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Heinz Bütler signe un documentaire, Albert Anker. Leçons de peinture chez Raphäel, sur le célèbre illustrateur et peintre suisse

Après Giacometti, Hodler ou encore Hermann Hesse, le réalisateur zurichois Heinz Bütler consacre un film à Anker, intitulé Albert Anker. Malstunden bei Raffael (Albert Anker. Leçons de peinture chez Raphäel) qui explore l’œuvre, la pensée et la vie du grand peintre suisse au-delà des clichés. Tourné à Ins, Anet en français, dans le canton de Berne, il entraîne le public dans l’atelier du peintre, resté en l’état depuis sa disparition en 1910. Projeté lors des Journées de Soleure, le film invite à un émouvant voyage dans le temps pour rendre visite à Albert Anker (1831-1910), partageant son quotidien et celui de sa famille. Le film convie à une visite dans la maison familiale, véritable caverne d’Ali Baba qui regorge de très nombreux bibelots, de breloques insolites, de colifichets excentriques, et même une poupée vaudoue… De multiples souvenirs qui donnent une âme à la maison familiale et qui permettent de comprendre la personnalité de l’artiste. Dans ce joyeux capharnaüm, tout respire Anker, du sol au plafond, des poutres au plancher. Dans ce dédale, de la pièce à vivre au grenier en passant par la galerie, les moindres recoins transmettent ce que l’artiste appréciait, affectionnait et admirait. On perçoit sa conscience de l’éphémère et du spectre de la mort. Peut-être par que sa femme et lui avait perdu deux fils en bas âge …

— Endo Anaconda – Albert Anker. Leçons de peinture chez Raphäel
Image courtoisie Filmcoopi

Un escalier étroit mène à l’atelier. Entrer dans cette pièce signifie un voyage instantané dans le temps. Cette visite est d’autant plus touchante que l’atelier d’Anker est l’un des rares ateliers d’artistes du XIXème siècle à être conservé en l’état, une remarquable exception qui permet de remonter à l’époque d’Albert Anker dans l’univers où il a vécu, créé, peint, dans un univers imaginé et élaboré de sa main. Au fil de cette visite et au fil des séquences, la caméra de Heinz Bütler invite les visiteurs à se sentir de plus en plus proches avec l’artiste en admirant ses tableaux et en découvrant des photographies qui l’ont immortalisé avec ses proches, aux côtés des livres de son impressionnante bibliothèque qui regorge d’ouvrages allant d’Horace à Gotthelf. Des documents, des lettres abondent, côtoyant des objets de sa vie de peintre et d’illustrateur et de son quotidien.

Tous les éléments de cet atelier semblent immuables, à peine touchés par le temps et par une main étrangère. Comme le déclamait Lamartine, dans l’atelier d’Anker, les objets ont une âme, accrochés aux murs et sur les corniches, les tables, diffusant celle de l’artiste. Un vase trône, portant fièrement un bouquet de pinceaux usagés, devant une estampe japonaise épinglée au mur de l’atelier. Une main en plâtre semble prendre la pose sous un crucifix, lui aussi en plâtre. De nombreuses copies d’Anker , d’après des maîtres anciens, soulignent combien l’artiste était prolifique. Posé dans un coin, une bible en hébreu rappelle qu’Anker savait le grec ancien le latin et l’hébreu. De multiples portraits d’enfants à l’huile, des tableaux dont les copies font partie des foyers helvétiques depuis des décennies. Des fillettes jouant à la poupée ou un jeune enfant qui se fait vacciner contre la variole, tant de représentations de la vie quotidienne durant le XIXème siècle qui offrent un témoignage sociologique et anthropologique d’une immense valeur. Tout aussi informatifs sur le mode de vie d’alors, les tableaux d’Anker offrent des représentations méticuleuses des communautés paysannes traditionnelles, le Seeland bernois. Quelques céramiques décorent les meubles et ont servi de modèles et comme on les voit dans les tableaux d’Anker. Des papillons et des éléphants collés sur le mur comme papier peint. Un filet contenant des coquillages côtoie une statue de la Vénus de Milo. Et des cartes postales représentant des madones de Raphaël (on comprend le complément du titre !) jouxtent celles dessinées par Anker.

Pour cette visite dans l’intimité d’Albert Anker, Heinz Bütler a choisi le musicien et auteur Endo Anaconda (1955-2022) pour nous servir de guide. Tout au long du film, le Bernois commente, s’extasie, s’émeut en retenant difficilement quelques larmes en scrutant avec attention certains tableaux et offre, part sa connaissance, un accès privilégié au monde d’Anker, distillant son expertise avec une touche très personnelle, touchante, souvent teintée d’humour. Par la voix d’Endo Anaconda, le public a parfois le sentiment d’entendre Anker lui-même relater des chapitres de sa vie d’artiste. Le générique de fin du film de Heinz Bütler comporte une dédicace à Endo Anaconda, aujourd’hui disparu.

Heinz Bütler a aussi sollicité l’historienne de l’art Nina Zimmer, directrice du musée des Beaux-Arts de Berne et du Centre Paul Klee, qui analyse le travail d’Anker et se demande dans quel domaine il excelle vraiment : illustration, peinture, dessin ? L’écrivain suisse alémanique Alain Claude Sulzer analyse en profondeur l’œuvre d’Anker, se posant de multiples questions et nous interrogeant par la même occasion. Dernier convive : le pianiste Oliver Schnyder qui joue la musique du film sur un piano de concert, mais aussi sur le piano familial désaccordé. La musique est indubitablement le bémol de ce film et on aurait pu se passer de cette partition pour apprécier pleinement les tableaux, nombreux, qui défilent sous nos yeux. Par instants, la musique est tellement discordante et prégnante qu’elle finit par agacer et ôte le plaisir de contempler, en toute quiétude, les œuvres d’Anker.

Il n’en demeure pas moins que le réalisateur Heinz Bütler offre un bel hommage à Albert Anker à travers cette visite anticipée de sa ferme puisque l’ouverture du Centre Albert Anker est prévue pour le printemps 2024.

Le film sort sur les écrans romands ce mercredi 9 août.

Firouz E. Pillet

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