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De l’art et de la science : « Le CERN et le sens de la beauté » de Valerio Jalongo, propose une visite inédite du CERN – Rencontre

Des œuvres d’art harmonieuses, de magnifiques peintures rupestres des toiles gigantesques et la recherche sur les particules subatomiques ? A priori, l’art et la science, en particulier la recherche nucléaire, n’ont rien en commun … Mais le documentaire du cinéaste Valerio Jalongo prouve le contraire en proposant une immersion insolite et inédite au cœur du CERN; dans les arcanes du grand collisionneur souterrain du CERN, à Genève, avec la participation de nombreux théoriciens, expérimentateurs et techniciens travaillant dans le laboratoire.

 

Projeté au Festival Visions du Réel à Nyon, Le CERN et le sens de la beauté révèle les secrets du laboratoire souterrain du CERN et montre à quel point la beauté et l’harmonie guident les scientifiques à l’instar des artistes, les premiers comme les seconds mus par un sens commun de l’esthétisme. Autorisé à filmer durant deux ans au cœur de ce microcosme méconnu et préservé, Valerio Jalongo nous dévoile les gigantesques machines du CERN comme jamais vues, tirant un parallèle novateur et surprenant entre  des images à l’énergie aussi mystérieuse que les œuvres d’artistes tels qu’Olafur Eliasson, Michael Hoch, Carla Scaletti et de nombreux autres. Les témoignages de nombreux scientifiques comme de nombreux artistes soulignent la communion universelle et cosmopolite de cette quête du Graal qui assoit des échanges bien au-delà des nationalités et des cultures différentes.

Les images du documentaire riche et dense de Valerio Jalongo évoquent la spiritualité humaine et de liens avec la nature, une nature étonnamment ordonnée et régie par une logique invisible au premier regard. « Des liens qui ont été vécus dans la peur, dans l’expérience commune, dans la puissance destructrice et qui démontrent clairement aujourd’hui que l’humanité ne peut arrêter le réchauffement de la planète – le seul espace vital à sa disposition ».

Il est, bien sûr, question du fameux « boson de Higgs », aussi connu sous d’autres noms dont celui de boson BEH, qui est une particule élémentaire dont l’existence, postulée indépendamment en 1964 par Robert Brout, François Englert, Peter Higgs, les scientifiques du CERN, et qui a alimenté les peurs du simple quidam, se mesure ici aux grandes questions des philosophes et des mystiques – celles touchant à l’univers, à nos origines, à notre destin. La dimension mystique et existentielle de cette quête commune entre artistes et scientifiques est richement nourrie par Valerio Jalongo car, le cinéaste, né à Rome, diplômé en philosophie, avant de fréquenter l’école de cinéma Gaumont, fondée par le producteur Renzo Rossellini.

— Valerio Jalongo
© Firouz Pillet

La dimension philosophique habite ce documentaire qui aborde des questions universelles : certains croient en Dieu, d’autres croient aux lois de la physique et aux formules mathématiques. Mais tous reconnaissent ne comprendre la nature insaisissable de la matière et du cosmos que grâce à leur sixième sens : le sens de la beauté.

Le 17 avril au Cinélux, à Genève, a eu lieu la première du film Le sens de la beauté. Nous avons rencontré Valero Jalongo qui aurait dû être présent pour échanger avec le public mais qui a dû rentré précipitamment en Italie pour raisons familiales. Des scientifiques du CERN sont venus répondre aux questions du public.

 

L’entretien est en italien, en voici les grandes lignes:

Au sujet de la genèse de ce film :

Ce film est né un peu par hasard: je connais un ingénieur qui travaille au CERN. Sachant que j’étais intéressé par le tournage d’un documentaire sur le CERN, un jour il m’a appelé en disant “vous pourriez entrer dans la grotte ». Je me suis retrouvé à étudier la physique, ce qui pour moi avait toujours été un tabou. Ici aussi, comme dans mon documentaire précédent, nous parlons de la centralité de la culture. Dans ce cas, c’est une culture scientifique, mais là aussi il y a des artistes. Je crois que le CERN représente un modèle, non seulement sur le plan scientifique mais aussi sur le plan social, car il est ouvert, collaboratif. J’ai été séduit par cet aspect, au-delà de la complexité du sujet qui y est étudié.

Le parallélisme entre la science et la beauté ?

Toute la partie sur la beauté est venue plus tard, en interviewant les scientifiques qui y travaillent. L’idée originale était simplement de filmer un documentaire sur le CERN, un projet unique car il représente le partage des connaissances libres de milliers de scientifiques du monde entier.

J’ai essayé depuis le début de rendre ce monde plus accessible, non seulement pour moi mais aussi pour un public de non-spécialistes. A force d’étudier, de lire et d’interviewer sur une période de trois ans, cette composante humaine très forte a émergé. Il y a une grande passion au CERN, et c’est une passion que j’ai ressentie aussi pour moi, c’est comme le lien qui se crée entre un artiste et son travail, ou quand un réalisateur tourne un film. Il y a un élément lié à la séduction, au mystère. C’est la découverte que j’ai le plus appréciée: au CERN, la vraie science accepte le mystère, elle a une attitude très humble. Un des scientifiques du film dit aussi ceci: “Nous sommes des ministres du doute.” Je pense que dans un moment historique comme celui que nous vivons, c’est une attitude très utile.Cela peut sembler paradoxal qu’un thème «artistique» comme la beauté puisse provenir de la bouche d’un scientifique. Mais j’ai réalisé que, même pour eux, ce corrélat est évidente : en effet, presque tous les scientifiques que vous voyez interviewés dans le film mentionnent et parlent de la beauté intrinsèque d’une découverte, une formule comme par exemple dans la fameuse équation d’Einstein sur la relativité ou celle du prix Nobel Paul Dirac (qui a permis de découvrir la soi-disant antimatière, qui a totalement révolutionné la physique moderne) dont son beau livre La beauté comme méthode. Lui-même, ayant élaboré l’équation, affirmait que «c’était trop beau pour ne pas être vrai». Un autre prix Nobel, Frank Wilczek, auteur du texte Une belle question, signifie le monde, l’univers, comme une œuvre d’art.

Comme nous le savons tous et comme l’admettent les scientifiques, la nouvelle physique se promène dans l’obscurité la plus complète et la plus insaisissable ?

Je crois que la science et l’art ont une origine commune: la magie. Ce n’est pas une coïncidence si, dans le film, je montre l’intérieur de certaines grottes préhistoriques avec des représentations de roches. Formes du chamanisme, ancêtre de la religion peut-être, l’art est certainement un lien entre l’indéfini, quelque chose à découvrir et la partie la plus humaine. Et c’est cette dernière partie que je voulais approfondir dans le film. Je suis convaincu que l’art et la science sont deux éléments qui vont de pair, car ils sont étroitement liés. Personnellement, je crois que le vrai mystère est que nous avons déjà réussi, avec nos cerveaux, à comprendre la complexité dans laquelle nous sommes immergés. Et c’est déjà quelque chose d’extraordinaire. La science, seule, peut être très dangereuse, si elle n’est pas soutenue par notre partie la plus humaine, qui peut et doit se souvenir de nos limites et nous ramener toujours sur le chemin de la raison.

La dimension universelle représentée par la communauté du CERN :

Je pense que l’un des grands défauts du journalisme en Italie a été la réticence à raconter l’évolution culturelle, sans doute pour des raisons politiques. En réalité, ce phénomène se répand dans toute l’Europe et, pour cette raison, je crois que le CERN est une image importante. Il est impressionnant de voir combien d’artistes, de scientifiques et de philosophes se réfèrent au CERN même en dehors du domaine de la physique.

A propos de la disparition de Vittorio Taviani :

C’est une grande tristesse. Je vous avoue que je les ai rencontrés les deux mais je ne sais plus très bien lequel est Vittorio (rires). Les Frères Taviani représentent la grande époque du cinéma italien, du Néoréalisme.

Propos recueillis et traduits partiellement par Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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