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Berlinale 2016 – Compétition jour #6: Soy Nero, Genius et Chi-Raq (hors compétition)

Ce 6è jour de festival était très étasunien, avec un Soy Nero – un film sur les soldats non citoyens de l’armée étasunienne, Genius sur l’écrivain Thomas Wolfe et, hors compétition, Chi-Raq de Spike Lee.

Soy Nero

Ce film est important. Mais ce film est également inégal.
Important car il traite d’un sujet dont personne ne s’est emparé jusqu’à présent : les « Green Card Soldiers », le sésame qui donne à l’accès à la citoyenneté étasunienne pour ceux qui n’ont aucune chance de l’obtenir si ce n’est par le biais de l’engagement dans l’armée.
Inégal car le début du film montre d’une très bonne façon les difficultés auxquelles un migrant est confronté lors de ses essais pour passer la frontière, puis pour rejoindre sa destination aux États-Unis. La dernière partie, celle où il se retrouve soldat quelque part dans le désert moyen-orientale est puissante, suffocante et implacable dans sa logique absurde de la guerre d’occupation, dans laquelle seuls les combattants de la zone occupée se battent pour quelque chose, les occupants se battant principalement pour eux-mêmes et régler les problèmes qui les empêchent d’avancer dans leurs vies. Mais la partie centrale du film, qui renforce la volonté de Nero de s’engager pour ne pas rester ad vitam aeternam un clandestin dans ce pays qui l’a vu naître et dont il se sent faire partie, est trop longue – donne presque envie de quitter la salle – est extrêmement caricatural et tellement prévisible qu’elle aurait dû n’être qu’un pont narratif à la place d’un long chapitre du récit. C’est dommage, mais pas rédhibitoire.

Darrel Britt-Gibson - Soy Nero
Darrel Britt-Gibson – Soy Nero

Le scénariste joue avec les prénoms et les noms et c’est intéressant. Lorsque Nero s’engage, il le fait sous le nom qui se trouve sur la carte d’identité de son frère – Jesus. Quand Nero/Jesus se présente au chef de l’équipe de déminage, celui-ci, dans un clin d’œil de l’auteur du film très symbolique lui fait remarquer que c’est drôle, car lui se nomme Mohamed. Le démineur, harnaché comme un astronaute s’appelle quant à lui Armstrong. S’en suit un dialogue très amusant sur les différents Armstrong qui jalonne l’histoire étasunienne. Mais surtout, pourquoi Soy Nero ! Parce qu’il s’avère que dans le désert, quand on ne peut plus compter que sur soi-même et ses camarades – qui sont ici noirs – l’origine et la couleur de peau importent peu… tout le monde est à la même cantine, celle où l’on mange son pain noir…

Quelques faits sur les Green card Soldiers : d’après eés autorités militaires étasuniennes, il y a 8000 personnes non-citoyennes qui s’engagent chaque année dans l’armée dans l’espoir de recevoir – ainsi que leur famille – la nationalité étasunienne. Les forces armées en Irak et Afghanistan ont quelques milliers de personnes possédant la green card mais pas la nationalité, principalement des hispanophones. En 2012, d’après l’Associated Press, il y avait environ 17’000 non citoyens en service actif. Les soldats non-citoyens ainsi que les personnes de couleurs sont surreprésentés au niveau des pertes militaires. Et comme le souligne le réalisateur du film Rafi Pitts, « le pire c’est que certains de ces soldats, s’ils ne sont pas en conformité avec la loi, ils peuvent être renvoyés dans leur pays après avoir servi les États-Unis » … well, le rêve américain dans toute sa splendeur…

De Rafi Pitts ; avec Johnny Ortiz, Rory Cochrane, Aml Ameen, Darrel Britt-Gibson, Michael Herney, Ian Casselberry, Rosa Frausto ; Allemagne/France/Mexique ; 2016 ; 120 min.

Genius

Homme de théâtre et d’opéra, Michael Grandage signe avec Genius son premier film, un biopic sur Thomas Wolfe, écrivain torturé, laborieux, incapable de se réfréné que ce soit dans le débit de sa prose ou dans celui de son quotidien. Mais pour être plus juste, cette biographie filmée est tout aussi celle de son éditeur – Max Perkins, l’homme qui a cru en lui alors que tout le monde le rejetait. On pourrait même se demander si le génie, ce n’est justement pas son éditeur qui a réussi à mettre en forme les romans fleuves de son protégé en faisant un énorme travail d’édition à travers les milliers de pages que Thomas Wolfe lui présentait. Totalement consacré aux livres, Perkins avait un crédo : « L’humanité a besoin de poètes. Sinon en quoi la vie serait-elle bonne ? » Soutenir les poètes parmi les grands écrivains du début du 20e siècle, voilà ce qu’était de cet éditeur-découvreur.

Du côté des acteurs, quand le casting est bien pensé, on a déjà un gros du travail qui se fait par lui-même. Avec Jude Law en Wolfe exalté et Colin Firth en contre-point pondéré et méthodique de figure paternel, le réalisateur ne s’est pas trompé. Du côté des femmes, leur rôle reste secondaire, Laura Linney en femme dévouée à sa famille n’est pas un choix très hardi et fonctionne par conséquent de manière attendue, par contre le personnage de Aline Berstein – la maîtresse de Thomas Wolfe, incarné par Nicole Kidman était plus risqué. Et pourtant, c’est bien de Nicole Kidman que vient la surprise de ce film : elle est très crédible et surtout parvient de très belle manière à faire évoluer son personnage au fil de l’histoire. C’est à l’évidence sa meilleure prestation des dernières années.

Colin Firth, Jude Law - Genius Marc Brenner © Pinewood Films
Colin Firth, Jude Law – Genius
Marc Brenner © Pinewood Films

De facture très classique, ce film ravira les adeptes du genre, les autres découvriront un auteur contemporain de Fitzgerald et d’Hemingway, considéré comme un génie littéraire, qui a inspiré de nombreux auteurs mais reste peu connu du grand public.

De Michael Grandage ; avec Jude Law, Colin Firth, Nicole Kidman, Laura Linney, Guy Pearce, Dominic West ; Grande-Bretagne/USA ; 2016 ; 104 min.

Chi-Raq (Hors compétition)

Plus que le film – une satire politique sous forme de comédie musicale de rap et gospels, c’est le sujet qui est intéressant. En effet, le parti pris artistique de Spike Lee est une question de goût. Dans la veine choisie, le rendu est conforme au talent du réalisateur rebelle du cinéma étasunien.

Que l’on voit ou non ce film, l’important est qu’il touche son public-cible – les jeunes noirs des quartiers laissés à l’abandon dans les grandes villes des États-Unis, et que le scandale de la politique des armes à feu dans ce pays soit encore une fois démontré, démonté, décortiqué de manière factuelle. À cet égard, une scène remarquable, qui pourrait parfaitement être sortie du film et se suffire à elle-même ou John Cusack jouant un prêtre fait un sermon-plaidoyer d’une telle justesse et puissance que l’on se demande vraiment comment une majorité de la population ne se soulève pas face l’abandon de l’État envers ses citoyens les plus défavorisés, que ce soit dans les domaines de la sécurité comme ceux de l’éducation, de la santé, de la culture, etc.
Dans cette optique, la forme baroque de l’ouvrage qui renvoie à la comédie classique grecque Lysistrata d’Aristophane peut être vue comme un balancier au contenu didactique.

Nick Cannon - Chi-Raq © Parrish Lewis
Nick Cannon – Chi-Raq
© Parrish Lewis

Le nom Chi-Raq fait référence aux quartiers sud de Chicago qui ont le plus haut taux de meurtres des États-Unis. C’est ainsi que les rappeurs de ces quartiers le nomme. Entre 2001 et 2005, 7346 personnes y ont perdu la vie par armes à feu, plus que le nombre de soldats tombés en Irak et Afghanistan. CHI comme Chicago – RAQ comme Irak. Plus clairement, on ne peut pas dire…

Voir la citation du jour par Nick Cannon.

De Spike Lee ; avec Nick Cannon ; Teyonah Parris, Wesley Snipe, Angela Bassett, Samuel L. Jackson, Jennifer Hudson, Harry Lennix, John Cusack ; USA ; 2016 ; 127 min.

Malik Berkati, Berlin                                      

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