Cannes 2019 : présenté en compétition, Parasite, de Bong Joon-ho, a remporté la Palme d’Or, décernée à l’unanimité par le jury – Sortie sur les écrans romands
Parasite marque le retour de Bong Joon-ho dans son pays et sa langue d’origine dix ans après Mother. Un retour qui marque aussi le constat amer du cinéaste sur son pays et les vicissitudes de sa société.
Vivant chichement dans un entresol pouilleux, toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Les parasites sont leur quotidien : de nombreux cafards s’agitent dès les lumières allumées, quelques parasites viennent gâcher la joie d’un repas partagé en famille – les parents, la fille, le fils. Et quand un employé municipal passe en aspergeant les murs extérieurs des demeures d’un insecticide, le père de famille ordonne à ses enfants de laisser les fenêtres de l’entresol familial ouvertes, histoire de profiter de ce pesticide « gratuit ». Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais à la fille des Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne. A moins que …
Bong Joon-ho décrit son film comme
une comédie sans clowns, une tragédie sans méchants
avec laquelle il a cherché à observer comment différentes classes sociales pouvaient cohabiter dans un monde où les rapports de classe sont de plus en plus violents : au milieu d’un tel monde, qui pourrait pointer du doigt une famille qui lutte pour sa survie en les affublant du nom de parasites ? Ils n’étaient pas des parasites au départ. Ils sont nos voisins, nos amis et collègues, qui ont été poussés vers le précipice.
C’est bien là que réside un sentiment de malaise avec cette intrigue universelle. En le visionnant, on croit reconnaître des personnes plus ou moins familières, des différences de classes sociales, et par conséquent économiques qui stigmatisent inévitablement les plus défavorisées, souvent oubliés dans une société de plus en plus compartimentée. On croirait le système de castes l’apanage de l’Inde. Il n’en est rien !
Bong Joon-ho décrit ici les inégalités qui se creusent de plus en plus non seulement dans la société coréenne mais aussi dans le monde entier où le capitalisme règne sans partage. Seul l’emploi permet à différentes classes sociales de se rencontrer, comme le souligne le réalisateur,
Dans la société capitaliste d’aujourd’hui, il existe des rangs et des castes qui sont invisibles à l’oeil nu. Nous les tenons éloignés de notre regard en considérant les hiérarchies de classes comme des vestiges du passé, alors qu’il y a encore aujourd’hui des frontières infranchissables entre les classes sociales. Je pense que ce film décrit ce qui arrive lorsque deux classes se frôlent dans cette société de plus en plus polarisée.
Un constat qui peut se faire sous nombre d’autres latitudes à travers le monde.
Thriller, film social, film de genre, film policier, film politique : Parasite est tout cela à la fois, ce qui permettra aux cinéphiles aux revenus modestes de voir plusieurs films en une seule fois. Bong Joon-ho réinvente le classique « film de maison » (on songe à Péril en la demeure (1985) de Michel Deville ou au film de Moufida Tatli Le silence des palais (1994) où les relations de plus en plus exacerbées se déroulent majoritairement dans un huit-clos propice à engendrer une catharsis inéluctable). Ce microcosme alimente des relations toxiques, voire vénéneuses entre domestiques et employeurs, et fabrique un thriller au rythme effréné. A la fin de ces deux heures onze de film, on s’interroge sur le besoin impérieux, voire viscérale, de surenchère du cinéaste.
https://www.youtube.com/watch?v=JLIIxDQmjyg
Afin de préserver le plus possible le mystère autour de Parasite, Bon Joon-ho, à l’instar de Quentin Tarantino, a écrit une lettre à l’attention des journalistes leur demandant de ne rien dévoiler de l’intrigue :
Je vous demande donc de bien vouloir protéger les émotions des spectateurs : Quand vous écrirez une critique du film, je vous prie de bien vouloir éviter de mentionner ce qui va se passer après que le fils et la fille aient commencé à travailler chez les Park.
A fortiori et a posteriori, on va donc s’incliner devant la requête du cinéaste en préservant vos émotions et en vous laissant savourant et l’intrigue et sa chute. Que les spectateurs qui avaient apprécié la dimension bucolique et le message écologique de Okja (2017) en suivant les aventures de Mija et son grand-père dans les montagnes sud-coréennes en compagnie d’un de ces cochons, s’abstiennent de voir Parasite! Il n’y est question de montagnes à la nature préservée, ni de cochons domestiques, ni de vertes prairies et de paisibles clairières.
Les spectateurs avertis pourront découvrir Parasite dès cette semaine (19 juin) sur les écrans romands.
Firouz E. Pillet
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