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Berlinale 2019 : André Téchiné, venu présenter L’adieu à la nuit, révèle les motivations qui l’ont poussé à faire un film sur la radicalisation des jeunes – Interview

[critique du film]

Quelle a été la motivation initiale pour faire ce film ?

Je voulais que l’argument soit très droit et très simple et j’ai imaginé un personnage de ma génération – Catherine Deneuve – face à de jeunes islamistes radicalisés; cela a été l’argument très simple dramatique du film : qu’est-ce que vous feriez à la place de Catherine Deneuve ? Qu’est-ce que je ferais à la place de Catherine Deneuve si, tout un coup, quelqu’un qui m’est proche, quelqu’un de ma propre famille passait de l’autre côté ?

Comment vous êtes-vous documenté sur ce thème ?

J’ai cherché à comprendre ce qui se passait dans la tête de jeunes qui se laissaient happer par le discours islamiste. Dans un reportage, j’entendais la police parler de situations illégales mais ce n’était pas très intéressant en fait, j’ai donc voulu investiguer dans la matière brute en cherchant à travers l’univers des récits par de jeunes islamistes radicalisés.
Les mots que Léa Mysius, la scénariste, a trouvé pour exprimer les convictions qui animent les jeunes djihadistes étaient puissants et exprimaient un désir ardent pour le sacrifice. On n’est plus dans le cadre du jeu, on est dans une autre dimension qui n’a pas d’arrière-fond politique. on est dans une dimension spirituelle où la spiritualité se même à la dimension militaire. Le recruteur, Bilal, interprété par Stéphane Bak, représente cette voie à suivre pour ces jeunes déracinés qui sont persuadés de trouvés des racines, entre autre à travers a formation militaire qu’ils vont recevoir.

— Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein – L’adieu à la nuit
© Curiosa, Adieu à la nuit 2019

Vous insistez sur l’importance de la formation militaire …

Ce que l’on va leur apprendre sur la religion – qui n’est pas l’islam véridique – est étroitement lié à la formation militaire que l’on va leur donner mais ces deux facettes vont devenir leurs raisons de vivre, leur passion et leur raison de mourir. En ce sens, internet est vital pour relayer et répandre cet islam radical. Pendant que Léa Mysius et moi écrivions le film, des profils Facebook ont été fermés car ils faisaient l’apologie du terrorisme en toute impunité sur internet. nous avions eu accès à ce genre de profils qui publiaient des choses extrêmement violentes sur les réseaux mais cela a été fantastique de pouvoir accéder à de tels profils car cela nous a servi de matériel pour écrire L’adieu à la nuit et cela nous a permis d’y puisé notre inspiration.

Que pensez-vous des motifs de ces jeunes qui ignorent tout de l’islam et sont prêts à aller combattre en Syrie en moins d’une semaine au nom de l’islam ?

Contrairement à ce que l’on peut penser, ce sont des jeunes de la classe moyenne et non ds classes populaires qui partent combattre pour l’Etat islamique. selon les statistiques, la moyenne d’âge est très liée à l’adolescence et la post-adolescence : 90% ont entre quinze et vingt-cinq ans. Quant à l’appartenance à la religion, il y a effectivement beaucoup de convertis et des convertis qui décident de se déraciner, c’est-à-dire de s’enraciner ailleurs. Cela existe aussi dans la religion catholique, par exemple, Saint François ou Saint Augustin. Il y a eu des conversions aussi radicales où on passait d’un passé de débauche, de raffinement florentin et on devient franciscain, optant pour la pauvreté, pieds nus, on change donc radicalement d’identité. Ce changement digne d’un bond en avant où on change d’identité – dans L’adieu à la nuit, est incarné par le personnage d’Alex – c’est un désir très brutal de tout abandonner et de se construire entièrement avec des rites – on voit à quel point il fait les prières, on voit à quel point il veut s’instruire en religion et à quel point aussi il veut une préparation militaire dès qu’il sera arrivé en Syrie. On a le sentiment tout un coup que la seule chose qui va constituer la nouvelle identité d’Alex c’est l’apprentissage de la religion, l’apprentissage militaire et la vie de couple avec Lila pour avoir des enfants. Ces éléments constituent sa nouvelle identité et, paradoxalement, comme Alex est une personne très tourmentée, c’est peut-être aussi une manière de trouver une identité rigide et rassurante.

Vous avez écrit le personnage d’Alex … Pensez-vous qu’il a manqué de rigueur dans son éducation ou au sein e sa famille ?

C’est difficile de donner une seule et unique réponse car il n’y a que des cas particuliers. Il y a peut-être aussi quelque chose de difficile à penser pour des Occidentaux comme nous : c’est une peur de la liberté. Pour Alex, tout un coup, tout est construit. le modèle identitaire est entièrement construit et on rentre dans ce modèle identitaire du guerrier, religieux qui va faire des enfants qui seront eux-mêmes des guerriers religieux. Il y a quelque chose d’extrêmement rassurant par rapport à la liberté qui peut conduire au désarroi et à la misère.

Et la dimension politique de cet engagement ?

La religion absorbe complètement la dimension politique. C’est important de comprendre ce point-là si on s’intéresse au djihadisme qui place tout son discours sur une assise religieuse et annihile l’autonomie politique.
Un psychanalyste, Fethi Benslama, a fait un travail que je trouve fantastique à ce sujet : en analysant ces individus, islamistes radicaux, il décrit leur rapport entre Dieu et eux-mêmes comme une sorte d’inceste, il y a une sorte de fusion et de confusion entre leurs propres corps et Dieu. Du point de vue de cette perspectives, il n’y a plus ni d’individu ni de sphère politique.

Quel est le rôle de la grand-mère ?

Ce qui m’intéressait, c’était d’avoir une espèce de champ/contre-champ entre cette parole extrêmement dangereuse et violente, et un personnage féminin très enraciné, très terrien, joué par Catherine Deneuve.
J’ai voulu montrer dans le film à quel point, pour ces personnages qui sont embarqués pour se déraciner, l’apprentissage de la religion et la préparation militaire sont devenus leur raison de vivre. J’ai voulu me pencher également sur le thème de la sortie de l’enfance et de l’adolescence.

Vous avez souligné l’ambivalence de ces jeunes radicalisés : par exemple, on voit Alex agenouillé sur un tapis de prières, en train de scander sa prière, à côté des ceps de vignes, on voit le recruteur, Bilal, en train de fumer un joint et de s’intéresser de près à Lila …

En effet, Bilal n’arrive pas complètement à renoncer aux plaisir de son ancienne vie et à obéir complètement aux règles qui lui sont imposées. ces jeunes sont en décalagee par rapport aux musulmans qu’ils voudraient incarner.

— Stéphane Bac, Oulaya Amamra, Kacey Mottet Klein – L’adieu à la nuit
© Curiosa, Adieu à la nuit 2019

Mis à part l’ami et associé de Muriel, Youssef, tous les musulmans de ce film sont des djihadistes, vont devenir djihadistes ou ont été djihadistes; n’est-pas un peu réducteur ?

Sur l’islam dans le film, il y a la présence d’un islam modéré à travers l’associé de Muriel, avec une famille qui est dans la mixité. L’argument de Youssef contre le repenti de Syrie, c’est que qu’’il n’a pas voulu l’engager comme ouvrier saisonnier parce qu’il salit l’islam. Mais le film présente aussi un exemple d’intégration et d’islam modéré, parfaitement heureux comme on le voit dans le repas de famille. Bien sûr, en ce qui concerne l’islamisme radicalisé, je montre ceux qui veulent partir et ceux qui reviennent; je ne vois pas ce que je peux montrer d’autre parce que c’est ce qui correspond à la réalité.

La figure de la grand-mère est dans la bienveillance, la tolérance et le pardon : elle tente, en vain, de convaincre Alex de voir son père qu’il croit responsable de la mort de sa mère …

Comme le souligne Catherine Deneuve, la tolérance vient avec l’expérience, l’âge et la façon dont on regarde la vie. La tolérance vient des rapports que vous entretenez avec les autres. Quand on a vingt ans comme le jeune couple dans le film, vous ne pouvez pas vraiment être tolérant, cela ne fait pas vraiment partie de cette étape de la vie. Je pense que c’est la vie et le temps qui vous rendent tolérant.

Vous avez choisi une luminosité aux tons chauds, mise en valeur par la photographie, pour traiter d’un sujet grave, la radicalisation; ce contraste entre une nature accueillante – les cerisiers en fleurs, les feuillages verdoyants – est d’autant plus marqué que les motivations des jeunes radicalisés se profilent. Cette approche qui met l’accent sur la lumière est très intéressante.

C’était une esthétique importante pour moi car ces personnages ont décidé de s’enraciner ailleurs, en Syrie, voire plus loin dans le ciel. Or, je voulais montrer que les racines du lieu dans lequel ils vivaient offrent, peut-être sans le sentir ou sans le savoir, un attachement à la vie alors qu’ils décident là de se détacher de la vie, renoncer à la vie. Je voulais par le règne végétal des fleurs qui deviennent des fruits ou par le règne animal – les animaux archaïques comme les sangliers ou comme les chevaux -, je voulais montrer le monde avec la lumière du printemps, lumineuse, solaire, un monde qu’ils abandonnaient en oubliant d’être étonnés par la beauté de ce monde. Pour moi, c’était important de souligner le contraste de ce printemps avec leurs désirs de sombrer dans le renoncement à la vie et la mort en Syrie. Cet attachement à la vie passe aussi par les animaux et les arbres, et par les repas qui sont des repas où on se réunit … Ce sont des repas festifs où on voit Muriel, qui a adopté cette famille ou peut-être cette famille a adopté Muriel, mais tout cela fait partie de l’attachement à la vie. Je voulais que cet attachement à la vie soit très présent dans le film.

Vous avez débuté comme critique de cinéma; êtes-vous sensible aux critiques de la presse ?

Devenu cinéaste, je suis passé dans le camp des accusés (rires).
C’est une vaste question … De nos jours, la critique telle que je la lis, d’une façon qui n’est pas exhaustive, mais quand cela m’arrive de lire des critiques, je les trouve trop sociologiques et je trouve que la sociologie s’est emparée du cinéma alors que moi-même, il y a très longtemps, dans les années soixante, quand je faisais de la critique, je partais de la forme et de l’esthétique du film pour essayer de dégager le fond du film, la vision du cinéaste et la vision qu’il avait du cinéma. Pour moi, la forme, c’était le fond. Aujourd’hui, cela a changé, il y a eu une grande mutation : le message, en particulier le message sociologique, prime. C’est une réelle et profonde mutation mais je ne veux pas porter de jugement de valeur, je ne veux pas du tout régresser mais je ne suis pas sûr que ce soit un progrès.

Comment voyez-vous les changements dans notre société contemporaine ?

Je cite à nouveau le repas de famille où toutes les générations sont présentes dans la mixité. Un petit-fils de Youssef, qui vient de gagner un concours hippique et brandit son trophée, donne lieu à une scène très festive avec un mélange et une interférence de générations qui distille une joie de vivre. Par ailleurs, je montre aussi une forme de négligence ou d’impuissance par rapport aux personnes très âgées qui sont dans les maisons de retraite et une difficulté de notre société de ne pas les exclure, une difficulté de les intégrer. Le personnage de Lila, qui travaille dans cette maison de retraite, prend vraiment soin de ces personnages âgées et a une réelle tendresse pour elles.
Comme dans tous mes films, ce que j’aime montrer, ce sont les âges de la vie. Je le montre aussi à travers la personne âgée qui héberge Lila et réclame sa présence le soir.
La seule chose que je ne montre pas dans le film, c’est une jeunesse urbaine parce que je voulais fair un film rural.

Firouz E. Pillet, Berlin

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Firouz Pillet

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