Berlinale 2017 Panorama : Ghost Hunting (Istiyad Ashbah)
[Edité le 19 février 2017: Ghost Hunting (Istiyad Ashbah) a remporté le Prix du documentaire, toutes sections confondues]
Dans la veine très prisée en ce moment du re-enactment, le documentaire du réalisateur palestinien Raed Andoni nous fait entrer dans la reconstruction mentale du plus grand centre d’interrogatoire israélien, la prison Al-Moskobiya située à Jérusalem.
Ghost Hunting (Istiyad Ashbah)
À l’âge de 18 ans, Raed Andoni a été emprisonné dans ce centre et subit les interrogatoires. Depuis, les fantômes de cette période hante le documentariste qui a décidé de les faire sortir du placard. Pour ce faire, il a réuni un groupe d’anciens prisonniers qui vont construire le décor de la prison et recréer les situations traumatisantes qu’ils ont vécu dans un grand hangar vide à Ramallah. Jour après jour, les ex-prisonniers qui sont également artisan, architecte, forgeron, monteur, acteur, assistant vont monter les murs de la mémoire de ces lieux auxquels ils ont survécu. Petit à petit, entre pudeur et humour – cette politesse du désespoir – les émotions remontent à la surface de la souvenance et parviennent à délier les langues dont les mots sont autant de larmes qui noient tout un peuple dans l’injustice depuis des décennies.
Car il faut le savoir : en Palestine, plus de 4 hommes sur 10 a connu, au moins une fois dans sa vie, une arrestation et/ou les geôles israéliennes. Les plus jeunes d’entre eux ont 12 ans. Cette matrice de domination de l’occupant est le lieu de la révélation des personnalités profondes de ceux qui s’y trouvent emprisonnés où les épisodes héroïques de résistance côtoient ceux de l’humiliation, de la faiblesse, de la défaite. Le réalisateur d’ailleurs ne s’en cache pas : « ma quête personnelle dans cette intention de reconstruire la prison d’Al-Moskobiya est la tentative de reprendre le contrôle sur ma soumission de jadis. »
La figure centrale du film est Mohammed, un prisonnier devenu un héros parmi les Palestiniens par sa façon de résister par le rire et la rébellion aux méthodes d’interrogatoires du Shin Beth très musclées – et malgré 7 jours de privation de sommeil – Mohammed n’a jamais fourni aucune information. C’est la même année que Raed Andoni a été incarcéré dans la prison. Pour ces scènes, le rôle de Mohammed est joué par un acteur professionnel, Ramzi, qui lui aussi a connu l’incarcération. Mais contrairement à Mohammed, Ramzi s’est complètement effondré face à la pression des enquêteurs. Pour faire comprendre à Ramzi quels ont été les mécanismes qui lui ont permis de résister, Mohammed doit chercher au plus profond de lui-même les ressorts de son comportement et ce qui permet au réalisateur de questionner le mythe universel du héros derrière des barreaux.
Chaque prisonnier a ses propres souvenirs et recréé dans le film ses propres conditions d’incarcération. Puisque dans une prison il faut également des gardiens et des interrogateurs, les protagonistes vont également passer du côté du détenteur légal de la violence, ce qui permet aux ex-prisonniers de changer de perspective et éventuellement se libérer ou découvrir une autre partie d’eux-mêmes. Des paroles de la souffrance surgissent des poèmes et de la musique, catharsis autant individuelle que collective. Ici, on parle de la prison, de la torture, mais comme ailleurs, aussi de la vie, du cinéma, du théâtre, de mariage, des enfants, de l’avenir, de la vie, toujours de la vie. Cette résistance semble invincible car la pulsion de vie ne faiblit pas, le mental individuel et collectif, même malmené, subissant toutes les pressions possibles pour le casser, ne rompt pas. Dans la prison, c’est le gardien qui tient le briquet et le met, selon son bon vouloir, à disposition du prisonnier. Mais la lumière reste du côté de celui qui continue à rêver par-delà les murs.
La culture comme geste de résistance n’est pas seulement symbolique, elle est vitale. Et les Palestiniens, contre vents et marées colonisatrices, savent en jouer comme le montre plusieurs initiatives, dont le Théâtre national palestinien en ce moment en tournée en Suisse et en France.
De Raed Andoni ; avec Ramzi Maqdisi (Abu Atta), Mohammed «Abu Atta» Khattab (lui-même), Raed Andoni (le réalisateur), Atef Al-Akhras (le décorateur de plateau), Wadee Hanani (l’assistant-réalisateur), Adnan Al-Hatab (le “père” et concepteur de plateau), Abdallah Moubarak (le forgeron), Anbar Ghannan (le jeune marié et poète), Raed Khattab (le prisonnier joyeux), Monther Jawabreh (l’artiste plasticien); France, Palestine, Suisse, Quatar ; 2017 ; 94 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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