Cette musique ne joue pour personne, le dernier film de Samuel Benchetrit, joue la musique de l’amour et réunit des personnes que tout oppose a priori
Cette musique ne joue pour personne, septième film de Samuel Benchetrit, présenté en séance spéciale sous le label Cannes Première au Festival de Cannes 2021 puis au Festival d’Angoulême 2021, sort sur les écrans de Suisse romande.
Dans une ville portuaire, des êtres isolés, habitués à la violence, vont soudain voir leurs vies bouleversées par le théâtre, la poésie et l’art. Et leurs quotidiens, transformés par l’amour.
Jeff (François Damiens), est un caïd entouré de ses fidèles hommes de main : Neptune (Ramzy Bedia), Jesus (Joey Starr), Poussin (Bouli Lanners), Jacky (Gustave Kervern). Jeff, marié depuis vingt-cinq ans avec Katia (Valeria Bruni-Tedeschi) et, la cinquantaine approchant, envahi par un vague à l’âme persistant et pris d’une soudaine soif de poésie, se met à rédiger des alexandrins pour séduire une jeune caissière (Constance Rousseau).
Jacky, prié par son patron de récupérer l’argent dû par un client, se laisse attendrir par l’épouse déjantée dudit client, comptable qui semble avoir disparu. Jacky découvre l’épouse, une bourgeoise bègue qui répète des répliques comme elle souhaite monter sur les planches pour camper Simone de Beauvoir dans une comédie musicale. Poussin, une seconde frappe, fidèlement accompagné par son acolyte, Jesus, recourt à la manière forte pour convaincre des lycéens d’aller à la boum de la fille de son patron, Jessica (Raphaëlle Doyle).
Dans la veine de Kervernet-Delépine ou de Quentin Dupieux, Samuel Benchetrit plonge avec joie dans un cinéma de l’absurde comme il l’avait fait dans Chien, présent au Festival de Locarno en 2017. Dans Cette musique ne joue pour personne, le cinéaste dépeint des personnages, les présentant dans le désordre, attachants et aux comportements absurdes, tissant progressivement une fresque humaine originale, entre littérature, théâtre et cinéma, incarnés par des comédiens dont émane une complicité tangible.
Enchaînant avec bienveillance des scènes souvent drôlatiques, insolites, cocasses, que l’on peine initialement à relier les unes aux autres, Samuel Benchetrit distille un savoureux alliage d’humour et de cynisme en construisant, par touches progressives, un puzzle qui finira par s’emboîter.
Dans un paysage morose sous le ciel du Nord, dans les décors froids déshumanisés d’un supermarché, d’entrepôts portuaires sinistres, de pavillons de banlieue cafardeux, les vers et les rimes de la poésie ou les répliques du théâtre amateur mettent du baume au cœur à des êtres qui se découvrent des âmes d’artistes qu’ils n’auraient pas soupçonnées. Adoptant un angle de vue très poétique, Samuel Benchetrit signe une histoire qui parle de gens simples, ordinaires qui n’ont rien à voir avec l’art mais qui vont être touchés par l’art qui va embellir leur vie jusqu’ici terne. Le message du cinéaste est d’autant plus percutant que nous avons été privés d’art pendant de nombreux mois mais de cette privation ressort une évidence : l’art fait vibrer, fait rêver, soulage, réconforte et soigne.
Firouz E. Pillet
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