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Mostra 2022 : Ti mangio il cuore, de Pippo Mezzapesa, présenté dans la section Orizzonti, met à jour, sans ménagement pour les spectateurs, la quatrième mafia italienne

Au cœur des Pouilles, dans la campagne brûlée par l’ardent soleil et surtout en proie à la haine transmise de génération en génération, le promontoire du Gargano est disputé par des criminels qui semblent venus d’un temps lointain régi par la loi du plus fort. Dans cette terre archaïque qui s’apparente au Far West italien, les crimes de sang se lavent avec le sang, inexorablement. Un amour interdit ravive une ancienne querelle entre deux familles rivales : celui entre Andrea (Francesco Patanè), l’héritier réticent de la famille Malatesta, et Marilena (Elodie), la belle épouse du patron de Camporeale. Une passion fatale, au sens de la tragédie grecque, ramène les clans à la guerre et à la vendetta sans fin.

— Elodie Di Patrizi – Ti mangio il cuore
Image courtoisie La Biennale di Venezia

Pour sauver leur honneur et celui de leur chef, Marilena est exilée par les Camporeale et prisonnière des Malatesta. D’une beauté fatale, et d’une force de caractère exceptionnelle, la jeune femme, contestée et outragée, s’opposera avec la force d’une mère à un destin déjà écrit.

Pippo Mezzapesa donne quelques clefs de lecture pour appréhender son film :

« La double âme de cette histoire, faite de cruauté et de passion, est contenue dans le titre du film. D’un côté une société archaïque et féroce, dominée par la violence des lois primitives qui régissent d’anciennes querelles mafieuses jamais vraiment éteintes, de l’autre le pouvoir de l’amour qui bouleverse et subvertit, une étincelle qui déclenche une nouvelle guerre, mais aussi le désir à une manière différente. Celle de Ti mangio il cuore est une histoire archétypale qui parle d’amour, de vengeance et de mort, mais aussi d’une terre d’une beauté bouleversante, le Gargano, déchirée et ensanglantée par une mafia méconnue et impitoyable. Un monde dans lequel la spirale de la violence semble tout submerger et détruire même l’amour, mais pas Marilena, qui n’a pas peur de vivre ses passions, ses désirs et n’entend pas se plier à un destin déjà écrit. Parce qu’un destin plongeurs est possible. »

Filmé soit à travers les vastes étendues de cette nature inquiétante où les brebis disparaissent malgré le travail assidu du chien de berger, Ti mangio il cuore fait aussi la part belle aux personnages, nombreux, filmés au plus près des visages dans les scènes de recueillement autour d’un défunt, assassiné, bien évidemment. Dans les scènes de rencontres tendues entre les deux clans, dans les scènes de réunions de famille où une apparente joie de vivre fait oublier les menaces de vendetta qui pèsent comme une épée de Damoclès.

Nous connaissions La Cosa Nostra en Sicile, exportée aux États-Unis, la ‘Ndrangheta pour la Calabre et la Camorra pour la région napolitaine, merveilleusement mise en lumière par le film Gomorra de Matteo Garrone en 2008. Ti mangio il cuore nous immerge avec intensité et bien malgré nous au cœur de la mafia des Pouilles, menant une enquête sur les abysses encore inexplorés de la Société Foggiana, la quatrième mafia italienne, en suivant les protagonistes et leurs décisions de vengeance.

Pippo Mezzapesa réussit à rendre tangible et cruciale la terrible loi du silence qui dicte toutes les décisions dans les moindres détails du quotidien. Sur ces terres qui transpirent les tensions et la haine entre les hommes, les animaux survivent tant bien que mal : les brebis, les cochons, les poules sont souvent libérés de leur enclos pour être mieux égorgées par le clan adverse, histoire de lancer une menace et faire comprendre que la vengeance suivante coulera les humains. Dans ces terres arides, personne ne parle, personne ne voit, personne ne se souvient, car celui qui parle est un mort-vivant qui sait son temps compté.

Cette quatrième mafia, qui sévit en Italie mais qui est aujourd’hui la moins racontée et la moins connue, nous est livrée par Pippo Mezzapesa avec brio et nous éclaire très explicitement sur ce milieu. À la Mostra, les films italiens sont attendus de pied ferme tant par les professionnels que par la presse et par les festivaliers. Le film de Pippo Mezzapesa également, et s’il a séduit les spectateurs italiens, il a surpris et informé les spectateurs étrangers sur cet univers insoupçonné. Pourtant, après la ‘Ndrangheta, cette quatrième mafia de la péninsule est la plus puissante et, de toute évidence, l’une des plus féroces.

Le dossier de presse précise :

Son influence s’étend sur les terres qui s’étendent du promontoire du Gargano à Cerignola, jusqu’à Foggia et San Severo, la société Foggia a son propre centre d’opérations, mais ses tentacules se sont maintenant étendues à un énorme chiffre d’affaires international. Sa violence est archaïque et bestiale. Ses membres signent les meurtres en tirant sur la victime au visage, car défigurer son apparence, c’est effacer sa mémoire. Ensuite, ils lèchent le sang de la victime. Ils font disparaître les cadavres en les donnant à manger aux cochons – par la force prédatrice et par le silence. Des années septante à aujourd’hui, il y a deux-cent-quatre-vingt meurtres non résolus, trente-cinq sur la seule période de deux ans de 2015 à 2017.

Pippo Mezzapesa a réuni une distribution impressionnante – Elodie, Francesco Patanè, Francesco Di Leva, Lidia Vitale, Brenno Placido, Tommaso Ragno, Michele Placido – pour relever le défi de mettre à jour cette société qui semble vivre dans la richesse obscène liée à son monopole de l’industrie agro-alimentaire. Le cinéaste est surtout parvenu à nous faire prendre conscience, à travers une histoire d’amour, que des pratiques qui paraissent appartenir à des temps révolus ont toujours bel et bien cours et que le bilan sanguin reste le mot d’ordre dans cette région.

Si ce film poignant dévoile cette organisation huilée qui engendre une catastrophe civile encore ignorée est très convaincant, il n’est pas certain qu’il soit acheté pour la Suisse si ce n’est au Tessin.

Firouz E. Pillet, Venise

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Firouz Pillet

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