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Cannes 2023 : The Old Oak, de Ken Loach, présenté en compétition, donne une visibilité aux réfugiés syriens en Angleterre

Présent sur la Croisette, Ken Loach nous affole en annonçant que The Old Oak est son dernier film. Ken Loach, connu pour ses films engagés et socialement critiques, tels que Land and Freedom (1995), Le vent se lève (2006), Moi, Daniel Blake (2016), Sorry We Missed You (2019), aborde avec The Old Oak des problématiques actuelles, et désormais universelles, autour de l’accueil des réfugiés et des relations interculturelles inhérentes aux flux des migrants. Le scénario, signé Paul Laverty, propose un regard profond et nuancé sur ces enjeux, avec la touche humaniste et profondément emphatique propres au cinéma de Ken Loach.

The Old Oak de Ken Loach
Image courtoisie Festival de Cannes

TJ Ballantyne (Dave Turner) est le propriétaire du « Old Oak », un pub situé dans une petite bourgade du nord de l’Angleterre et menacé de fermeture suite à l’arrivée de réfugiés syriens dans le village. Il y sert quotidiennement les mêmes habitués désœuvrés pour qui l’endroit est devenu le dernier lieu où se retrouver. L’arrivée de réfugiés syriens va créer des tensions dans le village. Cependant, TJ va se lier d’amitié avec Yara (Ebla Mari), une jeune migrante passionnée par la photographie. Une amitié inattendue va naître entre ces deux personnages, malgré les tensions et les préjugés qui pèsent sur le village. Ensemble, ils vont tenter de redonner vie à la communauté locale en développant une cantine pour les plus démunis, quelles que soient leurs origines. Pour incarner ses divers personnages, Ken Loach a regroupé Debbie Honeywood, Ebla Mari, Dave Turner, Col Tait, Rob Kirtley, Reuben Bainbridge, Abigail Lawson, Laura Daly, Chris Braxton et Joe Armstrong.

Ken Loach et son équipe avaient tourné deux films dans le nord-est de l’Angleterre qui parlait de personnes prises au piège d’une société fragmentée. Inévitablement, comme le précise le cinéaste :

« Les deux films se sont terminés tragiquement. Et cependant, nous y avions rencontré beaucoup des gens d’une grande force et d’une grande générosité qui réagi avec courage et détermination face à l’adversité actuelle. Il nous a semblé que nous devions tourner un troisième film qui fasse écho, sans minimiser les difficultés auxquels sont confrontés les habitants et les difficultés traversées par la région au cours de la dernière décennie. Il y avait donc matière à une autre histoire, plus cohérente. »

Avec The Old Oak, Ken Loach souhaitait souligner que l’un des points de départ était la réalité d’une région abandonnée où l’activité industrielle comme la construction navale, la sidérurgie, l’industrie minière, avait disparu et rien ou presque rien ne l’avait jamais remplacé. La plupart des villages liés aux sociétés minières, qui étaient autrefois prospères et fiers de leur tradition de solidarité, de leurs activités sportives et du patrimoine culturel régional, ont désormais été abandonnées par les politiciens, les conservateurs et les travaillistes.

L’engagement de Ken Loach est notoirement connu et sa filmographie regorge d’exemples qui l’ont inspiré pour dénoncer la déception de ses compatriotes face aux comportements des conservateurs mais aussi l’échec du Parti travailliste qui a été fustigé par tant les Britanniques qui ont fait le triste constat que ce parti n’a rien fait pour eux. Ken Loach d’ajouter :

« C’est d’une terre de travail, Tony Blair et Peter Mandelson en ont été députés. Ce n’avait rien, absolument rien, changé en la matière. »

Ce qui a amené Ken Loach à faire The Old Oak est le moment où :

« Le gouvernement a fini par accepter d’accueillir des réfugiés fuyant la guerre atroce qui se déroule en Syrie. On en a accueilli moins que dans la plupart des pays européens mais il fallait bien leur trouver un port d’attache. Là encore, il n’a pas fallu s’étonner que le nord-est en accueille plus que toute autre région parce que le logement y est bon marché et que les grands médias ne s’y intéressent nullement. »

Le scénariste de Ken Loach a appris ce qui s’était passé, au départ, lorsque des familles syriennes étaient arrivées sur place. Cela est apparu évident à Ken Loach et à Paul Laverty que ce serait le sujet de leur film. Cependant, Ken Loach ne se contente pas de décrire la situation mais tient à ce que son public comprenne ce qui s’était vraiment passé. Ainsi, dans The Old Oak, le cinéaste dépeint les deux communautés vivant l’une à côté de l’autre, souffrant toutes les deux de graves problèmes matériels, entre autres, mais dont l’une a subi un traumatisme en fuyant la guerre qui sévit dans leur pays et que la scène internationale a tristement oublié comme le soulignait Carla Del Ponte déjà en 2016.

Ken Loach tenait à mettre la lumière sur ces oubliés des conflits qui n’ont plus comme seule richesse que de pleurer leurs morts et de s’inquiéter pour tous celles et ceux qui sont restés sur place. Il a cherché à montrer que la cohabitation est possible et salutaire entre les Anglais délaissés par leur gouvernement et les réfugiés, entre des délaissés de part et d’autre, en montrant que l’espoir est encore possible malgré cette époque particulièrement déshumanisée que nous vivons. Pour ce faire, le réalisateur et son équipe ont rencontré des familles syriennes dans le nord-est de l’Angleterre et en Écosse qui leur ont raconté leur histoire. Ken Loach précise :

« Ces familles nous ont encouragés dans notre démarche. Étant donné que le logement, dans la plupart des anciens villages miniers, est extrêmement bon marché – les logements furent souvent rachetés au cours d’enchères en ligne par de nombreuses familles syriennes et originaires du Royaume-Uni, mais pas de la région du nord-est –, ils ont fini par habiter ces villages. Nous avons également appris, grâce à des militants du coin, que les autorités d’autres régions du pays avaient négocié avec des propriétaires fonciers des anciens villages miniers et y avaient transféré certains de leurs locataires – dont beaucoup souffraient de graves problèmes -, sans en avertir les autorités compétentes. Nous avons entendu parler de ces politiques brutales au moment du tournage de Moi, Daniel Blake, et c’est pour cela que le personnage de Katie se retrouvait à Newcastle. Bien d’autres directions régionales irresponsables font la même chose et se débarrassent de leurs problèmes en les transférant à d’autres au lieu de mettre en place une stratégie cohérente destinée à les résoudre. »

On dit Ken Koach très fatigué. Certains critiques anglais redoutaient que Ken Loach ne puisse faire le voyage à Cannes. Toujours aussi militant et engagé, Ken Loach n’a pas perdu de sa verve pour permettre aux nouveaux visages de l’Angleterre d’exister avec toute leur humanité mais aussi leurs souffrances et leurs histoires.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

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