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Berlinale 2020 – Compétition: Todos os mortos (All the Dead Ones) de Caetano Gotardo et Marco Dutra ; une histoire de la fin du 19e siècle qui explique le Brésil d’aujourd’hui

Nous somme en 1899, l’esclavage a été récemment aboli au Brésil. Après la mort de leur femme de ménage, les trois femmes de la famille Soares se sentent perdues dans la vie quotidienne qu’elles mènent loin de leur plantation, dans une ville de São Paulo en pleine expansion. Au retour de l’enterrement de Josefina, un des commentaires de la mère sera de dire que ce qu’il lui manquera le plus, c’est son café ! La famille, qui possédait autrefois des plantations de café, est aujourd’hui au bord de la ruine et lutte pour s’adapter aux changements sociétaux et économiques qu’a amené l’instauration de la République du Brésil. Parallèlement, la famille Nascimento, qui travaillait comme esclave dans la ferme des Soares, se retrouve à la dérive dans une société où il n’y a pas de place pour les noirs récemment libérés. Les thèmes qui se dessinent abordent l’esclavagisme comme lien direct avec le racisme structurel qui mine la société actuelle, les luttes de classes qui se perpétuent comme le montre l’opposition politique frontale et délétère entre Bolsonaro et le Parti des Travailleurs de Lula, le syncrétisme des cultures et des religions, le métissage et même, à peine perceptible, dans une marge du récit, l’homosexualité.

— Carolina Bianchi, Thaia Perez, Clarissa Kiste – Todos os mortos (All the Dead Ones)
© Hélène Louvart/Dezenove Som e Imagens

Marco Dutra parle du point de départ de leur projet :

L’idée était de revisiter le moment de la fin de l’esclavage et de la création de la République que nous connaissons aujourd’hui à partir de familles qui ont dû apprendre à se réinventer dans un nouveau monde.

Caetano Gotardo d’enchaîner :

La fin de la structure sur laquelle était basée la société brésilienne de l’Empire aurait dû être l’opportunité de construire une autre structure de la société dans une république. Mais nous sommes passés à côté et on retrouve les mêmes structures, même si cela est sous d’autres formes, jusqu’à nos jours.

Ce que nous avons voulu faire également, ce n’est pas de mettre l’accent uniquement sur la négritude mais de parler aussi de la « blanchitude », car on a toujours cette fausse idée que le blanc c’est le neutre, comme dans d’autres sociétés où le neutre serait l’homme par rapport au féminin qui lui possèderait des particularismes.

— Carolina Bianchi, Thomás Aquino – Todos os mortos (All the Dead Ones)
© Hélène Louvart/Dezenove Som e Imagens

La mise en scène très théâtrale, un peu statique – les cadres dans lesquels se meuvent les personnages font penser à ceux de tableaux – , avec beaucoup de dialogue peut dérouter pendant la première partie du film : pour celui qui n’est pas très familier avec l’histoire du Brésil, il faut naviguer entre les informations distillées par les saynètes, appréhender la complexité des protagonistes, assimiler régulièrement de nouveaux personnages. Puis, à mesure que le récit avance, les choses se mettent en place, se détendent dans leur approche visuelle et narrative et la concentration se dilue pour laisser la place à une attention plus leste et ouverte à sa propre réflexion.

— Mawusi Tulani, Agyei Augusto – Todos os mortos (All the Dead Ones)
© Hélène Louvart/Dezenove Som e Imagens

Concernant l’influence du théâtre sur leur travail, Marco Dutra ne s’en cache pas :

Caetano et moi-même adorons les drames de Tchekhov, Ibsen et Brecht, des dramaturges européens qui remettaient en cause la bourgeoisie. Mais nous ne voulions pas faire une réplique d’un drame de la fin du 19e siècle, nous devions réfléchir à la façon de se différencier, de donner une forme actuelle tout en s’inspirant de ces classiques.

Caetano Gotardo  ajoute :

Nous voulions aborder tes thématiques du film à travers des personnages riches, complexes, chargés d’émotions. Chaque protagoniste a une vie intérieure compliquée, abondante, pleine de subjectivité, sans compter que chacun.e représente un mode de pensée, une façon de voir le monde avec des perceptions de la vie qui s’opposent et se confrontent. Ces deux points sont des éléments centraux dans l’œuvre de Tchekhov.

Le film de Caetano Gotardo et Marco Dutra est d’une richesse narrative incroyable qui traverse les fils du temps et de l’espace, imbriquant petit à petit des éléments visuels et sonores contemporains – ici un poteau électrique, là le bruit de travaux actuels dans la ville – pour finir par emporter le spectateur dans la boucle de la grande histoire qui lie le passé au présent, les morts aux vivants.

De Caetano Gotardo, Marco Dutra; avec Mawusi Tulani, Clarissa Kiste, Carolina Bianchi, Thaia Perez, Agyei Augusto; Brésil, France; 2020; 120 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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