FIFF 2019 : Papicha, de Mounia Meddour, a surmonté l’obscurantisme et représentera l’Algérie aux Oscars
[Update 14 octobre: La sortie du film ayant été annulée en Algérie, sa participation à la course aux Oscars était compromise, mais une dérogation lui permet de concourir. En savoir plus dans la seconde critique (par MaB) du film faite lors de sa participation au Film Festival Gent. N.D.L.R.]
Papicha raconte l’histoire d’étudiantes dans les années nonante à Alger, qui décident de monter un défilé de mode malgré la pression des islamistes.
Alger, fin des années nonante . Papicha replonge les festivaliers dans l’horreur de la désormais célèbre décennie de la terreur où les faux barrages et les décapitations sommaires sont pratiqués à travers tout le pays.
Nedjma, dix-huit ans, étudiante en français, habite la cité universitaire, rêve de devenir styliste. D’alleurs, elle passe son temps à dessiner pendant les cours. A la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la Cité avec ses meilleures amies pour rejoindre la boîte de nuit L’étoile noire, où elle vend ses créations aux « papichas », jolies jeunes filles algéroises coquettes et modernes.
La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits. Elle aime son pays, y a ses amies et sa famille et ne veut pas le quitter.
Interprété par Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda, réalisé par Mounia Meddour et inspiré de faits réels, Papicha s’ouvre sur une suite de scènes nocturnes : d’abord deux jeunes filles se faufilent, camouflées dans la pénombre des rues alors que l’appel à la prière retentit puis dans une voiture conduite par un homme sexagénaire qui, quand les deux jeunes filles lui demandent de mettre une cassette avec des tubes occisdentaux, leur crie : « Ma voiture est un taxi clandestin, pas un cabaret ! » Soudain, un contrôle de police calme l’euphorie des jeunes filles : arrêt de la musique, prestement, les visages se voilent, les sourires se gomment et la peur s’immisce dans l’habitacle du taxi clandestin. Mitraillette à l’épaule, tapant violemment sur la carrosserie, le policier les adjoint de partir.
Le chauffeur se calme quand elles lui prient une avance pour le trajet retour …Mais il leur fera faux bond.
La caméra de Mounia Meddour nous entraine ensuite en boîte de nuit, sur la piste de danse et sous la boule à facettes et met en valeur l’énergie euphorisante, où les gros plans sur la féminité marquée par des paillettes et le maquillage, alors que Nedjma prend les mesures de ses clientes et leur vend ses créations. On suit le tandem d’amies, ramenées par deux garçons, Karim et Mehdi, qui rentrent au campus après avoir dû grassement rémunérer le gardien, Mokhtar.
Un jour, Nedjma découvre dans leur université réservée aux villes un jeune homme très barbu en train de placarder des affiches en arabe qui montrent une femme en niqab. À mesure que les affiches promouvant le voile et le port du niqab ainsi que la pratique quotidienne des cinq prières, les dessins de mode de Nedjma prônent la liberté vestimentaire féminine. Entourée de ses fidèles amies – Kahina, Samira, Wassiba, et quelques autres, Nedjma prépare le défilé en achettant de chatoyants tissus et des perles dans la boutique de Selim … Mais un jour, elle découvre que la boutique étincelante de tissus polychromes été rachetée par un émir oriental qui veut y vendre des tenues « dignes » des vraies musulmanes.
Ces deux mouvements, menés parallèlementnt par la réalisatrice, suivent la combativité et la fougue de Nedjma et la montée en puissance du FIS et de la terreur, subtilement mis en scène, s’entremêlant et se complétant pour aller jusqu’à se provoquer, se heurter avant que le mouvement libertaire ne soit étouffé.
Nedjma rentre chez sa maman et une voiture la klaxonne, s’arrêtant à sa hauteur : c’est Linda, sa soeur, femme émancipée, au volant, qui la ramène. Dans la maison de la maman, Nedjma est au premier plan avec sa sœur alors que leur mère fait frire des beignets. Linda incite sa soeur à faire ses créations : « Tu dois faire ce que pour quoi tu es douée. » Dans la cour de la maison, la maman improvise un défilé de haiek, la tenue traditionnelle des femmes, en prouvant qu’on peut dévoiler une cheville, une épaule, bref, sa féminité. La caméra de Mounia Meddour happe les spectateurs au coeur de cette complicité félinine transgfénérationnelle.
Il y aura d’autres moments de compliceité qui inviteront le public au sein de l’histoire et non plus face l’écran : au hamac, quand celle qui est voilée avoue être enceinte et accepte de prénommer sa fille Linda, en sauvenir de la soeur de Nedjma et sur la plage quand elles courent sur le sable et se jette à l’eau.
Certains spectateurs reconnaîtront les tubes raï de Cheb Mami ou le groupe de chanteuses kabyles Djurdjura.
Et ce titre ? La cinéaste s’est expliqué sur RFI :
Papicha est le nom donné aux jolies jeunes filles algéroises. Il s’agit d’un mot issu du dialecte “françarabe”, qu’on entend beaucoup dans le film, et qui est une vraie spécificité de la ville d’Alger : on prend un mot français et on “l’algérianise”, puis on mélange sans cesse les idiomes.
La réalisatrice Mounia Meddour, qui voulait que le film ait ce rythme et cette richesse, explique :
Je voulais ancrer le film dans une ville que je connais et que j’aime, avec sa douceur de vivre paradoxale. Papicha est ainsi un mot typiquement algérois, qui qualifie une jeune femme drôle, jolie, libérée.
Il faut voir Papicha, un film fort, puissant, bouleversant qui rend un hommage à cette générations de jeunes femmes combatives. On ne dévoielera pas la fin pour vous laisser découvrir une explosion d’émotions multiples, d’abord joyeuses et insouciantes puis terribles.
Bouleversant et intense, le film de Mounia Meddour est un pur chef-d’œuvre qui mérite grandement de représenter l’Algérie aux Oscars !
Firouz E. Pillet, Namur
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