Mostra 2020 : Jenayat-e bi Dechat (Careless Crime), de Shahram Mokri ou quand l’histoire contemporaine relit/relie le passé à travers un acte criminel
Le film s’ouvre sur trois hommes qui discourent sur les distances entre les sièges d’une salle de cinéma puis la caméra de Shahram Mokri suit un homme dans la fleur de l’âge mais qui a l’air maladif. Ce dernier entre dans une pharmacie et présente une ordonnance à un pharmacien, hors champ, qui refuse de lui procurer ce médicaments qui figure sur une liste étatique qui l’interdit. L’homme semble être résigné puis revient s’enquérir. Le pharmacien lui suggère de se rendre au musée des Beau-Arts.
Dans une salle qui retrace le drame du Cinéma Rex, complètement incendié et dont le commentaire indique qu’il s’agit d’une «immense avancée pour notre magnifique Révolution », le client de la pharmacie semble visiter les salles d’exposition mais est à la recherche d’une personne susceptible de lui fournir le médicament.
Ainsi, Shahram Mokri suit durant une journée très ordinaire, quatre personnes ordinaires qui décident de mettre le feu à un cinéma rempli de monde.
Rappelons, pour mieux cerner le propos du film, qu’il y a quarante ans, lors du soulèvement visant à renverser le régime du Shah en Iran, des manifestants ont incendié des salles de cinéma pour montrer leur opposition à la culture occidentale. De nombreux cinémas ont été incendiés. Dans un cas tragique, un théâtre a été incendié avec quatre cents personnes à l’intérieur, dont la plupart ont été brûlées vives.
Quarante ans se sont écoulés et, dans l’Iran contemporain, quatre personnes décident également d’incendier un cinéma. Leur cible est un théâtre montrant un film sur un missile déterré et non explosé.
Le passé et le présent se rencontreront-ils ? C’est en tout cas l’attention de Shahram Mokri.
Il nous permet de nous remémorer – pour certains, de découvrir – que le 19 août 1978, le cinéma Rex d’Abadan, en Iran, a été incendié. C’était censé être un acte de manifestation (de nombreuses autres salles ont été incendiées à ce moment-là), avec lequel les fondamentalistes ont voulu exprimer leur signe de protestation contre la culture occidentale, porté par le régime du Shah d’Iran.
Dans l’incendie du Cinéma Rex, qui à ce moment-là projetait The Deer de Masoud Kimiai, plus de quatre-cents personnes sont mortes, piégées dans la salle.
Le cinéaste Shahram Mokri (né deux jours avant la tragédie de Rex) revient à Venise – à nouveau dans la section Orizzonti – sept ans après Fish & Cat avec Jenayat-e bi Dechat (Careless Crime), film captivant, dérangeant et tortueux, accompagné d’une musique hypnotique qui, quatre décennies après le drame, suppose la répétition d’un scénario similaire.
Parallèlement à ces événements, nous assistons à des fragments du film Careless Crime projeté en plein air, le film que le public du cinéma regarde, qui traite d’un groupe de soldats bloqués dans la campagne iranienne depuis que leur jeep est tombée en panne.
Après avoir trouvé un missile d’un conflit passé qui n’a mystérieusement pas explosé, ils tentent d’atteindre le quartier général pour envoyer un mécanicien, malheureusement sans succès. Suite à l’offre d’un livreur dont la tâche est d’amener un générateur à un groupe de jeunes désireux de projeter un film en clair air pour les voyageurs, les soldats décident d’assister à la projection, ce qui entraîne plus de confusion.
Careless Crime ne prétend pas être la narration d’un événement historique, mais plutôt une réflexion sur le pouvoir de la narration cinématographique sur la manière dont une tragédie passée se reflète sur l’Iran moderne.
Le scénario, écrit par Mokri et le co-auteur Nasim Ahamdpour, suit une approche non linéaire, emplie de circonvolutions tant temporelles que spatiales qui sèment la confusion dans l’esprit des spectateurs et finissent pas perdre leur attention.
Ce truchement narratif s’avère audacieux et risqué, suivant divers incidents, personnages et groupes, mettant en abîme un film dans un film. avec l’histoire tournant autour des trois soldats.
L’intention de Shahram Mokri est louable mais aurait réussi à plus convaincre si la durée du film, qui dure deux heures dix-neuf, aurait été écourtée de trois-quarts d’heure.
Shahram Mokri s’exprime au sujet de son film :
«Un acte criminel irréfléchi tente de recréer des événements historiques importants. Mais ce film n’essaye pas de reconstituer l’histoire; il s’agit plutôt du cinéma lui-même. »
Firouz E. Pillet
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