Aube Dorée l’affaire de tous – Quelle résistance ? demande la réalisatrice de ce documentaire, Angélique Kourounis
Pendant plusieurs années, la journaliste, réalisatrice et autrice Angélique Kourounis en avait fait une affaire personnelle : déconstruire patiemment le système idéologique nazi et la machinerie opérationnelle du parti grec Aube Dorée, 3è force du pays depuis les élections européennes de 2014 et les élections législatives de 2015. Le fruit de ce travail, que Costa Gavras a qualifié « d’utile et passionnant, que tout le monde devrait voir » a été un documentaire qui, depuis sa sortie, tourne dans toute l’Europe dans de nombreux festivals (20 sélections) mais aussi beaucoup de salles de cinémas indépendantes où les projections ouvrent sur des débats avec la réalisatrice et des spécialistes de la question. Le film a reçu deux prix dont le PriMed (Prix International du Documentaire et du Reportage Méditerranéen) – Prix Averroès Junior, qui a permis au film d’être mis à disposition des professeurs d’histoire des troisièmes, secondes et terminales comme document de travail !
En 2017 Angélique Kourounis avait accordé un entretien à j :mag sur la genèse de Aube dorée : une affaire personnelle.
Depuis ce premier volet, l’affaire personnelle est devenue l’affaire de toutes et tous ! La réalisatrice et son co-auteur Thomas Iacobi, plusieurs fois agressé par des nervis du parti lors du tournage, veulent avec ce second volet mettre en lumière les réponses à donner à Aube Dorée, mais aussi de manière plus large, à tous les partis d’extrême-droite qui s’installent confortablement sur la scène politique du continent européen. C’est pourquoi, dès les premières secondes d’Aube Dorée l’affaire de tous, on est en place : Jean-Marie Le Pen et sa fameuse phrase sur les chambres à gaz comme étant « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale », le chef du parti nationaliste allemand AfD Alexander Gauland et sa non moins fameuse phrase évoquant l’ère nazie qui « n’est qu’une petite tache de merde d’oiseau dans plus de 1000 ans d’histoire », une interview de Nikólaos Michaloliákos, chef du parti Aube Dorée. En quelques secondes, Angélique Kourounis place un contexte et ces partis (que l’on peut aisément compléter avec d’autres partis et personnels politiques européens) dans une continuité, celle de l’idéologie nazie, qui permet au rhizome fasciste européen de continuer à s’étendre en 2021.
La colonne vertébrale de ce documentaire tourné sur plusieurs années est le procès d’Aube Dorée et de ses cadres pour appartenance à une organisation criminelle ainsi qu’un membre-cadre d’Aude Dorée pour l’assassinat en septembre 2013 du rappeur et militant antifasciste Pávlos Fýssas. Lorsque le procès débute en 2015, des membres du parti nazi NPD viennent en soutien. Glaçant ! Toujours dans cette idée de rester sur une ligne de temps durable, la cinéaste fait témoigner des personnes qui se remémorent le procès Lambrakis du nom du député communiste grec assassiné en 1963 qui a inspiré le film multi-récompensé (Prix du Jury à Cannes et 1969, Oscar du meilleur film en langue étrangère pour le compte de l’Algérie, entre autres) de Costa-Gavras, Z, d’autres qui expliquent pourquoi elles viennent assister à ce procès et à quel point ses implications sont importantes, au-delà des seuls faits évoqués, au niveau politique et sociétal. Elle met également en perspective les faits de violence extrême qui ne sont pas le fruit du hasard, mais bel et bien la conséquence de la montée en puissance du parti – troisième force politique du pays depuis 2012, de ses actions violentes passées et de l’impunité dont il a joui jusqu’à présent.
La force remarquable du travail au long cours de Kourounis et Iacobi est cette faculté à déconstruire méthodiquement la dynamique d’Aube Dorée et de ses forces à l’intérieur même de l’appareil d’État, avec par exemple la police qui n’a pas été « défascisée » au retour au régime démocratique en 1974, police fascisante dont les racines remontent à l’occupation allemande de la Deuxième Guerre mondiale. La conséquence : en 2020, ils peuvent frapper en toute impunité des journalistes qui couvrent des manifestations.
Évidemment, les images sans commentaires des marches et manifestations d’Aube Dorée parlent d’elles-mêmes… à charge. Mais le travail d’Angélique Kourounis est honnête, elle donne la parole à la mère de Pávlos Fýssas, aux militant.es antifascistes, tout comme aux affiliés à Aube Dorée, aux avocats des prévenus… et cela parle tout autant de soi-même, nul besoin de commentaires.
Pour que ce procès ait pu avoir lieu, il a fallu toute une chaîne de personnes qui n’a pas cédé face à la mauvaise volonté de la police, de la procureure, etc. Un des épisodes les plus spectaculaires de cette implication citoyenne est celle de Forensic Architecture, groupe composé de chercheurs, d’architectes, de programmeurs et d’artistes visuels qui a prouvé par une reconstitution, rendue possible par l’analyse des caméras de surveillance, des messages audio de la police, des témoignages, que la police avait menti, qu’elle était sur le lieu du crime lorsque les faits se sont déroulés et que la mort de Pávlos Fýssas n’était pas la conséquence d’une simple altercation à la sortie d’un bar.
La bataille entre fascistes et antifascistes se place également sur les murs d’Athènes et les graffitis qui les couvrent. On en voit régulièrement dans le film, particulièrement lorsque l’on suit la mère de Pávlos Fýssas se déplaçant en bus. Cette femme est d’une infinie dignité dans son combat, malgré sa douleur et l’affleurement de l’émotion, son raisonnement est parfaitement cortiqué, clair, précis. Elle est bouleversante lorsqu’elle explique qu’elle n’attend pas une justice, car la perpétuité, c’est elle et sa famille qui l’ont prise ; elle souligne que ce combat, c’est pour ne pas avoir honte quand elle rencontrera Pávlos, pour qu’il voie qu’elle n’a pas baissé la tête, que toute sa famille s’est battue, qu’elle a fait ce qu’il aurait voulu qu’ils fassent. Le sens de sa lutte est pour son fils, mais également pour toutes celles et tous ceux qui la soutiennent et surtout pour que la peur ne fasse plus la loi dans les rues d’Athènes. La scène la plus empoignante reste celle du verdict, quand elle sort vers les milliers de personnes venues la soutenir et qui l’applaudissent. Les leaders politiques du parti sont condamnés à 13 ans d’emprisonnement, 12 anciens députés à 5 et 7 ans, et Yórgos Roupakiás, l’assassin de Pávlos Fýssas, à la prison à vie. Ce procès est tellement extraordinaire que plusieurs personnes présentes dans la salle d’audience ont enregistré en audio ou en visuel les réactions de la salle à divers moments de procès, malgré les règles en vigueur dans un tribunal. Plusieurs d’entre eux, en signe de solidarité, les ont donné à la réalisatrice.
C’est grâce à ce procès qui va au fond de l’idéologie et des structures du parti qu’on a pu mettre à plat leurs autres méfaits de violence, comme les chasses aux étrangers dans les rues d’Athènes. Aube Dorée l’affaire de tous interroge aussi le rôle des médias, de la surexposition offerte qui permet l’ascension de ces partis dans l’espace public légitime… et cette question ne se limite pas au champ médiatique grec, elle se pose dans toute l’Europe où les tribuns extrémistes n’ont aucune difficulté à trouver un micro pour se faire entendre, profitant systématiquement au passage de déplorer être ostracisé.es et « ne pouvoir rien dire » !
Le film est actuellement présenté dans de nombreux festivals de films internationaux et fera l’objet d’une tournée en France, en Allemagne et en Suisse en présence de l’équipe. Aube Dorée l’affaire de tous a déjà remporté des prix dont celui du meilleur documentaire au LA Independent Women Film Awards.
Site officiel du film: https://goldendawnapublicaffair.com
Malik Berkati
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