Petite sélection de films présentés à la 13e édition du Festival des cinémas d’Afrique à Lausanne du 23 au 26 août 2018
j :mag couvrant de nombreux festivals durant l’année, à côté des critiques ad hoc faites pour le Festival des cinémas d’Afrique (MaB), nous vous renvoyons également à une petite sélection de critiques et interviews faites cette année par Firouz E. Pillet (FeP) et Malik Berkati (MaB) de films présentés dans cette édition.
Des mouton et des hommes (Prix de Soleure 2018) de Karim Sayad : Interview du cinéaste lausannois par FeP.
En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui : critique de MaB.
Razzia de Nabil Ayouch : critique de FeP ; interview de Nabil Ayouch par FeP.
La Belle et la meute de Kaouther Ben Hania : critique de MaB ; critique de FeP.
Mabata Bata
Une introduction oxymorique spectaculaire ! De magnifiques paysages, une lumière douce et dorée de crépuscule du matin, un enfant qui court tout sourire… un bruit métallique – cut sur écran noir.
Basé sur la nouvelle de Mia Cout, O Dia Em Que Explodiu Mabata Bata (Le jour où a explosé Mabata Bata, 1986), ce film raconte l’histoire d’Azaria, un jeune berger orphelin, qui rêve d’aller à l’école mais doit garder le troupeau de son oncle Raul qu’il doit absolument faire engraisser car c’est son sésame pour pouvoir épouser la fille du chef du village. Le plus bel animal du troupeau destiné à payer la dot est Mabata Bata. Un jour, alors que, en compagnie d’un de ses camarades, le garçon joue avec une munition trouvée sur le sol, le bœuf s’éloigne du troupeau et explose sur une mine laissée par les combattants de la guerre civile qui dévaste le pays. Craignant les représailles de son oncle, Azaria s’enfuit dans la forêt, vers la maison qu’il habitait avec sa famille avant la guerre.
Mabata Bata est un film imprégné de traditions, de rituels, de superstitions, d’esprits qui hantent les vies des villageois mais permettent également, avec ce pas de côté narratif, de parler de ce qui détruit les individus, modèle l’histoire collective et les vies individuelles. Autre instrument original qui brouille les frontières du réel et du temps, l’incarnation d’Azaria qui est enfant, par un acteur adulte quand son esprit est invoqué alors que le narrateur a une voix d’enfant.
Sous des airs de fable tragique, le film de Sol de Carvalho nous parle, comme toutes les fables d’ailleurs, du réel et de ses fondamentaux : de la quête du bonheur personnel, du tribut individuel donné à la société, à la famille et, de manière plus spécifique aux régions rongées par les guerres, aux structures de fonctionnement de base ravagées, de la prise en otage des populations prises en étau entre l’enclume et le marteau… et les mines.
Même quand les esprits et les villageois, par l’entremise de la prêtresse trouvent un terrain d’entente pour cohabiter et planter la graine du pardon, la main armée de l’humanité revient pour mettre à feu et à sang le lieu qui avait été apaisé. L’esprit commente cet état de fait ainsi :
« Les semences que nous avons mis en terre sont maintenant comme des balles. Mais les balles ne donnent pas de fruits. »
Vu sous cet angle, l’espoir n’a pas d’espace pour s’exprimer, mais Mabata Bata ne reste pas sur cette note désespérante et laisse entrevoir un chemin, qui ne s’ouvre pas par magie mais doit être activement emprunté, comme la jeune fille du village, dont était amoureux Azaria, le fait en partant d’un pas décidé vers ce qu’il y a derrière l’arbre de la petite colline, sur le commentaire de l’esprit de son amoureux :
« Les rêves se perdent. Ils s’en vont avec le vent et la guerre. Il ne reste en nous que le silence ; c’est une obscurité que rien ne vient rompre à moins que, sans qu’on ne s’y attende, une porte s’ouvre et nous laisse savourer l’avenir. »
Ce film nous promène sur le fil d’une histoire très simple mais loin d’être simpliste, absolument dramatique mais aucunement larmoyante, splendide visuellement sans être esthétisante.
de Sol de Carvalho; avec Emílio Bila, Wilton Boene, Medianeira Massingue; Mozambique; 2017; 74 minutes.
Jusqu’à la fin des temps
Présenté dans le cadre de la Carte blanche Rencontres Cinématographiques de Bejaïa (4 films), Jusqu’à la fin des temps de la jeune réalisatrice algérienne Yasmine Chouikh offre une très jolie comédie dramatique qui, même s’il lui faut un peu de temps pour s’installer, évolue de belle manière à mesure que l’histoire se développe, histoire qui semble à la fois intemporelle mais est volontairement ancrée par la réalisatrice dans notre temps par ce petit clin d’œil à la contemporanéité avec un égoportrait pris dans la première scène par deux jeunes femmes.
Joher, une sexagénaire (la parfaite Djamila Arres) est venue à Sidi Boulekbour pour se recueillir sur la tombe de sa sœur. Déprimée, au bout du rouleau, elle n’a qu’un but, préparer ses propres funérailles avec l’aide d’Ali (le non moins parfait Boudjemaa Djillali), le fossoyeur et gardien du cimetière. Ce cimetière est sous la protection de la tombe d’un marabout, ce qui amène chaque année des pèlerins venant se recueillir sur la tombe de leurs proches. L’arrivée de Joher va bouleverser l’équilibre de fonctionnement du cimetière et du village et surtout bouleverser la vie d’Ali. Avec pour scène le cimetière et pour figurants les tombes, un théâtre amoureux va se créer entre les personnages à qui la vie n’a jamais été tendre.
La construction des personnages est particulièrement réussie, dans un savant mélange de figure stéréotypée, afin de rendre son rôle dans l’histoire immédiatement reconnaissable – comme par exemple Nabil (Mehdi Moulay), jeune homme débrouillard et considéré comme farfelu de vouloir développer le business de l’enterrement ou Ali le vieux fossoyeur introverti –, et un approfondissement de la personnalité qui s’opère avec l’avancée de l’action. Élément remarquable à signaler, car s’il existe un point faible récurrent dans les scénarii, cela est bien celui de la profondeur et/ou de l’évolution des protagonistes !
L’humour est un autre éléments qui participe à la réussite de ce film, un humour subtil, léger et venant à-propos contrebalancer le sous-texte dramatique de cette histoire. Certaines scènes sont même savoureuses, comme celle où une femme, accompagnée de ses deux filles, sur la tombe de son mari ne cesse de houspiller le défunt, l’accusant de simuler pour ne pas faire face aux obligations envers elles – quand Ali lui fait remarquer qu’il ne peut pas survivre à 3 jours sans respirer, elle s’exclame :
« Tu ne le connais pas, il est capable de choses auxquelles même le diable n’a pas pensé ! »
Le sujet de la mort est ici plus qu’un prétexte narratif, il fait office de révélateur sociétal et ceci de manière très intelligente. Le premier bain de développement met en évidence quelque chose de tout à fait universel, celui de l’ambivalence vis-à-vis de la mort qui est, au-delà du deuil individuel, un business séculier et religieux, mais également le transfert de la peur sur ceux qui travaillent avec elle au quotidien, avec parfois une ostracisation pour conjurer les éléments de superstition qui se collent à la grande sorgue qui doivent se conjuguer avec les réflexes rhétoriques d’imputation à la fatalité – et plus précisément à la volonté de dieu. Le second bain révèle également des instincts assez largement répandus en ce monde, ceux de préserver honneur et dignité, jusque dans la mort, de la médisance, du qu’en dira-t-on. Et le dernier parvient, en négatif, à donner une image de la vie.
Jusqu’à la fin des temps est un film lumineux, qui ne prêche jamais mais fait miroiter par petites touches des évidences que l’on a tendance à oublier. Le vrai sujet, c’est bien sûr la vie : les cinq protagonistes principaux sont tous empêchés dans leur vie, par le carcan sociétal ou culturel, mais aussi par eux-mêmes, comme une représentation collective de tous ces Algériens qui, à l’instar de Vladimir et Estragon qui attendent Godot ou Giovanni Drogo attendant l’ennemi dans le désert des Tartares, attendent pour enfin vivre leur vie. La mort est ici bien souvent le seul refuge auquel on peut penser pour supporter la vie ici-bas et rêver d’un meilleur sort dans l’au-delà.
Cette ode à la vie proposée par Yasmine Chouikh est d’une réelle beauté quand la caméra capture ces visages qui petit à petit reprennent des couleurs, attrapent et rendent la lumière, esquissent à nouveau des sourires sur les lèvres et dans les yeux. Cependant pas d’affectation, de mièvrerie dans ce film. Les fins sont ouvertes et restent dans les mains des protagonistes, certains dans la poursuite de leur voie, d’autres dans la construction de leur nouvelle vie, Joher et Ali dans un choix à faire… ou pas.
Ce film est l’occasion de se rappeler de ce très beau vers de Boris Vian :
Pourquoi que je vis
Parce que c’est joli
de Yasmine Chouikh; avec Djillali Boudjemaa, Djamila Arres, Imen Noel, Mohamed Benbekreti, Mohamed Takerti, Mehdi Moulay; 2018; Algérie; 94 minutes.
Malik Berkati
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