FIFDH 2021- Coronation de Ai Weiwei qui continue à faire contrepoids au discours officiel chinois, ici sur la gestion de la crise sanitaire à Wuhan
Nous sommes en janvier 2020, alors que le monde regarde avec circonspection ce qu’il se passe en Chine suite aux nouvelles alarmantes concernant la nouvelle forme de coronavirus qui ronge la ville hyper moderne de Wuhan, capitale de la province du Hubei, les autorités chinoises ferment totalement la ville et confine ses habitants. Pour savoir ce qu’il s’y passe réellement, Ai Weiwei demande, depuis son exil européen, à 12 habitant.es de Wuhan de filmer au cœur du cyclone, de donner une version intérieure, faite de chair et de sang, loin des images officielles aseptisées, de la situation, nous faisant entrer dans les hôpitaux dans le sillage des soignants, les parkings où se cachent ceux venus de la province construire l’immense hôpital et qui ne peuvent plus rentrer chez eux, les appartements confinés, les livreurs de colis et bien de première nécessité, les familles endeuillées. Ai Weiwei a reçu 500 heures d’image tournées pendant le confinement, du 23 janvier au 8 avril 2020, à partir desquelles il a monté un film d’une heure cinquante qui donne un visage et une parole à une population balayée par la raison d’État.
Ce n’est pas une critique formelle, c’est une constatation : Ai Weiwei est un artiste multi-supports et médias avant d’être un cinéaste, qui plus est un artiste militant, c’est-à-dire qu’il sait parfaitement mettre en place les dispositifs artistiques qui mettent en évidence son propos. Une fois ceci posé, on peut regarder en toute confiance ce que nous montre Ai Weiwei, une réalité montée de manière identifiable de sa perspective, mais qui n’en perd pas sa force de réel. Ai Weiwei agit comme pour toutes ses œuvres, contrebalancer le narratif officiel – et pas que celui de l’État chinois, avec par exemple la critique plus mondialiste de Human Flow , 2017). Avec Coronation, il revient à ses fondamentaux et, à bas bruit, démonte la propagande d’État qui s’enorgueillit de sa performance d’avoir pu endiguer la pandémie en déployant, ostensiblement, d’immenses moyens et en faisant respecter un protocole sanitaire drastique.
Et il vrai que les mesures ont été spectaculaires, comme cet immense hôpital d’urgence qui sort littéralement de terre en une dizaine de jours, ces renforts sanitaires venus de toute la province, les protocoles constants à respecter, avec celui le plus éloquent qui concerne le milieu hospitalier avec cet enfilage fastidieux et méthodique des vêtements de sécurité ou tout est doublé, triplé, avec surblouse sur surblouse, masques faciaux sur masques faciaux… et les manœuvres encore plus fastidieuse et compliquée, surveillée par des caméras (où l’on peut lire dans le coin à droite : 16 mars 2020) qui permet de donner des instructions à distance, pour enlever les vêtements de protection correctement, selon les règles édictées de manière impérieuse, le passage dans plusieurs cabines avant de pouvoir repartir dans les longs couloirs de l’hôpital. On ne peut s’empêcher, en regardant ces plans, qu’en mars, en Europe, dans certains pays, les protections du personnel hospitalier étaient confectionnées avec des sacs poubelle…
Ces longues séquences nous immergent dans un monde surréel, où le silence règne, avec très peu de gens qui se parlent, rythmé cependant le bip des moniteurs de surveillance et la nappe sonore des machines respiratoires. Au dehors, c’est une impression de monde fantôme qui s’impose, avec des routes libres de circulation, une ville vide et vidée de sa substance humaine, certaines scènes, appuyées par des prises de vue de drones, les checkpoints, les images de désinfections de masse par aspersion des halls, des routes, des ruelles, des poubelles, des cours intérieures, des parties communes des intérieurs, entrent presque dans l’iconographie des débuts de films de zombies, avant que la situation ne parte dans tous les sens.
La gestion de crise utilisée à la gloire de la Chine
La gestion exemplaire de la pandémie que veut vendre la Chine joue également sur le levier de la comparaison internationale : au moment où Wuhan commence à voir le bout du tunnel, on voit à la télévision chinoise un reportage qui relate la situation qui commence à devenir dramatique, fin mars, à New York, particulièrement l’inquiétude des personnels en charge qui expliquent qu’ils commencent à être en pénurie de masques et autres matériel médical. Mais elle bute sur une autre réalité : celle des individus, victimes directes et indirectes du virus et de sa gestion, cette manière de déshumaniser les gens – lors des briefings, les patients sont nommés par des numéros –, de les retenir littéralement prisonniers du discours officiel – des personnes sont gardées à l’isolement de manière collective dans l’hôpital et ne comprennent pas ce qu’ils font encore là, des semaines plus tard : on leur dit qu’ils ont toujours une charge virale, mais ils ne sont pas traités (et ne sont probablement plus malades). Un des hospitalisés pense qu’ils sont gardés ici pour faire diminuer artificiellement le taux officiel de mortalité.
Un élément bouleversant produit un écho universel très douloureux avec ce désespoir exprimé partout dans le monde : les personnes qui sont mortes seules, pas seulement du Covid-19 mais de toutes les causes qui ont pu amener les gens à l’hôpital, sans accompagnement, sans un regard ou une caresse de la main d’un.e proche. Le traumatisme est grand pour les familles endeuillées qui imaginent la noirceur et l’épouvante des derniers moments de leurs bien-aimés. S’ajoute à cette vilenie, les difficultés pour les apparentés à récupérer les cendres de leurs proches et effectuer les rites de deuil cathartiques.
Ce qui impressionne dans cette collection d’images, c’est qu’à l’exception de celles qui impliquent les forces de l’ordre, elles ne semblent absolument pas être prises à la volée. D’ailleurs, les noms des personnes du réseau de Ai Weiwei qui les ont filmées sont mentionnés… une question peut-être à poser à l’artiste qui sera l’invité du FIFDH pour un grand rendez-vous ce samedi 13 mars à 19 h à voir en direct sur le site et les canaux Facebook et YouTube du festival.
Le film présenté en compétition dans la section documentaire de création à la 19e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève (FIFDH) est à voir à la demande jusqu’au 14 mars, accompagné d’un complément audio : Pandémie et futurs infernaux : la SF en lanceuse d’alerte.
De Ai Weiwei; Allemagne; 2020; 115 minutes
Malik Berkati
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