#BackToCinema : Après une sortie prometteuse juste avant le confinement, Mare d’ Andrea Štaka ressort sur les écrans suisses
Mare, le dernier film de la cinéaste suisse Andrea Štaka (Léopard d’or au Festival de Locarno 2006 pour Das Fräulein) a été présenté pour la première fois lors de la Berlinale 2020, sélectionné dans la section Panorama.
La ligne de force qui traverse le film est la dialectique entre frontières physiques et frontières intimes qui empêchent les individus. La réalisatrice se saisit ave brio cette thématique des limites qui encerclent un individu et un lieu : Mare est une femme-pilier enfermée dans une famille, certes aimante et qu’elle aime, mais qui ne lui offre que peu de perspectives d’évolution. Ils habitent à côté de l’aéroport de Konavle près de Dubrovnik où son mari travaille à la surveillance de la clôture de sécurité. Les avions atterrissent et décollent pour les touristes, les habitants ayant pour loisir de les regarder arriver et partir.
Mare est interprétée par l’actrice fétiche de la réalisatrice, Marija Škaričić, qui porte littéralement le film sur ses épaules en embarquant le spectateur dans son sillage. Tout est question de cadres dans ce film, cadre qui, comme un vieux polaroid prend un instantané de la vie banale et ennuyeuse de Mare, enfermée dans la promiscuité d’une maison non finie avec son mari (Goran Navojec) et ses enfants, qu’elle aime mais qui ne l’empêchent pas de se languir d’un ailleurs synonyme de liberté et d’autodétermination. La première scène est à cet égard emblématique : c’est le matin, Mare est aux toilettes qui sont dans la salle de bains et l’un.e après l’autre, les membres de sa famille entrent et sortent sans faire attention à elle. Elle est à la fois le mur portant de ce foyer et parfois invisible car sa présence est une évidence. Les frontières se définissent également par celle de l’identité, celle que chacun.e lui donne : elle est la mère au foyer pour ses enfants et son mari, pour son frère elle est celle qui lui permet de vivre dans la maison de ses parents, pour son père elle est celle qu’il a fait revenir de Zurich, où elle habitait avec sa tante, afin qu’elle reste dans le droit chemin ; il n’y a que sa mère qui semble ressentir le changement qui commence à s’opérer chez elle. Car Mare est aussi une femme, qui recherche également un peu de liberté pour son corps. Quand un chef de chantier polonais (Mateusz Kościukiewicz) croisera son chemin, elle franchira une limite émancipatrice.
Ce qui est fascinant, c’est la manière dont la réalisatrice utilise la caméra – tenue par Erol Zubcevic – pour explorer toutes ces limites qui s’enchevêtrent tout en appréhendant les espaces de liberté qui peuvent éclore dans ces garde-corps. Ainsi la nature magnifique et sauvage entre mer et montagnes s’impose dans ce format carré aux coins arrondis et lorsque Mare et et Piotr rouleront, cheveux au vent, sur les routes escarpées du bord de mer, le plan rapproché (technique qui officie tout au long du film) donne à la fois cette sensation d’être enfermé dans un cadre et de vivre un grand moment de liberté, même éphémère.
Le parti pris esthétique de tourner le film en super 16 mm sert à merveille Mare en donnant à l’image du grain, aux peaux et à la nature du volume et permet de « salir » un peu le rendu d’un quotidien qui n’a rien d’affriolant tout en magnifiant la lumière qui le baigne.
D’Andrea Štaka; avec Marija Škaričić, Goran Navojec, Mateusz Kościukiewicz , Mirjana Karanović , Arta Dobroshi; Suisse, Croatie; 2020; 84 minutes.
Malik Berkati
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