Locarno 2019 : Il nido (Le nid), le film anxiogène du cinéaste italien Roberto De Feo, projeté sur la Piazza Grande dans le cadre de Crazy Midnight
Le film s’ouvre sur une scène nocturne : un homme court, portant un très jeune enfant dans ses bras. On comprend rapidement qu’il est poursuivi. Il prend sa voiture mais les poursuivants le talonnent. La voiture finit dans le fossé. La scène entière aligne des décors angoissants accompagnés par une musique anxigène.
La séquence suivante nous dévoile un jeune adolescent, Samuel, qui joue un morceau classique au piano devant une assemblée d’adultes assis face à lui. La camera révèle rapidement aux spectateurs que Samuel est paraplégique. Sa mère, Elena, à la tenue austère et boutonnée jusqu’au sommet du cou, amène un gâteau d’anniversaire où trône une seule bougie. Les adultes offrent à Samuel une édition très ancienne du Paradis perdu, de Milton.
Le lendemain, Samuel est par terre, sur le tapis de sa chambre, sa mère arrive et le réprimande aussitôt car il est descendu de sa chaise roulante. Rapidement, on comprend que Samuel ne connaît que les gens qui vivent dans l’opulente villa : sa mère, le docteur Christian, les servantes, les gardes qui veillent sur l’entrée du manoir.
La demeure où ce microcosme vit, La Villa dei Laghi, qui est un manoir isolé entouré de vastes bois, devient rapidement un protagoniste à part entière, avec ses parts de lumière et de liberté – les sorties dans les jardins fleuris, les baignades au lac, le plaisir de regarder les servantes ramasser les draps séchés au soleil et les plier – et ses parts d’ombre et d’angoisse – les auscultations chez le docteur Christian qui prend soin de la santé de Samuel, les soirées familiales en petit comité, les soirées de prières où le groupe scelle le sort d’une personne qui a fauté en « lui libérant ée corps et l’âme ».
Soumis à la stricte interdiction de quitter le manoir, coincé dans une routine familiale et sa chaise roulante, Samuel semble serein mais devient peu à peu insatisfait et agité. Avec l’arrivée de Denise, une jeune femme de chambre adolescente, fougueuse et débrouillarde, qui a été amené par Ettore, l’homme qui a élevé Elena, Samuel trouve enfin la force de s’opposer à sa mère, au risque d’être privé de repas et d’être enfermé à clef sans sa chambre. Au grand dam de sa mère qui applique des méthodes éducatives d’un autre temps, l’adolescent s’ouvre au monde grâce à Denise qui lui fait découvrir la musique rock, le plaisir des baignades et même les baisers langoureux en échange d’un paquet de cigarettes.
Mais Elena, mère possessive, autoritaire et nocive, ne laissera pas son fils s’envoler du nid si facilement, et elle est d’ailleurs prête à faire n’importe quoi pour le garder jalousement près d’elle.
Pourquoi force-t-elle Samuel à vivre comme un prisonnier dans sa propre maison, lui interdisant de quitter le domaine ? Pourquoi agit-elle avec cruauté à l’égard de ces gens ? Pourquoi redoute-t-elle tellement que Denise n’alimente le désir de Samuel de voir le monde extérieur ?
En filigrane, le film laisse entendre qu’Elena cache de bien lourds secrets qu’il faudra avoir la patience de découvrir tout au long de l’intrigue qui ne distille que par bribes des éléments sur ce qui se trame dans cette obscure demeure.
Roberto De Feo n’est pas à son coup d’essai. D’ailleurs, le tournage de ce film d’horreur a été très suivi par les médias de la péninsule. Né à Bari en 1981, il réalise en 2009 son premier court-métrage Ice Scream, un hommage au B-Movie. Le court-métrage a été vendu à MTV International et sélectionné pour le Rhode Island Film Festival. En 2015, Roberto réalise le court-métrage Child K, le premier court-métrage italien à sortir aux Etats-Unis, produit par Sir Branko Lustig, producteur de la Schindler’s List. Il Nido est son premier long métrage.
Comme l’a souligné Roberto De Feo
Le Nid est un film qui n’aurait jamais été tourné sans l’emplacement exact et le repérage a duré un an et demi, pendant lequel l’équipe du film a visité des châteaux et des villas en France, en Italie et en Angleterre. Par hasard, nous avons découvert la Villa dei Laghi, un bâtiment situé au milieu de trois lacs artificiels (Cristoforo, della Strada et Grande), d’où son nom, situé dans le Parc Régional La Mandria près de Turin. Il a été construit entre 1863 et 1868 par le roi Vittorio Emanuele II comme repos de chasse.
Ce lieu joue un rôle fondamental et crucial dans l’histoire, par son architecture, ses multiples chambres, son mobilier et la riche salle à manger, avec les murs couverts de tapisserie, sa table à manger garnie de vaisselle en porcelaine. Des séquences du film nous révèlent aussi une salle circulaire, entièrement construite en bois, avec douze fenêtres (trois sur chaque façade) pour éclairer et faire de l’espace. Il émane de ce lieu à la fois singulier et qui respire la bourgeoisie du XIXème siècle, une atmosphère à la fois magique, surannée, inquiétante et oppressante.
Le cinéaste Roberto De Feo décrit la Villa dei Laghi comme
un lieu fascinant et mystérieux, une histoire d’amitié insolite et l’amour entre deux adolescents, une relation une mère/fils compliquée. Non seulement cela, mais aussi la croissance, la solitude, la découverte de l’autre, la peur du monde extérieur, la jalousie, la rupture de l’univers… la coquille de la mère et un premier amour. Voici les thèmes universels avec lesquels nous avons construit Il Nido, ensemble avec les scénaristes Lucio Besana et Margherita Ferri (lauréats du Prix Solinas – Histoires pour le Cinéma), avec l’intention d’impliquer les spectateurs et de les tromper, de les convaincre qu’ils regardent un film “classique”, une famille qui vit en huit-clos.
D’ailleurs, le scénario sème souvent le doute dans l’esprit des spectateurs quand ils observent toute la famille réunie dans le salon pour l’anniversaire de Samuel (Justin Alexandre Korovkine), les chaises disposées en rang autour de lui, qui sont occupés par une poignée de personnes en tenue de fête. A sa droite, le Dr Christian (Maurizio Lombardi), grand et angulaire, avec un air glacial. A côté de lui se trouve la petite figure de Lidia (Carlina Torta), Père Luca (Roberto Accornero) dans la robe sombre d’un prêtre et sa femme Carla (Cristina Golotta), une femme grise et fatiguée. A côté d’Elena (Francesca Cavallin), l’oncle Claudio (Massimo Rigo), avec un air imposant et éternellement satisfait, et Filippo (Fabrizio Odetto), l’un des vétérans de la vie, à la peau couleur cuir. Ce petit monde semble composer une soirée d’apparence agréable. Debout, les servantes Clara (Elisabetta De Vito) et la jeune Greta (Valentina Bartolo), les deux gardiens Igor (Gabriele Falsetta), grand et robuste, et Diego (Gianmaria Martini), plus court et frêle, avec un visage osseux et peu intelligent sous une casquette.
Au fil de l’histoire, on découvre le jeune Samuel, paraplégique depuis l’enfance, un garçon sensible et d’une vive perspicacité et d’une timidité courageuse. Il a l’air pur, comme quelqu’un qui a grandi protégé du monde extérieur mais on compareend rapidement qu’il est brimé, cloîtré et muselé par sa mère, soutenue dans son éducation répressive par les « soins » discutables du Dr Christian. Une autre scène montre ce dernier faire quelques exercices aux jambes de Samuel puis lui administrer une piqûre alors que Sam uel a confié à sa mère avoir pu bouger les orteils alors qu’il écoutait de la musique. Tout est alors clair pour les spectateur : Samuel pourrait recouvrer l’usage de ses kambes s’il n’était pas victime des soins prodigués un peu trop assidument par le fameux docteur.
Elena n’a de cesse de répéter à son fils qu’il doit se plier aux règles de la Villa s’il veut être capable d’en reprendre les rennes. Dans les premières scènes, cette femme fascine par son port altier, ses tenues et son allure, mais rapidement elle inquiète par sa rigueur et son autoritarisme. La discipline qui la caractérise semble tenir en laisse une férocité prête à se libérer à tous moments. D’ailleurs, effrayée par la fascination de son fils pour la jeune Denise, jeune fille flamboyante, intelligente et pragmatique, elle renvoie la jeune fille avant de la faire revenir, un immense sourire pour l’accueillir. Un sourire de façade, histoire de mieux l’appâter avant qu’elle ne se fasse torturer par le docteur qui sévit dans les lieux.
D’ailleurs, les spectateurs savent rapidement dans la narration à qui ils ont à faire avec le Dr Christian quand celui-ci doit punir une des membres de ce microcosme qui a trop parlé devant Samuel : il lui fait réciter les règles de la Villa, puis lui passe un foulard autour du cou, le noue et l’étrangle jusqu’à ce qu’elle perde son souffle et la laisse dans la pièce où il l’a torturée en lui disant : « Tu boiras un verre d’eau quand tu auras repris ton souffle. » Le public est fixé.
Le réalisateur a déclaré à propos de son film :
Avec Il nido, j’ai voulu raconter une histoire qui ressemblait à une histoire différente de celle que j’ai vécue dans ma vie, le genre thriller/horreur, voulant “déguiser” le genre du film à suspense. Quelque chose de différent, un roman de l’avènement de l’âge adulte où la peur n’est pas le résultat d’un bruit soudain ou d’un visage monstrueux mais la peur de la vie elle-même. Le cinéma qui m’inspire est celui qui joue avec le spectateur : l’amour de jeter le public dans un univers opposé à celui dans lequel il se trouve. Visuellement, j’ai été inspiré par des films comme The Others par Amenàbar et Le Village par Shyamalan, leurs couleurs froides, un rythme lent et des atmosphères sombres, qui dans un contexte comme celui de la Villa dei Laghi, nous a donné le sentiment d’être dans un point indéfini dans le temps et l’espace.
Le film se termine par une étrange scène : alors que Denise, qui conduit la voiture d’Ettore, et Samuel ont pris la fuite, Samuel admire le paysage par sa fenêtre et soudain, Denise plante les freins et se met à klaxonner. On voit alors surgir une foule de zombies qui arrivent en direction des deux jeunes.
Une scène de réminiscence entre Elena et le père de Samuel donne des clefs de lecture; on vous la laissera la découvrir, histoire de ne pas déflorer ce passage révélateur du film.
La séquence finale, peuplée de ces nombreux zombies, semblent induite et gratuite par rapport au reste du récit qui se tenait parfaitement dans le suspens, l’horreur croissante et l’oppression. On s’interroge sur la présence de ces zombies … Est-ce tendance ? Il est vrai que cette année 2019 nous a permis de voir déjà souvent des des zombies. C’est peut-être la signature des productions sorties cette année et elle n’est pas encore finie !
Firouz E. Pillet, Locarno
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