Un chinois universaliste, un norvégien à l’humour noir, un français de 91 ans
Il ressort de cette journée de compétition une recherche d’originalité dans le générique. Tui Na reprend les codes de la parole des bandes-annonces des années 40, 50, 60 qui racontent l’histoire et nomment les acteurs dans leurs rôles, Kraftidioten dit tout dans son sous-titre : In Order of Disappearance, Aimer boire et chanter pose de gros rectangles noirs avec le nom des acteurs en blanc au milieu d’images de campagne. Générique, dernier lieu de l’innovation ?
Tui na
Ma a perdu la vue dans un accident dans son enfance. Son ouïe devient ses yeux. Adultes, il devient masseur et rejoint une clinique de massage où n’officient que des aveugles. L’histoire suit une tranche de vie de ce groupe en condition d’handicap mais intégré selon différents niveaux au monde des valides. Le son et l’image sont dans ce long-métrage des personnages autant que les acteurs et mettent le spectateur en situation de concevoir ce monde de l’obscurité.
Ce qui est remarquable, c’est ce sentiment d’universalité qui se dégage de ce film chinois. Valides ou handicapés, Chinois ou Suisses, la vie tourne autour des mêmes préoccupations – l’argent et le travail, des mêmes aspirations – l’amour et la recherche du bonheur, des mêmes valeurs humaines – garder sa dignité et être respecté. Comme le dit si joliment une des protagonistes du film : « Les larmes de chacun sont différentes mais les raisons sont de pleurer sont les mêmes. »
S’il est vrai que l’amour rend aveugle, il semble aussi vrai que la cécité redonne la vue au cœur de l’être humain. Avec les yeux comme avec les mains, l’être humain est assailli par la même obsession : toucher la beauté des choses… et se rendre compte qu’elle finit toujours par vous échapper.
Dommage cependant que le film ne tienne pas jusqu’au bout cette qualité de tension… sa fin laisse un peu à désirer.
De Lou Ye ; avec Guo Xiaodong, Qin Hao, Zhang Lei, Lu Huang, Xuan Huang ; République populaire de Chine ; 2014 ; 114 min.
Kraftidioten/In Order of disappearance
Du film norvégien pur jus : une distribution scandinave avec une touche européenne centrale, de la violence insensée, des dialogues décalés, parfois surréalistes, souvent hilarants, des situations improbables et grotesques… et bien sûr des étendus neigeuses à perte de vue, avec cette lumière froide et claire comme l’inexorable. Avec dans cette réalisation zeste qui rehausse encore un peu plus le tout : l’acteur suisse Bruno Ganz dans une composition magistrale de parrain serbe.
C’est tout simplement jubilatoire !
Nils, le déneigeur de la ville, après avoir été élu meilleur citoyen de l’année, apprend que son fils est mort. Nils ne croit pas à la version officielle de cette mort et va commencer à rechercher la vérité. Hissé sur son énorme déneigeuse, il va remonter méthodiquement la chaîne de responsabilité de la mort de son fils. Attention tout de même aux âmes sensibles, la violence est parfois légèrement gore. Concernant la violence, le metteur en scène Hans Petter Moland dit : « c’est quelque chose de profondément ancré dans l’être humain mais qu’heureusement nous essayons de restreindre la plupart du temps. Cependant, dans certaines circonstances, elle explose. »
Pour notre part, ce film entre dans la catégorie « oursalisable ».
De Hans Petter Moland ; avec Stellan Skarsgård, Pål Sverre Hagen, Bruno Ganz, Birgitte Hjort Sørensen, Jakob Oftebro, Aners Baasmo Christiansen ; Norvège, Suède, Danemark ; 2013 ; 115 min.
Aimer, boire et chanter
Alain Resnais revient en sélection officielle de la Berlinale avec son dernier film adapté comme Smoking/No smoking et Cœurs d’une pièce de théâtre du britannique Alan Ayckbourn. Dans la campagne anglaise du Yorkshire, la vie de trois couples est bouleversée pendant quelques mois, du printemps à l’automne, par le comportement énigmatique de leur ami George Riley. L’intrigue se déroule autour des répétitions d’une pièce de théâtre amateur jouée par trois des protagonistes et George.
Malgré ses 91 ans, Alain Resnais continue à penser son art à travers l’expérimentation. Dans ce dernier film, la théâtralité est mise en avant, tant pour lui rendre hommage que pour rendre au cinéma son côté artistique comme l’explique avec justesse, joliesse et passion Hippolyte Girardot : « Le cinéma crève d’être au plus près d’un réalisme comme a 3D par exemple. Les effets sont pathétiques et tout cela pour nous faire croire que c’est vrai alors que tout le monde sait que c’est faux. Alain montre que l’important est que nous croyions à des histoires, que les acteurs nous fassent croire à leurs personnages. C’est ça l’idée artistique. Si je dis : je suis un éléphant, je le crois et le spectateur va le croire aussi. Si on déguise un homme en éléphant pour faire croire que c’est un éléphant, c’est aller contre l’art, c’est juste faire du business, puisque tout le monde sait que ce n’est pas un éléphant. L’intelligence de croire en l’abstraction est un acte politique. Espérons que cela va continuer à exister, car on pourra toujours faire des Avatars en 5D, cela ne rendra rien plus réel ou vrai. Alors que dire, voilà, je suis un éléphant et que tout le monde le croie, ça c’est de l’art. »
Pour nous faire entrer dans l’idée de l’histoire, Alain Resnay s’est appuyé sur les illustrations du bédéiste Blutch qui avait déjà travaillé sur deux affiches de films de ses précédents films.
À noter que la troupe d’Alain Resnay s’agrandit avec l’entrée de l’actrice Sandrine Kiberlain qui s’intègre parfaitement à l’univers de cette solide famille.
Reste que si l’imaginaire est l’idée première de l’art, pour le spectateur cela peut aussi être un défi d’y entrer et suivre son fil lorsque celle-ci devient un peu trop radicale ou fantaisiste…
Avec Sabine Azéma, Sandrine Kiberlain, Caroline Silhol, Hippolyte Girardot, André Dussolier ; France ; 2013, 108 min.
Malik Berkati, Berlin
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