Cannes 2019 : la 72ème édition du festival s’ouvre avec la comédie horrifique et les zombies de Jim Jarmusch – The Dead Don’t Die
The Dead Don’t Die (Les morts ne meurent pas) , de Jim Jarmusch entraîne les spectateurs dans la sereine petite ville de Centerville où le panneau d’accueil à l’entrée de la ville annonce : « Centerville : the nice place to be ! » A Centerville, il y a un commissariat qui sert aussi de morgue, un diner aux rideaux fermés, une route qui traverse la petite ville sans centre névralgique: Tout semble paisible et sans histoire dans cette localité perdue au milieu de nulle part … Pourtant, quelque chose cloche : la lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et nocturnes, les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels et finissent par disparaître. Personne ne sait vraiment pourquoi.
Pourtant, Cliff Robertson (Bill Murray) et Ronald Peterson (Adam Driver), les policiers de Centerville, que l’on aperçoit dès la séquence d’ouverture dans l’habitacle de leur voiture, ne cessent de patrouiller dans la bourgade, parfois assistés de leur jeune collègue Mindy Morrison (Chloe Sevigny). De manière placide, voire laconique, les deux policiers argumentent sur la chanson du titre : «Cette chanson, elle m’est étrangement familière… – C’est normal, c’est la chanson-titre du film.»
Jim Jarmusch indique à propos de cette chanson récurrente du film et de Sturgill Simpson, son compositeur-interprète :
C’est un guitariste exceptionnel que j’admire depuis longtemps. Je lui ai demandé d’écrire une chanson qui répondrait à ce titre et sonnerait comme un classique de la country façon début des années 1960, un truc qu’on aurait oublié. Je lui ai donné le scénario avec mission d’en faire ce qu’il voulait.
Il est vrai qu’à Centerville, certains voisins intriguent, voire inquiètent : RZA en livreur de «Wu-PS», qui sert des adages philosophiques lors de ses livraisons au jeune Billy Wiggins (Caleb Landry Jones) qui tient une station d’essence et petit magasin. Le jeune homme est passionné de films d’horreur et de films de zombies et son échoppe regorge de masques et autres accessoires insolites. Bob l’ermite (Tom Waits), crasseux et misanthrope, qui vit depuis de nombreuses années dans les forêts avoisinantes, se nourrissant d’écureuils et d’insectes; Miller le fermier suprémaciste (Steve Buscemi), dont les poules et les vaches disparaissent et qui a tôt fait de porter des accusation et désigner des coupables; ou encore celle nouvelle venue au regard d’acier et au drôle d’accent aux consonances écossaises, Zelda Winston (Tilda Swinton) qui a repris les pompes funèbres locales et pratique à la perfection le Kenjutsu nippon.
Les nouvelles deviennent effrayantes et les scientifiques sont inquiets car la terre est sortie de son axe d’où le dérèglement du jour et de la nuit, de la flore, de la faune et peut-être même plus .… Mais personne ne pouvait prévoir l’évènement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. Les premières victimes sont Lily (Rosal Colon), la tenancière du diner que fréquentent quotidiennement les habitants de la petite ville et sa femme de ménage.
C’est Frank Thompson (Danny Glover), un habitué du diner, qui découvre au petit matin les victimes, éventrées et vidées de leur sang.
Les experts parmi les spectateurs reconnaîtront Iggy Pop, le Z, plus déterré que nature, et Sara Driver, le coffee zombie.
La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville. Les policiers comme la journaliste de la chaîne de télévision locale (Selena Gomez) ne cessent de répéter de manière laconique : « S’agit-il d’une bête sauvage ? Ou s’agit-il de plusieurs bêtes sauvages ? » Le ton est donné : Jarmusch s’amuse par le truchement de répétitions appuyées, mâtinées de banalité, et réussit à amuser son public.
Le cinéaste ponctue sa tragi-comédie de la fameuse chanson de Sturgill Simpson, chanteur de musique country, que de nombreuses personnes adorent, y compris ces trois jeunes touristes hipsters venus de Pittsburgh ou de Cleveland.
Jim Jarmusch s’amuse constamment à tendre un miroir à ses acteurs dans une mise en abîme savoureuse alors qu’ils s’interrogent sur le scénario : Ronald Peterson ne cesse de répéter : « Cette histoire va mal finir ! » Cliff Robertson de lui demander : « Pourquoi répètes-tu cela ? » Ronald de répondre : « Parce que j’ai lu le scénario jusqu’à la fin. » Cliff, scandalisé, de lui rétorquer: « Jim t’a donné à lire le scénario entier alors qu’il ne m’a donné que nos scènes communes ! Après tout ce que j’ai fait pour lui ! Et je ne dis pas tout ! »
On l’a compris : le ton se veut à la fois corrosif et drôle même si le fond aborde l’apocalypse, la fin d’une humanité qui a puisé dans les ressources de la terre sans conscience ni respect. Comme il l’a déclaré à Cannes, selon Jarmusch :
Les zombies, c’est nous, le signe que l’ordre social est rompu.
On retrouve dans ce film qui marque l’ouverture du Festival de Cannes des figures familières de l’œuvre, servies par des comédiens tout aussi familiers du cinéaste et de son travail. Une distribution haut de gamme dont tous les acteurs étaient très attendus sur la Croisette. Alors que l’équipe arrive en limousine pour la montée des marches, les actrices Tilda Swinton et Chloe Sevigny se sont prêtées très volontiers au jeu des selfies et des dédicaces.
Les zombies de Jim Jarmusch sortent de leur tombe pour retrouver leurs habitudes, voire leur vices de leur vie de vivants : les « undeads » cherchent du wi-fi, jouent au tennis ou à la guitare ou demande, dans un râle poussif «Chardonnaaaay» ou «coffeeee»; bref, les morts-vivants retournent à ce qu’ils faisaient de leur vivant, déclenchant un fou rire généralisé parmi les spectateurs.
Le dernier film de Jim Jarmusch semble le récit tautologique d’un monde exploité, suranné qui n’a pas su arrêter à temps l’exploitation excessive des ressources terrestres.
Jim Jarmusch et le Festival de Cannes, c’est une longue histoire d’amour : depuis 1984 et la Caméra d’or pour Stranger Than Paradise, les films du cinéaste ont été sélectionnés à de nombreuses reprises, comme avec Paterson, Broken Flowers, Only Lovers Left Alive, Ghost Dog, Dead Man ou encore Mystery Train.
Au fil de sa filmographie, le cinéaste s’est constitué une famille d’acteurs auxquels il reste fidèle et cette fidélité est réciproque : Bill Murray, Steve Buscemi, Adam Driver, Tilda Swinton, Tom Waits, Chloë Sevigny, Rosie Perez, Iggy Pop ou encore RZA, tous ces comédiens ont déjà joué plusieurs fois sous la direction de Jim Jarmusch.
Jim Jarmusch est apparu, entouré de ses comédiens-amis, à l’aspect juvénil, ses cheveux argentés dressés en pics sur sa tête malgré ses soixante-six ans. Affichant treize longs-métrages au compteur, Jim Jarmusch semble avoir conservé un regard à la fois malicieux, pointu et acerbe sur ses congénères.
Surprenant, un film de genre fait l’ouverture du Festival de Cannes ? Nenni non point ! Ce fut déjà le cas avec Lemming de Dominik Moll en 2005.
Avant la projection de The Dead Don’t Die, le public de la Salle Lumière a pu savourer la présentation d’Edouard Baer au président du Jury de la compétition, Alejandro González Iñárritu a parlé longuement en espagnol sans que le festival ne prévoit une traduction. Mais son accent délicat et son phrasé distinct ont permis même aux non-hispanophones de le comprendre :
J’aimerais voir les films sans savoir qui est le réalisateur. Je pense qu’on doit juger le film lui-même, l’art lui-même, et peu importe que le nom du réalisateur soit connu.
Le réalisateur mexicain compte juste « être imprégné, être secoué, touché ». Face à « une sélection exceptionnelle, on aura une tâche difficile.”
Il a ensuite rappeler l’importance du Festival de Cannes auquel est venu d’abord avec sa femme, María Eladia, puis avec leurs enfants, María Eladia et Eliseo et a remercié les membres de son jury, « international à l’instar du festival et avec lesquels il se réjouit de travailler » : Ces artistes qui l’accompagneront dans cette tâche ardue : l’actrice américaine Elle Fanny, le dessinateur de bandes dessines et réalisateur Enki Bilal, la réalisatrice américaine Kelly Reichardt, le cinéaste français Robin Campillo, le cinéaste polonais Pawel Pawlikowski, l’actrice burkinabée Maimouna N’Diaye, le cinéaste grec Yorgos Lanthimos.
Firouz E. Pillet, Cannes
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