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Berlinale 2021: Dans la section Generation, Beans, de Tracey Deer, rappelle les manifestations durement réprimées de la Nation Mohawk dans les années nonante

L’approche de Tracey Deer mêle avec poésie et authenticité l’histoire personnelle de Beans, de la chrysalide de l’enfance à l’adolescente guerrière mohawk avec la grande histoire de la Nation Mohawk et de ses revendications bafouées par l’Etat canadien.

« C’est le territoire mohawk ! » s’exclame une cheffe de file des manifestants pacifiques de la Nation Mohawk.

Dès le générique d’ouverture, l’inscription « basé sur des faits réels » donne le ton. On comprend que le vécu empirique de Tracey Deer sera intrinsèquement lié à un chapitre crucial de l’histoire de la Nation Mohawk. La séquence d’ouverture montre le regard d’une très jeune fille (Kiawentiio Tarbell), les yeux songeurs qui regardent au loin à travers la vitre arrière dune voiture, le souffle un peu haletant alors que la radio annonce d’importants bouchons pour se rendre à Montréal. La séquence suivante montre d’abord une femme d’une trentaine d’années (Rainbow Dickerson) aux côtés de la jeune fille qui répète patiemment en séparant les syllabes son prénom mohawk, pleine de confiance : « Mon nom est Tekahentahkhwa, mais tout le monde m’appelle Beans. » Puis la caméra montre une femme tirée à quatre épingles et au tailleur strict : on comprend que Beans (Kiawentiio Tarbell), la pré-adolescente de la voiture et sa mère se trouvent face à la directrice, Mrs Arsenault (Dawn Ford) d’un établissement secondaire. Quand la directrice lit le dossier de Beans dans lequel son professeur a écrit qu’elle est une « élève concentrée et très intéressée », Beans précise aussitôt : « Je veux être soit une avocate, soit un docteur. » Séquence ; Beans et sa maman, enceinte, quittent l’école sous la pluie et la jeune fille dit à sa maman : « Je suis désolée ! »

— Rainbow Dickerson, Kiawentiio – Beans
© Sébastien Raymond

On comprend aussitôt le contexte social et racial du Canada des années 1990 : les prétentions de Beans n’ont peut-être pas été appréciées par la directrice de l’école; en filigrane, quand on appartient aux nations amérindiennes d’origine, les chances sont loin d’être égales.

En soirée, on retrouve Beans en famille, à table avec ses parentset sa petite sœur, Ruby (Violah Beauvais) à table. Alors que le père de famille incite Beans, douze ans, à ne pas se laisser influencer par sa mère celle-ci dit à Beans : « Tu dois te lever et te battre pour ce qui est important pour toi. » L’adolescente semble au bord du gouffre: prise entre sa naïveté d’enfance et la délinquance de l’adolescence; elle connaît ses aspirations qu’elle tente de cacher pour s’intégrer à une bande de petites frappes qui la fascine. Progressivement, Beans adopte des tenues sexy au grand damne de ses parents, se maquille de plus en plus, utilise des mots très vulgaires, puis tombe sous l’emprise de mauvaises fréquentations, qui l’entraîne dans la consommation d’alcool et les paris action/vérité, comme le pari d’être dans une armoire deux minutes avec un adolescent plus âgé.

Devant la télévision, un reportage montre la Nation mohawk manifestant pour sauver leur forêt ancestrale, liée à leurs traditions et leur cosmogonie, une forêt menacée et emblématique d’un enjeu socio-politique car des investisseurs veulent y créer un terrain de golf. Par le biais de ces manifestations pour défendre cette forêt ancestrale, les spectateurs comprennent les tensions sociales et raciales qui règnent au Canada entre les populations amérindiennes et les Canadiens blancs venus d’Europe quelques siècles auparavant. Le lendemain, la maman emmène ses deux filles sur place pour soutenir cette manifestation pacifique et à l’ambiance bon enfant : la caméra filme la clarté du soleil à travers la cime des arbres puis les deux fillettes ramassant des balles de golf qui jonchent le terre au pied des arbres où s’élèvent des stèles funéraires mokawk.

Cette scène très poétique, est accompagnée d’une douce musique interrompue par des coups de feu.

Entrecoupé par des séquences de journaux télévisés et d’informations radiophoniques de l’époque qui relatent les manifestations, ce contexte lézardé par des tensions très anciennes est de plus en plus tangible pour les spectateurs.

Si la bienveillance et la tolérance règne au sein de la famille comme dans la communauté Mohawk, certaines scènes sont d’un extrême violence psychologique et visuelle : alors que la mère est partie en bateau avec ses filles et deux amies afin de leur changer les idées, toute l’équipée se rend dans une petite épicerie où le propriétaire blanc refuse de les servir et quand le petit groupe se rend sur le ponton pour repartir, une meute de personnes enragées les empêche d’embarquer dans le bateau, leur hurlant contre et leur crachant dessus. La maman et ses filles partent « en voyage » dans un endroit plus sûr, mais sur la route, des Québécois leur jettent des projectiles dont des pierres. Plus le film avance, plus la chasse à l’homme et la traque s’intensifient tel un étau qui se resserre, inéluctablement.

Le message de Tracey Deer est puissant et la piqûre de rappel est la bienvenue : la Nation Mohawk doit défendre ses terres ancestrales durant la crise d’Oka qui a déchiré le Québec et le Canada durant l’été 1990.

Comme indiqué en en-tête, la petite histoire rejoint la grande histoire, se mêlant et se confondant souvent. Beans poursuit son rêve d’être acceptée à la célèbre Queen Heights Academy. Pourtant, avec l’éclatement de la crise, son monde est bouleversé. Les médias regorgent de reportages sur la lutte du peuple Mohawk pour ses droits, leurs manifestations pacifiques ont répondu par la violence raciale. Des barrages routiers sont érigés. Il y a des morts et des blessés. Face à tout cela, Beans s’engage encore plus passionnément dans la lutte de son peuple – surtout une fois qu’elle est sous l’influence d’April (Paulina Jewel Alexis), une fille plus âgée et rebelle de sa communauté. Entrecoupé de séquences d’archives, ce film politique sans équivoque raconte une histoire d’émancipation personnelle et sociale.

La réalisatrice a remporté plusieurs prix pour son travail, dont deux Gemini Awards et le Birks Diamond Tribute Award au Festival international du film de Toronto. Sa série Mohawk Girls, pour laquelle elle a été co-créatrice, réalisatrice et co-animatrice, a été nominée quatre fois de suite pour un Canadian Screen Award. Tracey Deer est présidente du conseil d’administration de Women in View, un organisme sans but lucratif qui préconise une plus grande diversité et une plus grande parité entre les sexes dans les médias canadiens. Elle a également été mentor sur un certain nombre de programmes de développement des talents, en particulier pour les cinéastes autochtones émergents. Le militantisme dans lequel elle a grandi l’a amené à mener divers combats en tant qu’adulte.

Tracey Deer se confie sur les origines de son film :

« Je porte ce projet depuis des années. J’étais Beans. J’avais douze ans lorsque j’ai vécu la confrontation armée entre mon peuple, la nation Mohawk; et la police provinciale du Québec et l’armée canadienne. La crise d’Oka. La nation Mohawk de Kanesatake et Kahnawà:ke a résisté à un redoutable intimidateur – et a gagné. Cet été-là, j’ai décidé de devenir cinéaste et je me suis promis de raconter un jour cette histoire. »

Elle souligne la discrépance de ressenti, de perception et de vécu entre les représentants de la Nation Mohawk et les Canadiens blancs, une discrépance très bien mise en images dans le film :

« Les Canadiens n’ont pas vécu cet été comme nous l’avons vécu. Dans les médias, nous étions des terroristes. Nos voisins nous ont attaqués. Nos droits humains fondamentaux ont été violés. Et au lieu d’offrir leur protection, la police provinciale et l’armée canadienne ont braqué leurs armes, nous mettant dans leur ligne de mire. Ça vous dit quelque chose? Trente ans plus tard, ces mêmes scènes jouent sur nos écrans de télévision alors que les gens revendiquent pour la justice raciale et sociale à travers l’Amérique du Nord. Comme avant, ils retrouvent une confrontation violente, au lieu de bras ouverts. »

La dimension internationale de ce douloureux sujets rappelle tristement que telles manifestations pacifiques des populations autochtones ont débouché sur une violence répression souvent armée, parfois sur des bains sang; on songe inévitablement aux Amérindiens des États-Unis, aux Berbères et aux Kabyles d’Algérie « enfumés » dans des grottes par l’armée française, aux étudiants des townships de Soweto, le combat de Nelson Mandela pour supprimer l’apartheid, aux Aztèques, aux Mayas, aux Quechuas, aux Indiens d’Amazonie … La liste des peuples autochtones bafoués est interminable et le film de Tracey Queer, à travers les manifestations de la Nation mohawk, rappelle que l’histoire se répète inlassablement Quelles que soient les latitudes !

— Kiawentiio – Beans
© Sébastien Raymond

La réalisatrice ne cache pas sa volonté de donner une dimension et une portée universelles au thème que porte son film :

« Avec ce film, je veux que les Canadiens et le public du monde entier fassent l’expérience de ce que c’est que d’être au centre de tant de haine et de colère, et de ce que l’impact destructeur que cela a eu sur moi et mon peuple. Ces types d’expériences détruisent l’innocence, la confiance et l’espoir. Même si ce film se déroule en 1990 et montre à quel point la situation était mauvaise, ces messages d’intolérance, d’ignorance et d’indifférence sont toujours entendus haut et fort à travers le pays aujourd’hui. Nous le vivons tous les jours. Comme une infection, la haine et la colère se propagent et se multiplient des deux côtés. Nous devons arrêter ce cycle de violence pour empêcher la prochaine génération de répéter les erreurs de notre passé et, honteusement, de notre présent. »

À l’heure où les mouvements suprémacistes et les populismes poussent comment des champignons après une averse, il est nécessaire et bienvenu qu’un film comme Beans soit vu par de nombreux spectateurs et que son message soit diffusé, à commencer par la section Generation de la 71ᵉ édition la Berlinale !

Meredith Vuchnich et Tracey Deer ont remporté le prix TIFF-CBC Films Screewriter pour le film Beans dont la première mondiale a eu lieu au TIFF.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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