Parisien a ressenti. On a ressenti l’émotion quand on a tourné, d’autant plus que les procès terroristes du Bataclan se sont déroulés au même moment. Nous tournions à l’extérieur du restaurant où se passe l’attaque dans le film, nous avions toutes ces bougies là-bas, commémorant les victimes. Et les gens s’arrêtaient encore et encore et demandaient s’il s’était passé quelque chose, alors nous avons dû mettre des pancartes disant « Ceci est un tournage de film ». Alors réalité et fiction se sont vraiment rapprochées, dans ma tête et dans la ville.
Comment s’est effectué le choix du titre ?
Cela ne m’est pas venu facilement, non. Ce que j’aime dans Revoir Paris, c’est le sens de regarder avec de nouveaux yeux. J’ai beaucoup pensé aux Ailes du désir de Wim Wenders quand j’ai écrit, avec cet ange dans une ville dont on n’est plus une partie humaine, que devient le personnage de Virginie. Elle est en quelque sorte dans les limbes, un fantôme qui peut voir les autres fantômes de l’attaque.
Comment réagissent les victimes d’attentat, comme votre frère, à Revoir Paris ?
Le processus de réalisation a été long et j’étais heureuse de pouvoir enfin le présenter en première en France et à Cannes. Mon frère l’a vu avec moi pour la première fois. Il était content et souhaite en parler davantage avec moi.
Firouz E. Pillet, Cannes
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