Pessac 2018 : “Funan”, de Denis Do est en lice dans la catégorie film d’animation au Festival du Film d’histoire de Pessac
A l’instar de Rithy Panh, rescapé des camps de travail des Khmers rouges et qui a consacré sa filmographie à un travail douloureux mais nécessaire de mémoire, Denis Do confesse avoir pu se réapproprier sa culture d’origine à travers son travail sur Funan, un film qui relate l’histoire de ses parents à travers les figures d’un jeune couple et leur fils de trois ans, déportés avec leurs proches de Phnom Penh, la capitale du Cambodge.
Le film de Denis Do suit le combat silencieux de ces jeunes parents qui, malgré les risques qu’ils encourent et l’épuisement engendrée par la vie dans les camps, ne cessent de chercher leurs fils.
Cette coproduction française, luxembourgeoise, belge et cambodgienne, avec les voix de Bérénice Bejo et de Louis Garrel, a remporté le Cristal du meilleur long métrage du 42e Festival International du Film d’Animation d’Annecy ainsi que le Grand Prix et le Prix du Public au Festival de Los Angeles.
A travers une animation très réussie et aboutie, en particulier les paysages – les rizières, les cimes des arbres qui se découpent sur les nuages, la silhouette des flamands dans une étendue d’eau – et une bande-son très travaillée qui souligne tant la beauté des paysages que l’effroi, la peur et la fatigue qui se dessinent sur les visages ds déportés, Funan entraîne les spectateurs dans ce périple imposé vers l’inconnu. Le public se retrouve témoin sans pouvoir agir ni prêter main force, redoutant certaines scènes où les révolutionnaires frappent et tuent tous ceux qu’ils considèrent “traîtres à la patrie qui doit se libérer de l’impérialisme qui y a régné pendant de nombreuses années.”
Ayant grandi à Paris, le réalisateur a découvert le pays de ses parents en 1995 mais a été nourri par les stigmates que portent ses parents. Il précise que sa mère appelait les Khmers rouges
« les gens en noir », car ils étaient habillés en pyjama noir, et ça me faisait imaginer plein de choses, je me demandais qui ils étaient aujourd’hui.
C’est bien là la question que tout le monde se pose quand le travail de mémoire opère : on se demande comment la reconstruction d’une nation est possible alors que des soldats dont l’esprit a été retourné pour être parfaitement endoctriné à l’époque n’étaient, pour la plupart, que des adolescents ?
Comme le film de Denis Do le rappelle, le culte inconditionnel à Angkar a fait de nombreux déportés, mutilés, des morts qui s’épuisaient au travail dans les camps, des tout jeunes enfants aux personnes âgées et des condamnés qui subissant une sentence fantaisiste sous prétexte d’épuration des traîtres.
Rappelons que l’épuration est menée par la police secrète khmère rouge, le Santebal96. Le Kampuchéa démocratique n’a officiellement pas de prisons, mais les « centres de rééducation » se multiplient à travers le pays. Des Cambodgiens y sont incarcérés sous les prétextes les plus variés, allant du délit de droit commun à la dissidence politique réelle ou supposée, en passant par les relations sexuelles hors mariage. Les prisonniers des centres sont détenus dans des conditions abominables, et régulièrement soumis à la torture, pour être amenés à confesser des délits imaginaires.
Ces questions émergent, en filigrane, dans Funan qui rappelle les sacrifices faits par certains Cambodgiens pour sauver leur famille comme le jeune père de famille qui se précipice devant les révolutionnaires pour laisser sa femme et son fils fuir, au-delà d’une colline, vers la Thaïlande.
On aurait souhaité rencontrer Denis Do tant son film bouleverse, rendant hommage à la mémoire des victimes de génocide, à travers une animation lumineuse et aux tonalités délicates qui contrastent avec la dureté du contexte socio-politique. Malheureusement, Denis Do ne viendra à Pessac que dimanche 25 novembre alors que la sous-signée sera sur le départ … Le réalisateur sera-t-il présent le dernier jour pour y recevoir un prix ? Ce sera fort mérité !
Firouz E. Pillet
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