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Berlinale 2019 – Hors compétition : Marighella de Wagner Moura – Une résistance au coup d’État au Brésil en 1964 qui renvoie furieusement à l’époque actuelle !

Nous sommes en 1968, quatre ans après le coup d’État militaire qui a plongé le pays-continent qu’est le Brésil dans les affres de 21 ans de dictature. Carlos Marighella, Brésilien descendant d’esclave soudanais, est devenu l’ennemi public numéro un du Brésil. Wagner Moura , l’un des plus célèbres acteurs brésilien (il a joué en 2007 dans Elite Squad de José Padilha qui avait reçu l’Ours d’or de l’édition 2008 de la Berlinale), qui fait ici ses débuts dans la réalisation, nous raconte les dernières années de ce résistant charismatique, à la tête d’un groupe de jeunes révolutionnaires ayant décidé-e-s, contre l’avis du parti communiste, de passer à la lutte armée, seule – à leurs yeux – à même de défaire la dictature militaire et sa cohorte de crimes. Le problème que rencontrent tous les groupes de résistance, armés ou non armés, est la chape de plomb que le régime appose sur les médias : d’un côté il est impossible de faire passer le message au peuple brésilien qu’il existe une résistance active et organisée puisque les médias, pour la plupart soutiennent le régime, pour les autres se plient à la censure, d’autre part le régime entreprend méthodiquement de falsifier les faits et de discréditer les résistants, particulièrement Marghilla, par une propagande acharnée.

— — Seu Jorge – Marighella
© O2 Filmes

La facture du film a divisé la critique, beaucoup lui reprochant de s’apparenter aux films d’action, avec cette caméra très proche des gens et des visages, ces scènes de violence, pour certaines spectaculaires et difficiles à soutenir. Et pourtant, c’est justement la force du film : mélanger les genres pour pouvoir intéresser le plus grand nombre. Dans l’état actuel du monde, il semble intelligent de chercher, par tous les moyens, à capturer l’attention des gens et – même si cela reste très utopique – essayer de leur ouvrir les yeux. Et si cela passe par une structure de film d’action pour attirer les jeunes, alors banco ! Sans hésitation ! Car, honnêtement, faire des films intellectualisant pour des spectateurs qui sont déjà sensibilisés et/ou convaincus, ce n’est pas à-propos quand la maison est à deux doigts de prendre feu. La violence d’une dictature, montrons-là, celle de la torture aussi, tout comme l’impuissance d’un peuple intimidé, terrorisé et qui n’a aucun moyen d’éveiller sa conscience car le 4e pouvoir, qui en réalité est simplement mais décisivement un contre-pouvoir, celui de la presse et des médias, est traditionnellement dans les premières victimes d’une prise de pouvoir par la violence  –  à moins qu’il n’en soit complice ; et montrons aussi ce que cela implique de lutter et résister, quels sacrifices il faut faire, quels risques il faut prendre, dont le principal – et pour la plupart inéluctable, car dans l’histoire, mis à part un contre coup d’État, ces régimes tombent, comme dans les luttes armées anti-coloniales, par un compromis politique – est la mort, la sienne et celle des siens ou de ses soutiens. Pour ne pas en arriver là, et puisque les signes avant-coureurs ne sont que rarement décryptés ou toujours minimisés, il est bon que la réalité du passé s’invite puissamment dans celle du présent. Faire peur pour faire peur, non ; faire peur pour demander : as-tu vraiment envie d’avoir le choix entre subir un régime fascisant ou le combattre sous quelque manière que ce soit ? Si oui, continuons comme cela, et pas seulement au Brésil mais, en 2019, un peu partout sur tous les continents. Si non, profite encore un peu de tes espaces de démocratie et utilise-les pour la préserver : cela est encore ton droit et cela reste ton devoir !

— — Bruno Gagliasso – Marighella
© O2 Filmes

Le film met en avant la complexité des choses et ne cherche pas à simplifier ce genre de situations : les résistant-e-s ne sont pas des chevaliers sans peur et sans reproche ; les policiers ne sont pas dépeint comme des psychopathes sanguinaires jouissant simplement du monopole de la violence qu’ils exercent à loisir. Non, les résistant-e-s ont peur, font des erreurs, se battent entre eux, trahissent aussi, se laissent guider par des considérations personnelles ; les policiers sont des êtres humains qui peuvent mettre en péril une mission pour sauver un enfant d’un tabassage ou qui agissent par conviction et patriotisme considérant qu’il est juste de défendre ce régime contre la menace communiste. À cet égard, le personnage de Lúcio, l’inspecteur sans pitié qui traque Marghilla a une aversion profonde pour les éléments étatsuniens qui s’immiscent dans les affaires de son pays et prennent les Brésiliens pour leurs vassaux.

Les acteurs sont tous excellents mais évidemment, le binôme sur lequel est tendu le ressort dramatique du film, Marguilla et Lúcio, donne une profondeur particulière au jeu de Seu Jorge (Marghilla) et Bruno Gagliasso (Lúcio) avec une présence à l’écran incandescente.

Un film important, car les temps sont inquiétants.
Interview à suivre.

De Wagner Moura ; avec Bruno Gagliasso, Seu Jorge , Adanilo, Adriana Esteves , Ana Paula Bouzas , Carla Ribas , Charles Paraventi , Guilherme Ferraz , Guilherme Lopes , Henrique Vieira , Herson Capri , Humberto Carrão , Jorge Paz , Luiz Carlos Vasconcelos , Rafael Lozano ; Brésil ; 2019 ; 155 minutes.

[La “quote of the day” est associée à ce film]

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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