Cannes 2019 : « La Gomera », de Corneliuu Porumboiu, offre un divertissement savoureux et burlesque
La nouvelle génération de cinéastes roumains regorgent de talentueux réalisateurs au style bien affirmés et très différents. Rappelons La mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu (Meilleur film d’Un Certain Regard en 2005), A Est di Bucharest de Porumboiu (Caméra d’or en 2006) et 4 mois, 3 semaines et 2 jours de Cristian Mungiu (Palme d’Or en 2007). Trois prix qui ont été les précurseurs des prix suivants remportés à la Berlinale par Călin Peter Netzer (Ours d’or en 2013), Aferim ! de Radu Jude (Ours d’argent en 2015) et Touch Me Not d’Adina Pintilie (Ours d’or en 2018), sans parler d’autres auteurs remarquables comme Cristian Nemescu, Cătălin Mitulescu, Radu Muntean et surtout Adrian Sitaru.
Parmi cette génération, le réalisateur roumain Corneliuu Porumboiu fait des films à la forme ludique et au ton enjoué, des films dans lesquels il exprime beaucoup d’idées. On se rappelle les enquêtes historiques bavardes de ses débuts 12:08 à l’est de Bucarest à l’éthique du cinéma dans When Evening Falls in Bucarest ou Metabolism, ou aux réflexions impassibles sur le langage de la justice dans Police, Adjectif, Porumboiu a réussi à mettre en relief des techniques narratives tantôt dynamiques, tantôt lente, tantôt imprévisibles. Avec l’histoire entre un père et son fils de 2015 – The Treasure – dans laquelle le récit itinérant s’enrichit d’une touche sentimental – il affirme son style en l’enrichissant tout en le rendant plus accessible.
Corneliuu Porumboiu confirme cette tendance avec son dernier film, un noir empli d’humour et cocasserie. La Gomera (du nom d’une île des Canaries, en Espagne) – Les siffleurs pour les pays francophones ou The Whistlers pour les pays anglophones, un joyeux film noir regorgeant d’humour, en lice pour la Palme, truffée de motifs de genres et de références cinématographiques dont la célèbre scène de la douche de Psychose d’Alfred Hitchcock, qui suscite amusement et rires.
Comédie policière de Corneliu Porumboiu avec Vlad Ivanov, Catrinel Marlon, Rodica Lazar.
Corneliu Porumboiu commence son dernier film avec The Passenter d’Iggy Pop alors que son protagoniste, Criait (Vlad Ivanov) arrive dans un petit port des Canaris, La Gomera. Il est commissaire de police, à Bucarest, d’âge moyen. Cristi est venu à la Gomera car il a l’intention de faire sortir de prison un homme d’affaires corrompu. Mais pour cela, il doit d’abord maîtriser le langage sifflé de l’île, inventé par les Guanches, les premiers habitats de l’île et que les criminels utilisent depuis des générations pour communiquer : ” Quand les flics l’entendent, ils pensent que les oiseaux chantent “, dit Kiko (Antonio Buil), le voyou chargé de mener Cristi dans un monde parallèle et souterrain d’agendas cachés et de plans illicites qui restent difficiles à cerner pendant la majeure partie du film. Il se profile le potentiel d’un gros coup, la menace de voir des policiers s’approcher en enquêtant sur les ramifications d’un réseau de trafic de drogues, et même une histoire d’amour.
Dans la grande tradition du Faucon Maltais et des Blake et Mortimer, Porumboiu aime brouiller les pistes et plonge ses personnages dans des méandres où même les spectateurs se perdent dans un récit à tiroirs, noyant ses personnages dans le scénario qui se développe autour d’eux.
Rapidement, Cristi est initié par Gilda (Catrinel Marlon), sorte de femme fatale qui ait perdre la tête à ses collègues masculins tout en gardant bien froide la sienne, à une leçon sur l’alphabet sifflé en roumain. Mais la langue sifflée n’est guère aisée et les premières tentatives de Cristi sont laborieuses.
Mais si cette soif d’argent, même si il est sale, et cette attirance fatale pour Gilda sont toujours maîtrisées par l’imperturbable Cristi, qui maintenant agit avec aplomb, un visage de pierre digne d’un personnage de Kaurismaki; on découvre, dans un dialogue avec la mère qui exige qu’il justifie l’argent trouvé dans une valise à la cave et lui suggère d’affirmer que cet argent provenait de pots-de-vin touchés par son défunt père, un bureaucrate du parti sous l’ancien régime… « à cette époque qui ne le faisait pas ? » dit la mère de Cristi.
Au fur et à mesure que le film se déroule, faisant voyager les spectateur des Canaris à la Roumanie terminant à Singapore, le récit et ses rebondissements demande beaucoup de concentration pour ne pas s’y perdre mais le film, rocambolesque et abracadabrant fait passer un moment drolatique et cocasse, ce qui ne sont habituellement pas les qualités premières d’un film policier.
Firouz E. Pillet, Cannes
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