Loving Highsmith, d’Eva Vitija, analyse l’œuvre de l’auteure américaine à la lumière de ses carnets intimes et révèle des facettes insoupçonnées de sa personnalité
Le centenaire de la naissance de Patricia Highsmith est arrivé à son terme, marqué par divers événements commémoratifs. Pour clore cette année de commémorations, un documentaire suisse, Loving Highsmith, d’Eva Vitija, a été nominé pour le 57e Prix de Soleure 2022.
Le 19 janvier dernier, le documentaire de la réalisatrice suisse-allemande a eu les honneurs de la soirée d’ouverture, doublement mérités puisque cela coïncidait avec le 101ème anniversaire de Patricia Highsmith: alors que le centenaire était passé relativement inaperçu pour cause de pandémie. Cette cérémonie, suivie de cette projection du film a permis de remettre en lumière la carrière et la personnalité de l’écrivaine texane.
Basé sur les écrits personnels de Patricia Highsmith et sur les témoignages de sa famille et de ses nombreuses amantes, le film jette un nouvel éclairage sur la vie et l’œuvre de la célèbre auteure de thrillers, imprégnée des thèmes de l’amour et de son influence déterminante sur l’identité. Loving Highsmith, produit en partie par les chaînes de télévision publiques SRF (en allemand) et RSI (en italien), retrace les jalons du parcours de la romancière populaire pour avoir signé en 1950 un roman appelé à une gloire internationale grâce à son adaptation par Hitchcock, L’inconnu du Nord-Express.
Le documentaire d’Eva Vitija rappelle que Patricia Highsmith crée l’énigmatique personnage de Ripley, qui apparaîtra dans cinq épisodes sur près de quarante ans dans son œuvre, peut-être parce que ce jeune homme, comme l’auteure, préfère les amours scandaleuses, l’arrogance de la solitude, les cigarettes et le whisky pour accompagner sa créativité, son talent littéraire et son penchant pour la noirceur.
Les Écrits intimes ne représentent qu’une infime partie de l’œuvre de Patricia Highsmith, aujourd’hui déposée à la bibliothèque de Berne. De ces trente-huit carnets et dix-huit journaux personnels, découverts à sa mort « cachés dans une armoire à linge » et qu’elle avait commencé à rédiger à l’âge de dix-huit ans. À travers ces écrits, les spectateurs découvrent une femme plus âgée, aigrie, misanthrope et paranoïaque.
Diplômée de Columbia à vingt-et-un ans après des études de langues anciennes, Patricia Highsmith suit un parcours peu ordinaire pour une femme dans les États-Unis fraîchement libérés de la Prohibition. Patricia Highsmith fuit la culture texane machiste ponctuée par les sempiternels rodéos pour s’établir à New-York où elle écrit une nouvelle pour Harper’s Bazaar et des scénarios pour Marvel Comics. Après le succès de L’inconnu du Nord-Express, elle publie Carol, (malgré le refus de quelques éditeurs) en 1954 sous le pseudonyme de Claire Morgan, pour anticiper sur la censure possible face aux amours saphiques. Mais ce roman ne fait qu’assoir son succès auprès d’un lectorat qui apprécie « l’élégance du style, l’équilibre de l’intrigue, l’art de camper des personnages ambigus mais fascinants, la remise en question de valeurs indûment établies, l’hypocrisie sociale, l’individualisme, l’importance de la culture (musique, peinture, architecture), le poids et la fascination de l’argent, et surtout l’impitoyable ironie » (Payot).
Si Loving Highsmith rappelle l’abondante création de Patricia Highsmith – la vingtaine de romans et les innombrables nouvelles publiés jusqu’après sa mort – le documentaire d’Eva Vitija n’explore pas ces pistes et préfère s’intéresser à ses Journaux et carnets couvrant les années 1941 à 1995, soit l’intégralité de sa vie adulte, et par là-même sa vie amoureuse avec ses très nombreuses rencontres et passions.
Ces cinquante-six carnets et cahiers furent retrouvés dans sa maison de la Vallemaggia, à Tegna, une sorte de maison à l’allure futuriste où, après les États-Unis et la France, elle s’était retirée en 1980.
Née en 1973 à Bâle, Eva Vitija a grandi à Zürich. La réalisatrice et scénariste a étudié à l’Académie du cinéma et de la télévision de Berlin et à l’Université des arts de Zurich. 2015 sort son premier long métrage documentaire en tant que réalisatrice, Turning Life. Comment mon père a essayé de capturer le bonheur qui offre un examen personnel de l’héritage de son père, qui, en tant que cinéaste ambitieux, a méticuleusement documenté la vie de sa famille.
Venue lundi à Genève pour l’avant-première de Loving Highsmith aux Cinémas Les Scalas, Eva Vitija nous a parlé de son film avant de rencontrer le public genevois. Eva Vitija se rend ensuite aux Visions du Réel à Nyon.
Rencontre audio
Firouz E. Pillet
© j:mag Tous droits réservés