« Être vivant et le savoir », d’Alain Cavalier, rend un hommage émouvant à la romancière Emmanuelle Bernheim, disparue en mai 2017 – Sortie en Suisse romande le 19 juin 2019. Rencontre
Être vivant et le savoir, le dernier documentaire d’Alain Cavalier, a été projeté en séance spéciale au Festival de Cannes. Dans ce dernier film, le cinéaste français raconte l’histoire d’un film initial qui a laissé place à un autre film en cours de réalisation.
Emmanuelle Bernheim et Alain Cavalier partagent trente ans d’amitié. Après avoir lu le livre autobiographique de la romancière et scénariste Tout s’est bien passé, il propose à Emmanuelle d’adapter avec elle son propre livre. Le duo prépare donc un film. Dans ce livre, Emmanuelle Bernheim raconte comment son père lui a demandé « d’en finir », de l’aider à quitter cette vie terrestre alors qu’il était hémiplégique à la suite d’un accident cardio-vasculaire. Il redoutait qu’il ne perde ce qui lui restait, son esprit.
Emmanuelle Bernheim n’est guère à l’aise avec ce projet, ayant beaucoup souffert de ce père « vachard » avec elle. Alain Cavalier lui propose de tenir son propre rôle et que lui joue le rôle de son père. Les réticences initiales d’Emmanuelle se dissipent grâce au plaisir de travailler ensemble et à la richesse de leurs échanges et de leurs conversations.
Un matin d’hiver, Emmanuelle téléphone à Alain : elle a été faire un contrôle mammaire et on lui a diagnostiqué un cancer; il faudra retarder le tournage jusqu’au printemps, elle est opérée d’urgence.
Quand nous avions rencontré Alain Cavalier pour son film Portraits XL, le cinéaste se définissait ainsi :
Je ne suis pas un documentariste. Je suis plutôt un amateur de visages, de mains et d’objets : j’aime la générosité de ces femmes qui acceptent que je les filme.
C’est en effet le cas ici : Alain Cavalier filme Emmanuelle Bernheim, leur complicité palpable, leurs réflexions sur la vie, sur la mort, sur l’écriture, sur le cinéma. D’ailleurs, dans une sorte de passation de savoirs, Emmanuelle Bernheim s’empare de la caméra d’Alain Cavalier et se met à filmer le cinéaste, qu’on ne verra pas sur grand écran. Alain Cavalier, quant à lui, écrit son journal intime, ses réflexions, ses pensées; le cinéaste écrit aussi ce qu’il ne peut pas montrer.
Alain Cavalier fait part de ses pensées tout en filmant des éléments anodins du quotidien qu’on fini par ne plus observer si ce n’est par le truchement de sa caméra : une série de potions dont le cinéaste filme la décomposition au fil des mois; un pigeon blessé; un chat; une pomme de terre patinée qui a pourtant germé. Message subtil qui rappelle que la vie et la mort sont liées.
Être vivant et le savoir propose une expérience cinématographique singulière qui raconte une histoire d’amitié, une histoire de partage mais aussi une histoire de fin de vie. D’ailleurs, en entrée en matière, le cinéaste nous confie être venue au chevet d’une amie d’enfance, Anne Aeschlimann, atteinte d’un cancer qui s’est réveillé après vingt ans de sommeil, une amie qu’il est venu trouver à Genève avant qu’elle ne décide de prendre le fameux breuvage qui la libérait de ses souffrances.
Juste avant l’avant-première de son film aux Cinémas du Grütli, à Genève, ce lundi 17 juin 2019, nous avons eu l’immense honneur de rencontrer Alain Cavalier.
Le cinéaste nous a parlé de son film, de son amitié avec Emmanuelle Bernhein mais aussi du changement de matériel dans sa carrière de cinéaste en rappelant, qu’assistant de Louis Malle au sortir de l’Idhec, en 1957, il a d’abord connu un cinéma traditionnel avec du matériel lours et de nombreux intervenants sur le tournage.
Depuis les années nonante, Alain Cavalier filme en solitaire, muni de sa petite caméra DV qui lui permet de filmer en tout temps et en tout lieu, de capter des instantanées de la vie quotidienne mais aussi des moments d’échanges, de gestes et de paroles uniques, nés de la complicité qui a construit son amitié avec Emmanuelle Bernheim. Le Filmeur prouve encore une fois combien il sait brosser de magnifiques portais même quand Thanatos s’invite en plein tournage.
A l’affiche en Suisse romande dès le 19 juin 2019.
Firouz E. Pillet
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