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Berlinale 2018 – compétition jour #5: Utøya 22. juli / 3 Tage in Quiberon

À regarder le programme, il était clair qu’au premier film en compétition de la journée, personne n’allait s’endormir, même si la séance de 9 heures est habituée aux ronflements. Le titre, Utøya 22. juli, et déjà un frisson parcourt l’échine. Le second film, dans un tout autre registre, faisait le portrait d’un instant de la vie de Romy Schneider, 3 jours à Quiberon, femme qui en termes de drames personnels était également bien servie. Dire que nous n’avons pas beaucoup eu l’occasion de faire jouer les muscles zygomatiques s’apparente à un euphémisme.

Utøya 22. Juli

C’était il y a seulement 7 ans, et pourtant c’était un autre monde. Celui où l’on pouvait organiser de grandes manifestations dans des lieux isolés – ou pas, mais dans ce cas, c’est une île au large d’Oslo – sans se poser des questions de faisabilité en matière de sécurité.

22 juillet 2011

15 h 26: explosions dans le centre-ville d’Oslo, dans le quartier des ministères.
Sur l’île d’Utøya, à une trentaine de kilomètres d’Oslo, le camp d’été de la Ligue des jeunes travaillistes continue malgré les inquiétudes de certains jeunes dont des membres de la famille travaillent dans le quartier touché. Une autre préoccupation est celle exprimée par un jeune d’origine afghane : « pourvu que ce ne soit pas un groupe de musulmans, imagine, cela va être l’enfer pour nous! »
17 h 22: les jeunes gens entendent des détonations que certains assimilent dans un premiers temps à des gros pétards, le deuxième temps arrivant très vite – il s’agit bien de coups de feu. La course pour la survie va débuter pour tous les participants au camp, qui ne sauront jamais pendant les 72 minutes que dure l’attaque, combien de personnes et qui tire sur eux, puisque Anders Behring Breivik le terroriste d’extrême-droite portait un uniforme de la police. Le bilan de cet acte terroriste est de 8 morts dans l’attentat du centre-ville et 69 victimes sur l’île, ainsi que 300 blessés, sans compter les traumatismes psychologiques qui durent jusqu’à présent.

Le réalisateur Erik Poppe ainsi que les scénaristes Siv Rajendram Eliassen et Anna Bache-Wiig ont cherché avant tout à restituer l’histoire des victimes, avec le plus grand respect pour elles. Ils ont fait de longues recherches, sont allés dans les plus petits détails avant d’écrire le scénario qui est une fiction écrite sur la réalité des témoignages des survivants.

Les survivants ont été partie prenante dans l’élaboration du scénario, mais nous avons aussi tenu à les impliquer dans tout le processus de réalisation. Trois survivants ont été présents à toutes les étapes; nous leur avons montré le film également avant la post-production afin qu’ils nous donnent leur avis. Pour les autres survivants qui le souhaitaient, ils ont pu voir le film avant la presse. On veut être sûrs que tout ce que l’on fait soit le plus respectueux possible.

… explique Siv Rajendram Eliassen. C’est à ce moment que l’animateur de la conférence de presse a indiqué que les trois survivants qui ont participé activement au film étaient assis dans la partie réservée de la salle à la production. Nous nous sommes regardés ébahis, ils se sont levés et, dans un rare moment d’émotion collective dans une salle de conférence de festival, nous avons applaudi longuement ces trois personnes, certain-e-s journalistes laissant couler pudiquement quelques larmes avant que le les choses reprennent leur cours.

La force du film est celle d’immerger totalement le spectateur dans ce sentiment de terreur. En une seule longue prise de nonante minutes nous sommes dans les pas de Kaja, le personnage fil-rouge – qui est fictif – de cette folle course à la survie. Le plan d’ouverture est magistral: Kaja est face caméra, les yeux plantés dans l’objectif et dit « Tu ne peux pas comprendre ». Petite seconde de flottement jusqu’à ce qu’elle se tourne et que l’on réalise qu’elle ne nous parle pas mais parle au téléphone avec son écouteur.

— Andrea Berntzen – Utøya 22. juli | U – July 22
© Agnete Brun

À partir de là, la caméra ne va plus cesser d’être en mouvement, d’être les yeux, le souffle, la peur de Kaja et de ce, ceux, celles qu’elle va croiser dans ces interminables septante-deux minutes. L’autre vertu du film est de ne jamais montrer le terroriste, si ce n’est à la toute fin, furtivement au loin. On entend des coups de feu continuellement, on voit des gens courir dans toutes les directions, se cacher, sortir de leur cachette, en chercher une autre à mesure que les détonations se rapprochent ou s’éloignent. Leur ouïe est le seul radar auquel leur instinct de survie peut essayer de se fier.
La caméra nous plonge littéralement dans la situation, elle s’aplatit sur le sol lorsque les gens s’aplatissent, court l’objectif rivé sur le dos de Kaja, baissant le regard sur le sol lorsqu’il y a des a des obstacles, se tournant rapidement dans la direction que prend le regard de Kaja quand elle jauge son environnement. Cette sensation d’être comme des rats pris au piège sur cette île étreint le spectateur autant que les personnages qui se débattent sur l’écran ; la même peur atavique nous prend les entrailles. Les jeunes gens finissent par faire corps avec la boue, la roche, l’arbre auprès desquels ils se pressent pour se fondre dans la nature.

Point d’orgue de la violence

Au cinéma, la violence, c’est au quotidien. On l’a vue sous toutes ses coutures. Du moins on le croyait. Ici très peu de violence visuelle à l’écran, même si à mesure que Kaja avance dans sa course et le temps de l’attaque, on aperçoit des blessés, des cadavres et, un peu à la manière d’un crescendo, on en voit plus et de plus près. Mais en réalité, très peu par rapport à la tragédie. Il s’avère que l’image la plus violente n’est pas celle d’une blessure ou d’un cadavre, mais celle du téléphone posé sur la poitrine d’une jeune fille qui vient de succomber à sa blessure, avec l’écran qui s’allume sur le visage de sa mère qui l’appelle. Empoignant.

Le cinéaste explique pourquoi il a tenu à faire un film sur un sujet si délicat à mettre en scène :

Quand on demande aux Norvégiens de dire leur expérience vis-à-vis de ce double attentat, les gens parlent principalement de son auteur, de ses motivations, ou sur la façon dont il faut reconstruire le centre-ville d’Oslo. Mais la mémoire de l’île s’estompe petit à petit. C’est pourquoi il était impératif pour moi de faire ce film, de montrer cette tragédie du point de vue exclusif des jeunes gens. Je vois partout en Europe le fascisme qui avance. Nous devons nous rappeler ce qu’il s’est passé sur cette petite île, ce que l’extrême-droite peut détruire dans nos sociétés.

Et le procédé de la prise unique :

Une seule prise c’est pour exprimer le temps. Au cinéma, à présent, on peut quasiment tout faire. Mais une chose reste difficile: restituer le temps. C’est pourquoi nous avons choisi l’exercice difficile de la longue prise unique. Elle est très difficile car, si les acteurs commencent à improviser, cela peut rapidement devenir chaotique. J’avais très peur de cela, c’est pourquoi il était important d’écrire un scénario extrêmement détaillé et que les acteurs se tiennent strictement à lui. Pour cela, on a travaillé dessus avec les acteurs tout l’été. On s’est énormément exercés – pendant des semaines – également avec la caméra pour qu’elle soit toujours placée correctement vis-à-vis des acteurs. Enfin, dans la première semaine de septembre, nous avons tourné: nous avions cinq jours, je n’avais que cinq chances pour faire le film – une par jour.

Malgré l’insistance des journalistes, Erik Poppe ne dévoilera pas laquelle nous voyons !

La performance des acteur-trice-s est bouleversante :

Cela a été un très long processus et des mois de recherches dans toute la Norvège pour trouver les acteur-trice-s justes, à même de porter cette tragédie et ces émotions. Andrea Berntzen, qui interprète Kaja, porte littéralement le film sur ses épaules. Elle est le talent le plus extraordinaire que j’ai vu de toute ma carrière, et pourtant j’en ai connu de très bonnes actrices!

De Erik Poppe; avec Andrea Berntzen, Aleksander Holmen, Brede Fristad, Elli Rhiannon Müller Osbourne, Solveig Koløen Birkeland, Sorosh Sadat, Ada Eide; Norvège; 2018; 90 minutes.

3 Tage in Quiberon (3 jours à Quiberon)

Nous sommes en 1981, Romy Schneider fait un séjour dans un hôtel-spa en Bretagne pour se désintoxiquer avant un tournage de l’alcool et des médicaments dont elle abuse. Une amie d’enfance la rejoint afin de passer trois jours avec elle. Mais dans l’hôtel, il y a également deux reporters venus d’Allemagne pour faire une interview de l’actrice – le photographe Robert Lebeck, qu’elle connaît bien, et le journaliste Michael Jürgs du magazine Stern. Jürgs est bien décidé à faire l’interview de sa carrière avec ce personnage public qui ne cesse de faire les gros titres des journaux à scandale allemands. Pour ce faire, il use de manipulation, d’impitoyabilité dans son rapport avec Romy Schneider, en la poussant dans ses retranchements avec des questions d’une dureté inouïe pour les standards actuels. De son côté, Romy Schneider veut absolument faire cette interview, malgré les réticences de son amie qui pense que cela la tire vers le bas, car elle veut une fois pour toute casser cette image maudite de Sissi et en montrer une autre : celle d’une femme et d’une artiste à part entière.  « Je suis une femme de 42 ans malheureuse et mon nom est Romy Schneider » assène-t-elle à Jürgs.

— Marie Bäumer – 3 Tage in Quiberon | 3 Days in Quiberon | 3 jours à Quiberon
© Rohfilm Factory / Prokino / Peter Hartwig

L’incarnation des personnages est de très bonne facture, avec une Marie Bäumer bluffante d’authenticité – en cela aidée par sa ressemblance époustouflante avec l’actrice autrichienne, Robert Gwisdek en Michael Jürgs absolument détestable mais laissant transparaître une facette plus complexe que son apparente arrogance et froideur, Birgit Minichmayr dans le rôle de l’amie qui sert de pôle d’équilibre et Charly Hübner qui joue avec finesse le photographe Beleck qui malgré sa corpulence se faufile dans l’espace avec la grâce de celui qui sait être présent sans s’imposer.
Un film bien ficelé bien qu’un peu long, doté d’une très belle cinématographie en noir et blanc qui rappelle les photos à présent célèbres prises par Robert Lebeck lors de ces trois jours, on regrettera que l’autre thème du film, la façon d’exercer le journalisme à cette époque, ne soit pas abordé de manière aussi profonde et subtile que celui de l’état d’esprit de cette actrice marquée au fer de la tragédie.

D’Emily Atef; avec Marie Bäumer, Birgit Minichmayr, Charly Hübner, Robert Gwisdek, Denis Lavant, Yann Grouhel; Allemagne, Autriche, France; 2018; 115 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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