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Locarno 2023 : concourant dans le Concorso internazionale, le troisième long métrage de Basil Da Cunha, intitulé Manga D’Terra, est en lice pour le prestigieux Léopard d’or

Avec son premier long métrage Après la nuit, présenté en 2013 à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes et O fim do mundo, son deuxième long métrage, tous deux tournés dans le quartier cap-verdien de Reboleira, Basil Da Cunha y a tourné ce troisième volet en faisant la part belle aux femmes.

— Eliana Rosa – Manga D’Terra
© AKKA Films Basil Da Cunha

Ses deux premiers longs métrages avaient des protagonistes masculins, un monde qu’il avait côtoyé quand il s’était installé dans le quartier de Reboleira. Les femmes étaient présentes sans être sur le devant de la scène. Avec ce troisième volet, le cinéaste vaudois – de mère valaisanne et de père portugais – rend un vibrant hommage aux femmes du quartier de Reboleira à travers un film musical (attention ! Ce n’est pas une comédie musicale !) qui jouit d’une bande-son entraînante et variée, entre funk, jazz mêlés aux sonorités des musiques traditionnelles de l’archipel, comme la morna, la coladeira, le funana, que Cesária Évora avait fait connaître au monde. Les chansons du film, interprétées par Eliana Rosam ont été composées par elle-même.

Avec Manga D’Terra, Basil Da Cunha suit le parcours difficile de Rosa, vingt ans, qui a confié ses deux enfants, Ellis et Yuti, auprès de sa mère au Cap-Vert pour s’établir à Lisbonne dans l’espoir de leur offrir une vie meilleure. Subissant le harcèlement des caïds de la favela lisboète et les violences policières quotidiennes, Rosa essaie de trouver du soutien et du réconfort auprès des femmes de la communauté qui, affectueusement, la prénomment Rosinha, Petite Rose. Posant sa caméra dans ce quartier cap-verdien de Reboleira, le cinéaste place le public en immersion, au cœur de la vie du quartier de Reboleira, le faisant quitter le rôle de simple observateur pour participer de près au quotidien des personnages. Retrouvant les codes du film noir et du film de gangsters, Basil Da Cunha filme en proposant de nombreux plans différents qui donnent une énergie communicative et un rythme soutenu à son histoire. Si le quartier de Reboleira est un protagoniste que Basil Da Cunha cartographie depuis de nombreuses années, la musique est ici un personnage à part entière.

À Locarno, Basil Da Cunha nous a parlé de son travail, à la fois très écrit et empli de spontanéité, avec ses comédiens non professionnels, de la musique, de sa joie de retrouver le festival de Locarno.

 

Rencontre avec Eliana Rosa, née à São Vicente, l’une des îles du Cap-Vert, venue à Lisbonne avec ses parents et sa petite sœur, de quinze ans sa cadette. La jeune femme, âgée de vingt-deux, crève l’écran dans le film de Basil Da Cunha, par son charisme et sa beauté. Mais elle ne se contente pas d’incarner la protagoniste : elle a aussi composé plusieurs chansons qu’elle interprète dans le film. Sa maman l’a accompagnée à Locarno et a vécu ce partage avec le public avec sa fille mais vient de repartir à Lisbonne auprès des siens.

Vous jouez dans le troisième long métrage de Basil Da Cunha, Manga D’Terra, où vous interprétez la protagoniste, Rosinha : qu’avez-vous en commun elle avec elle ? La chanson, le plaisir de chanter ?

Comme protagoniste, j’ai le désir de travailler dans le cinéma non pas comme chanteuse, car je suis actrice de théâtre. Je suis venue du Cap-Vert au Portugal pour commercer des études. J’ai rencontré Basil alors que je chantais et j’ai ressenti l’envie de travailler dans le monde des arts, et surtout dans le cinéma tout en y joignant d’autres arts que j’aime comme la musique, en l’occurrence dans ce cas, du cinéma musical.

Au Cap-Vert, vous faisiez déjà cela ?

Au Cap-Vert, je faisais du théâtre, de la musique aussi. J’ai participé à un concours qui s’appelle « Todo o Mundo canta » (Tout le monde chante) et en ai gagné le concours à São Vicente. Toujours au Cap-Vert, j’ai fait la comédie musicale Mamma Mia !, Roméo et Juliette. Je suis allée à Macau faire un spectacle…

En portugais ?

Non, c’était un spectacle qui avait beaucoup de mots, destiné au public chinois : dans ce spectacle, il y avait de la poésie, de la musique, de la danse, de l’expression corporelle.

Vous connaissiez déjà les précédents films que Basil a tournés dans le quartier de Riboleira ?

Non, je ne connaissais aucun des films ni Basil quand je suis arrivée du Cap-Vert. Dans l’archipel, les gens devraient aider la culture du cinéma pour qu’elle devienne plus forte.

Comme dans de nombreux pays…

Tout à fait ! Pas toutes les îles de l’archipel cap-verdien ont des salles de cinéma. Il y en a à la capitale Praia, il y en avait à São Vicente, mon île, mais elles ont fermé. Quand Basil et moi allons aller au Cap-Vert, nous allons demander des écrans et le soutien du ministre de la Culture pour pouvoir toucher toutes les îles.

Dans l’entretien avec Basil, il nous a confié que vous avez écrit plusieurs chansons du film Manga D’Terra : pouvez-vous nous parler de votre travail de création ?

Je me souviens d’un jour où j’ai entendu de la musique et je trouvais qu’elle s’adaptait très bien à l’histoire. J’ai commencé à écrire les paroles et la musique sur la conjuration pour chasser les mauvais esprits, pour les faire sortir de la vie de quelqu’un qui empêche sa vie de bien se dérouler.

Il s’agit aussi de résistance ?

Tout à fait ! Dans les paroles, je parle des enfants, de faire en sorte d’éduquer les enfants, de l’émigration pour avoir une meilleure vie. J’avais de la musique déjà prête pour le film, d’autres musiques qui étaient miennes sur la « saudade », la nostalgie, le désir du Cap-Vert, la « morna » (la morna est une pratique musicale et chorégraphique traditionnelle de Cap-Vert qui intègre de la musique, des chants, de la poésie et de la danse; N.D.A.) que je chante a capella quand je vais à bicyclette.

C’est le style de musique que Cesária Évora a rendu célèbre à travers le monde ?

Oui, en effet ! Quand je suis arrivée au Portugal, j’écrivais dans ma chambre, car je ressentais beaucoup de nostalgie du Cap-Vert. J’ai commencé à écrire sur ce sentiment qui fait sens dans le film, comme je suis émigrante. Rosinha laisse deux fils au Cap-Vert, moi, je n’en ai pas mais c’est l’histoire commune de nombreuses personnes qui quittent leur pays et y laissent leurs enfants pour leur offrir une meilleure vie. Au Cap-vert, la vie est bonne mais le salaire est très mauvais. C’est très difficile économiquement.

Mais vivre dans le quartier de Riboleira est aussi difficile ?

Oui, c’est un quartier difficile mais les gens y ont la possibilité de trouver du travail. C’est un quartier où les gens sont pauvres, noirs, il y a de la discrimination.

On connaît bien la situation au Brésil où il y a de plus en plus de populisme et de racisme, et au Portugal ?

Il y en a aussi beaucoup ! Quand je suis arrivée, je suis allée à Cova da Moura, un quartier très connu au Portugal pour sa mauvaise réputation. Un jour, j’ai demandé à un chauffeur de taxi de m’y amener _ c’était la nuit, je rentrais de l’école de théâtre. Il a refusé car il avait peur que quelqu’un lui fasse du mal, le vole ou le menace avec des armes. Il considérait que les pauvres sont des voleurs, des semeurs de zizanie. Cela peut arriver, bien sûr ! Il y a de tout mais il ne faut généraliser. Il y a des gens qui travaillent, des femmes et des hommes immenses qui sont sérieux, qui travaillent dur comme domestique et employés de maison.

Ces personnes peuvent-elles accéder au système de santé ?

Oui, facilement, depuis qu’il y a plus de nationalités. C’est comme la Suisse : il y a des nationalités du monde entier. Des Brésiliens, bien sûr ! Surtout depuis le gouvernement Bolsonaro !

Quelle relation nourrissez-vous avec la musique brésilienne ?

Je l’adore ! J’adore la musique brésilienne, la samba, le tropicalisme, Ivete Sangalo, Elza Soares, IZA (Isabela Cristina Correia de Lima Lima), Alison. Nous avons beaucoup de choses en commun avec les Brésiliens comme le carnaval, beaucoup plus qu’avec l’Angola et le Mozambique. On regarde beaucoup de « fotonovelas » brésiliennes, des feuilletons télévisés. Le Brésil nous influence beaucoup dans la manière de parler, mais surtout dans la manière d’être.

Il ne vous manque que la caïpirinha ?

Non, on en a ! On a le grog, la cachasa qui est très bonne. Le carnaval du Cap-Vert a des chants, de la musique comme le carnaval de Rio. Vous devez venir découvrir le Cap-Vert !

Quelles impressions avez-vous d’être ici, au Festival de Locarno ?

Merci pour votre question ! Je suis tellement heureuse d’être ici à Locarno. C’est tellement incroyable ! Et beau ! Les montagnes, le lac, les gens. Après avoir vu notre film, les gens nous arrêtent dans la rue pour nous féliciter pour notre travail, ils me saluent : « Madame Rosinha, bravo ! » Hier, toute l’équipe du film a été invitée à manger à la Magistrale. J’ai adoré les glaces ici.

Pouvez-vous nous parler de vos projets ?

Oui, bien sûr ! Si Dieu le veut, j’ai le projet de faire un disque, avec toutes les chansons que j’ai écrites : deux sont dans le film de Bssil, deux ne s’y trouvent pas. C’est un mini-EP qui comporte quatre chansons pour pouvoir faire un plus grand ensuite. Je veux représenter le Cap-Vert à travers ma carrière. Ici, à Locarno, j’ai donné deux concerts.

Firouz E. Pillet, Locarno

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Firouz Pillet

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