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La Miséricorde de la jungle (The Mercy of the Jungle) du Rwandais Joël Karekezi fait l’ouverture d’Afrikamera le 13 novembre 2018

Difficile de trouver mieux pour illustrer l’ignominie du génocide et des guerres à répétitions qui font de cette région une épouvantable tache rouge sang sur le planisphère. L’ignominie mais aussi l’absurdité qui fait que les soldats comme les rebelles, avec les civils premières victimes des uns et des autres (ici le « et » est à prendre littéralement, puisque les villages ne sont bien souvent pas protégés par une appartenance à l’une ou l’autre ethnie mais servent la plupart du temps d’arrière-boutique pour les uns ET et les autres leur permettant de se ravitailler, de violer, de terroriser et, selon la contingence des événements sur le terrain, de se venger de tel ou tel acte et compenser la frustration en assassinant les responsables du village si ce n’est tou.te.s ses habitant.e.s .), ne savent plus contre qui exactement, pour qui et quoi ils se battent, enfermés qu’ils sont dans la jungle de la manipulation de ceux qui savent et qui les retiennent en otage de leurs intérêts et profits qui vont bien au-delà de leurs pays et États, qui s’étendent sur les tentacules du capitalisme des multinationales soutenu étatiquement sans vergogne par le centre du système économique mondial qui se nourrit goulument, telle une sangsue, à sa périphérie.

— Stéphane Bak, Marc Zinga – La Miséricorde de la jungle
© Neon Rouge Production

Dans la jungle du Kivu au Congo (RDC), le Sergent Xavier, héros de guerre rwandais, et le jeune et inexpérimenté soldat Faustin sont en territoire ennemi où ils combattent  dans une guerre floue. Lorsque les deux hommes sont séparés de leur bataillon, ils se retrouvent seuls et sans ressources face à la jungle congolaise réputée pour être la plus vaste, la plus dense et la plus inhospitalière du continent. Rapidement, les deux hommes vont se retrouver prisonniers de cet enfer vert, pris en étau par les combats qui font rage tout autour d’eux, avec cette peur au ventre permanente de tomber sur des ennemis car il est toujours difficile de distinguer les ennemis des alliés. A ceci s’ajoute l’hostilité de l’environnement qui les maintient également en alerte permanente et leur quête d’eau, de nourriture et de protection contre les animaux qui épuise leur instinct de survie.

La caméra de Joachim Philippe – directeur de la photographie – réfléchit, presque indécente, la beauté de ces paysages,  les différentes lumières qui les imprègnent. Le parti pris esthétique de Joël Karekezi, avec des cadres quasi photographiques, panoramiques côtoyant des caméras à l’épaule au plus près des protagonistes participe de cette ambiance étouffe presque le spectateur dans le sillage de l’angoisse de Xavier et Faustin avec néanmoins, au contraire des personnages, la possibilité de prendre un peu de recul et respirer lorsque l’image offre à nouveau une perspective cinématographique.

 

De cette immersion, il reste l’idée d’un cauchemar à multiples strates, celui de la survie basique à la complexité des enjeux en passant par cette effroyable constatation : les victimes deviennent bourreaux et vice-versa. L’engrenage forcené et fatidique semble être sans fin et happer tout sur son passage, les générations futures pareillement. C’est ce que dépeint avec adresse, sans moraliser ni faire de jugements à l’emporte-pièce, cette lutte des deux soldats dans la jungle, livrés à eux-mêmes et surtout à leurs démons qui en profitent pour se réveiller et investir les plaies béantes de leurs histoires personnelles et celles des leurs, ainsi que les profondes blessures infligées à leurs consciences.

De Joël Karekezi ; avec Marc Zinga, Stéphane Bak, Abby Mukiibi Nkaaga, Ronald Ssemaganda, Nabwiso Mathew, Kantarama Gahigiri, Were Edrine, Nirere Shanel, Michael Wawuyo Jr., Okuyo Joel Atiku Prynce ; Rwanda, Belgique, France, Allemagne ; 2018 ; 91 minutes.

Les temps forts du festival Afrikamera.

Malik Berkati

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