Locarno 2021 – Concorso Cineasti del presente : Il Legionario (The Legionnaire) de Hleb Papou aborde le sujet de la société multiculturelle italienne mais se perd dans le tissu de son histoire
Toute l’Europe est confrontée à ce sujet délicat de sociétés ethniquement homogènes, du moins dans leurs classes visibles et représentées dans l’espace public, que se découvrent multiculturelles à travers les générations suivant les primo-arrivants revendiquant leur appartenance totale au pays natal – dans les devoirs comme dans les droits ! Cela ne va pas sans heurts dans de nombreux pays, avec des fractures qui se forment et des blessures sociétales qui ne cessent de saigner avec, souvent, pour seul garrot, le recours à l’extrême-droite qui se nourrit comme un vampire de ces cicatrices suppurantes. Hleb Papou, né en Bélarus qui vit depuis 2003 en Italie, a fait de son court métrage éponyme sélectionné à la Semaine de la Critique de la Mostra de Venise en 2017, un long métrage pour développer son propos. Malheureusement, comme souvent dans un premier film, le cinéaste s’est perdu dans son propos, incluant trop de sujets effleurés au lieu d’en creuser un ou deux. On comprend l’idée générale, on reste pourtant sur sa faim à la dernière image. L’histoire de Daniel, seul policier d’origine africaine dans le département anti-émeute de la police de Rome, et de son frère Patrick, chef de file des occupants d’un immeuble où vivent 150 familles où va intervenir l’escadron de Daniel à des fins d’évacuation, n’en reste pas moins intéressante.
Plusieurs lignes de confrontation traversent Il Legionario : la très classique opposition entre deux frères aux aspirations et visions du monde divergentes, le face à face brutal entre une certaine police et des citoyens manifestants, l’antagonisme irréductible entre les groupes politisés et racialisés, le conflit au sein des classes les plus défavorisées entre celles déclassées et celles marginalisées. Il y a aussi, en tension faible mais toujours prête à produire un court-circuit, les tensions retenues au sein des corps constitués, avec pour révélateur le plus manifeste le racisme inter-ethnique – on est toujours le Juif, l’Arabe, le Noir ou le Rrom de quelqu’un.e d’autre, n’est-ce pas ? – et le racisme endémique dans l’appareil d’État dont la plus grande perversité tient probablement au fait que lorsqu’il adopte un racisé, celui-ci se censure et fait constamment profil bas pour ne pas être éjecté de la nouvelle « famille ».
Le conflit d’identité que représente Daniel, surnommé « barre de chocolat » par ses coéquipiers, aurait dû être la ligne force du film, car c’est bien en lui que se rencontrent nombre de questions : comment sortir de sa condition sans renier ses origines ? Trouver et/ou créer une nouvelle famille signifie-t-il répudier sa famille d’origine ? Comment s’intégrer sans renoncer à ses valeurs ? Daniel veut se dissoudre dans le corps de son équipe et de la société, s’invisibiliser, tout en sachant que c’est impossible – en tous les cas son corps le sait, puisque lorsqu’il marche dans la rue en civil, il marche tête basse, épaules enfoncées, au plus près des murs et recoins d’ombre. Le deuxième élément, intéressant mais plus brouillon dans son traitement est celui méconnu des immeubles occupés dans les grandes villes italiennes, lieux autogérés, insalubres et, cyniquement, éléments d’intérêts politiques locaux.
Où sont les femmes dans le récit de Hleb Papou ? Elles sont principalement des mères qui traversent l’histoire comme des silhouettes : la mère de Daniel et Patrick est probablement une femme forte qui a émigré et élevé seule ses deux fils, mais elle est représentée comme une personne sans perspectives qui suit simplement son fils Patrick ; la femme de Daniel, enceinte de leur premier enfant n’a aucune épaisseur narrative ni psychologique ; la mère de l’enfant de Patrick, une Italienne d’origine albanaise, sert de prétexte à la relation père-fils ; les femmes des policiers de l’escadron n’existe qu’à table autour d’un barbecue… Un peu plus d’inclusion genrée dans cette histoire aurait fait du bien à ce récit somme toute assez classique dans l’histoire du cinéma dans la caricature des luttes politiques et sociétales.
De Hleb Papou; avec Germano Gentile, Maurizio Bousso, Marco Falaguasta, Félicité Mbezelé; Italie, France; 2021; 82 minutes.
Malik Berkati, Locarno
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