Locarno 2019 : les films en compétition pour l’Allemagne, la Suisse et la Bulgarie
Das freiwillige Jahr (L’année de volontariat), de Ulrich Köhler et Henner Winckler, représente l’Allemagne dans le concorso internazionale
Encouragée par son père, qui espère la sauver d’une vie en province, Jette est sur le point de passer un an à faire du bénévolat au Costa Rica. Mais l’amour fait obstacle aux projets de son père, et la fille ne sait plus ce qu’elle veut.
Dès la séquence d’ouverture, Das freiwillige Jahr suit Urs, un homme quinquagénaire qui a l’air de toujours vouloir sauver le monde, dont ses proches qui ne lui demandent rien.
Jette (Maj-Britt Klenke) se rend à l’aéroport pour commencer une année sociale de bénévolat en Amérique centrale. Son père Urs (Sebastian Rudolph) veut qu’elle mène une vie libre et autodéterminée et qu’elle ne reste pas coincée dans la province ouest-allemande comme lui. Mais Jette est déchirée entre son amour d’enfance Mario (Thomas Schubert) et les attentes de son père. Elle ne peut plus éviter la question de ce qu’elle veut elle-même. Arrivée à l’aéroport, en compagnie de son petit ami Mario, Jette est prise de doutes, d’incertitude sur ce voyage et cette année de volontariat qu’elle ne semble pas avoir choisi mais que son père lui a imposé.
Das freiwillige Jahr décrit, à travers les interrogations existentielles des personnages, en particulier Jette, l’impossibilité de forcer le bonheur. Emprisonné dans un état d’urgence, Urs se déplace comme un animal traqué, voire pris au piège : trahi par sa fille qui n’est plus une enfant, blessé par un frère, Falk (Stefan Stern) qui n’a peut-être plus besoin de lui, en couple harmonieux avec Pia (Margarita Breitkreiz), Urs reste persuadé qu’il doit sauver son frère de l’alcoolisme, au point d’ameuter tous les voisins et de défoncer la porte de son appartement.
Le duo de cinéastes signe un cinéma d’état d’urgence, capturé avec précision, empreint d’un rythme soutenu qui symbolise la fuite d’une adolescente du carcan de son père par de multiples échappatoires.
Derrière la caméra se trouve Ulrich Köhler, né en 1969 à Marburg. De 1989 à 1991, il étudie l’art à Quimper, puis la philosophie à Hambourg, puis la communication visuelle à la Hochschule für Bildende Künste (diplôme 1998). Il y réalise de nombreux courts métrages. Les longs métrages d’Ulrich Köhler ont été projetés dans de nombreux festivals à travers le monde. La maladie du sommeil (2011) a remporté l’Ours d’argent de la meilleure réalisation à la Berlinale 2011. In My Room (2018) a été créé à Cannes.
A ses côtés oeuvre Henner Winckler, né en 1969 à Hünfeld. Il a étudié la communication visuelle et le cinéma à la Hochschule für Gestaltung Offenbach et à la Hochschule für Bildende Künste Hamburg et a obtenu son diplôme en 1998. De 2004 à 2010, il a enseigné à la Hochschule für Film und Fernsehen Konrad Wolf Potsdam-Babelsberg et de 2014 à 2018 à la Met Film School Berlin.
Les films de Henner Winckler School Trip (2002) et Lucy (2006) ont été projetés dans de nombreux festivals dont la Berlinale, Londres et Karlovy Vary.
Le tandem de déclarer :
Urs est une personne engagée. Il veut que sa fille apprenne à connaître le monde et à faire le bien. Elle va passer un an à travailler dans un hôpital au Costa Rica. J’ai une fille qui a fait une année de volontariat en Inde. Elle n’était pas un modèle pour la figure de Jette, mais j’ai ressenti la douleur de la séparation. L’année à l’étranger et ce que vous faites après avoir obtenu votre diplôme d’études secondaires est un sujet important dans mon environnement. Il y a presque quelque chose comme une compétition dans le fait que l’enfant fait l’année sociale bénévole la plus intéressante.
O fim do mundo, de Basil Da Cunha, le film suisse en compétition
O fim do mundo (La fin du monde), distribué par Sister Dsitribution, est, certes le film suisse en concours international mais il se déroule dans une favela de Lisbonne, dans la communauté d’émigrés cap-verdiens, et donc est parlé en portugais.
Le générique d’ouverture fait retentir les carillons d’une cloche puis la séquence d’ouverture film, en gros plan frontal, les visages des personnes qui assistent à la messe de baptême d’une fillette portée à bout de bras par sa mère.
Dans une zone menacée de démolition, le cinéaste lausannois Basil Da Cunha projette des habitants locaux dans son film. Il les glorifie dans leur humanité complexe, capturant leur beauté malgré la logique perverse qui les anime, liée certainement à leur condition de paupérisation extrême : on comprend que, dans ce bidonville, tout acte du quotidien est lié à la survivre. En filmant leur regard, Basil Da Cunha leur donne une voix, une voix souvent bafouée, donc occultée et ignorée par tous.
Après huit ans passés en maison de correction, les spectateurs assistent à l’arrivée de Spira qui revient à Reboleira, un bidonville en cours de destruction dans la banlieue de Lisbonne. Tandis qu’il retrouve ses amis et sa famille, Kikas, un vieux trafiquant du quartier lui fait comprendre qu’il n’est pas le bienvenu. Sans espoir à l’horizon, Spira essaie de voir au-delà. Il se déplace dans le quartier comme un ange – un ange sombre.
Dans une atmosphère souvent nocturne, filmant au plus près des corps et à la lueur de la nuit, le film adopte le rythme mélancolique des tragédies de l’Antiquité. Car il est bien question de héros, prêts à tout pour tenter de surviere dans cette jugle urbaine où chacun tire son épingle du jeu, prompt à en venir aux mains pour récupérer un siège de toilettes dans les amas de détritus.
Chacun de ces jeunes protagonistes entretient une relation singulière à cette future « cité disparue », nostalgie, indignation, résignation, dépit :
Il y a Iara, jeune mère-adolescente qui n’aspire qu’à un ailleurs sans avoir la moindre idée de comment l’atteindre … Qui sait ? un retour à ses terres d’origine, le Cap-Vert, qu’elle ne connaît pas vraiment ? Il y a Chandi, fils adoré de sa maman. Jouisseur, économe de ses mouvements, et suiveur, il semble se faufiler, discrètement, parmi la meute de meneurs. Mais il n’est pas insensible au charme de la discrète Iara et quand cette dernière rêve de voir réellement des chevaux blancs comme ceux qu’elle regarde à la télévision, Chandi lui fait la promesse de l’emmener le lendemain observer des chevaux blancs dans un pré tout proche. Le début d’une idylle ? Il y a Giovani, jeune dealeur sauvage et à l’objectif clair : prendre possession de « la cité » !
Co-produit par RTS Radio Télévision Suisse, O fin do mundo a enthousiasmé les journalistes suisses, en particulier romands.
Le film de Pedro Costa (Portugal), qui a obtenu le prix tant convoité du Pardo d’oro (Léopard d’or), Grand Prix du Festival de la Ville de Locarno pour son film Vitalina Varela, nom de la protagoniste qui a obtenu d’interprétation féminine, a du lui faire ombrage car, malheureusement, Basi Da Cunha est parti bredouille de Locarno.
Rappelons que Basil Da Cunha a réalisé plusieurs courts métrages autoproduits avant de rejoindre Thera Production en 2008, puis À côté (2009). En 2009, il s’installe dans le quartier Reboleira de Lisbonne, où il dirige Sunfish et Os Vivos Tambem Choram (Quinzaine des réalisateurs 2011 et 2012). En 2013, il réalise son premier long métrage After the Night (Quinzaine des Réalisateurs 2013). Son film suivant fut Nuage noir (2014), suivi de son deuxième long métrage O Fim do Mundo.
Cat in the Wall, de Mina Mileva et Vesela Kazakova, représente la Bulgarie, dans une co-production de la Bulgarie, du Royaume-Uni et de la France
Cat in the Wall raconte l’histoire vraie de la façon dont un chat, coincé dans un mur, change la vie des migrants ambitieux, profite aux fraudeurs et aux voisins, préoccupés par les conséquences du Brexit sur leur existence tout en le souhaitant, les Brexiters.
En tant que documentaristes, Mina Mileva et Vesela Kazakova ont toujours été audacieuses dans leurs choix. La rage du duo imprègne leur première incursion dans la fiction, Cat in the Wall même si l’approche pour filmer les diverses personnages que nous suivons – et elles sont nombreuses puisque le film nous fait assister, en immersion participative, aux réunions qui animent les voisins pour parler des travaux imposés dans leurs séries d’immeubles et du Brexit, of course !, à travers un examen des absurdités et des injustices de la société à travers les yeux d’Irina, une mère bulgare célibataire dont la place à Londres est remise en question à tous points de vue. Elle est pourtantt légalement en Angleterre mais, suite à des accusations du voisinage qui a appelé la police, prétendant que le frère d’Irina a fait de l’exhibitionnisme sur les balcons, Irina doit arguer son droit de rester à Londres avec son jeune fils.
Le magnifique chat rouquin que le fils d’Irina a pris en affection à force qu’il vienne, affamé, réclamer de la nourriture chez eux, n’est qu’un prétexte. Une voisine vient le réclamer, prétextant qu’il est un cadeau que sa fille, qui ne s’occupait pas du chat, a reçu de son père, transformant en “chat dans le mur” métaphorique, tout comme la vraie.
Rapidement, l’affaire du chat laisse place à des attitudes et de propos racistes, voire xénophobes de la part des voisins, repris aussitôt par les forces de l’ordre qui, sous prétexte de porter un uniforme et de représenter la loi, ne laisse pas voie au chapitre aux travailleurs bulgares.
Cat in the wall donne la parole aux petits gens, broyées par le système capitaliste qui n’a que faire des « working poors » : Irina a un diplôme d’architecte mais n’a pas obtenu de travail dans un bureau d’architecture. Elle est serveuse dans des bars. Son frère est historien mais se retrouve à installer des antennes de télévision pendant plusieurs heures pour trente-cinq livres par jour.
Le film présente un intérêt certain vu les thématiques abordées – racisme issu de la méconnaissance d’autrui, stigmatisation des étrangers, le Brexit et les Brexiters – mais pêche par de trop longues réunions, très bavardes, qui finissent par lasser les spectateurs.
Mina Mileva a co-réalisé plusieurs courts métrages d’animation et deux documentaires avec Vesela Kazakova. C’est leur premier film de fiction.
Vesela Kazakova a co-réalisé les documentaires Uncle Tony, Three Fools and the Secret Service (2014) et The Beast is Still Alive (2016) avec Mina Mileva.
Firouz E. Pillet, Locarno
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