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Gaspard Ulliel fauché au sommet de sa carrière : sa disparition ébranle ses pairs comme la communauté de cinéphiles

Alors qu’il passait des vacances en famille en Savoie, Gaspard Ulliel nous a quittés ce mercredi 19 janvier 2022 après avoir été admis la veille au service des urgences du CHU de Grenoble. Le comédien français âgé de trente-sept ans avait été grièvement blessé dans un accident de ski sur une piste bleue du domaine de la Rosière où il était entré en collision avec un skieur. Ce drame a provoqué une immense tristesse et de très nombreux hommages affluent tant du milieu culturel que du monde politique.

— Gaspard Ulliel à la cérémonie des César 2015
Image: Georges Biard, (Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license)

Fils de stylistes, en couple avec le mannequin Gaëlle Pietri, père d’un petit garçon périmé Orso né en 2016, le séduisant Gaspard Ulliel était élégant, généreux en interview et surtout très discret, sachant faire avec professionnalisme la promotion des films lors des festivals tout en sachant préserver son jardin secret malgré les questions insistantes des journalistes.

Mystérieux, posé, à l’air sage, charmant et charmeur aux yeux azur, Gaspard Ulliel avait commencé sa vie professionnelle dans le mannequinat avant de songer à la réalisation pour opter finalement pour l’actorat; il avait été révélé par Michel Blanc qui l’engagea en 2002 pour la comédie Embrassez qui vous voudrez. Lors de sa venue cannoise pour La princesse de Montpensier, Gaspard Ulliel avait mentionné son parcours atypique et commenté:

Mon parcours s’est amorcé par hasard et il s’est déroulé de manière un peu sinueuse. Contrairement à certains acteurs qui savent depuis l’enfance qu’ils feront ce métier et qui mettent tout en œuvre pour y parvenir, mon cheminement a été plus hasardeux et je me suis souvent senti illégitime.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas bien sa filmographie, Gaspard Ulliel reste l’acteur qui a incarné avec brio le grand couturier dans Saint Laurent de Bertrand Bonello, indubitablement le rôle de sa vie; il sera nominé au César du meilleur acteur pour sa performance. Il incarne ensuite le garçon sauvage qui parcourt les routes de la France occupée dans Les égarés d’André Téchiné. Ces deux interprétations lui permettent d’obtenir chacune une nomination au César du Meilleur espoir masculin respectivement en 2003 et en 2004. Gaspard Ulliel décrochera la statuette tant convoitée grâce à Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet en 2005. La même année, Gaspard Ulliel tourne en 2005 avec Gus Van Sant pour un des courts-­métrages de Paris, je t’aime.

Bertrand Bonello souligne la discrétion du comédien :

Si Gaspard était souvent en retrait, c’est parce qu’il souhaitait ne pas s’imposer, rester en retrait pas tant pour le réalisateur que pour les autres comédiens.

Une discrétion qui est sa carte de visite mais qui n’altère en rien son ascension. L’incarnation d’YSL est une consécration qui l’assied comme un acteur confirmé, une valeur sûre du cinéma français, et Gaspard Ulliel sera de plus en plus sollicité. Ainsi, on le retrouve dans Jacquou le Croquant en 2005, puis en serial killer Hannibal Lecter dans ses jeunes années et, en 2009, le fils d’Isabelle Huppert dans Un barrage contre le Pacifique, adaptation du roman de Marguerite Duras par Rithy Panh. En 2010, dans La princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier, en compétition au Festival de Cannes, Gaspard Ulliel avait séduit la presse internationale en interprétant le Duc Henri de Guise et nous confiait à propos de son rôle :

Je suis nostalgique d’époques que je n’ai pas connues. C’est ce qui est beau avec mon métier qui me permet de me replonger dans des époques de l’histoire que je n’ai pas connues. Je ne suis pas du tout à l’aise avec l’univers des réseaux sociaux, des smartphones, des émissions racoleuses : j’ai une extrême méfiance de tout cela mais je reconnais que cela peut être un handicap. Tout ce qui est réseaux sociaux, internet, cette société du raccourci, des commentaires, de la consommation à outrance, du fait que tout le monde cherche le buzz, cette société ne me correspond pas du tout. Les années actuelles ne dégagent pas forcément quelque chose de très optimiste dans la façon dont le monde évolue, ni dans le monde des arts. Je suis plus marqué par des années que je n’ai pas connues comme les années soixante-dix pour Yves Saint-Laurent qui amène quelque chose de beaucoup plus intéressant et c’était jouissif de revivre cette époque.

Gaspard Ulliel sera sacré en 2017 pour sa remarquable et sensible interprétation dans Juste la fin du monde, de Xavier Dolan. Au Festival du film d’histoire de Pessac, le réalisateur, Guillaume Nicloux, lui offrait le rôle d’un personnage dur et animé par la vengeance dans Les confins du monde, et disait de l’acteur :

Ce fut une rencontre avec Gaspard. Lorsque je rencontre un acteur ou une actrice, je fantasme toutes les zones d’ombre du personnage afin que le comédien accepte d’endosser ledit personnage. Je ne leur fais jamais passer de casting et que je ne fais pas de lecture car je préfère ressentie au moment où je rencontre la personne, un désir qui s’opère par le biais de toutes ces zones d’ombre.

Cette approche des réalisateurs à son égard semblait coutumière puisque, comme nous le confiait Gaspard Ulliel lors de la Berlinale 2018, Benoît Jacquot lui avait accordé une entière confiance quant à l’approche de son personnage pour Eva :

Notre rencontre remonte à plus de dix ans (…) On s’est croisé plus que rencontré pendant plusieurs années. On a tout de suite manifesté à l’égard l’un de l’autre une envie de faire un projet commun l’envie de faire un film ensemble qui s’est concrétisée quand il m’a parlé de son adaptation du roman de James Hadley Chase. À cette époque, il n’avait pas encore écrit de scénario et il m’a juste donné un synopsis en me disant : « Libre à toi de lire le roman de James Hadley Chase et de revoir le film de Lozet ! » puisque lui-même se basait sur ses simples souvenirs de ces deux éléments pour l’écriture de son scénario.

Lors de notre rencontre avec Gaspard Ulliel au Berliner Palast, il nous avait confié :

Je suis très heureux de rencontrer les journalistes à Berlin et j’aime découvrir les mets d’autres pays car je suis gourmand, passionné par la bonne chair et les vins mais il me tarde de retrouver mon petit garçon (âgé alors de deux ans, N.D.A.). Je tente de lui consacrer du temps et de l’énergie mais quand je suis sur un tournage, je suis loin de lui physiquement. Entre ces périodes, je passe un maximum de temps avec mon fils.

Acteur trouble dans Sybil de Justine Triet en 2019, Gaspard Ulliel sera sur nos écrans comme il se retrouve dans la distribution de la série Marvel Moon Knight deux ans plus tard : aux côtés d’Oscar Isaac et d Ethan Hawke, il campe Ânton Mogart, alias Midnight Man. On aura le bonheur de le voir aussi dans La bête (2021), film de science–fiction de Bertrand Bonello. Gaspard Ulliel avait aussi accepté l’égérie pour certaines marques et on le découdre dans spots publicitaires comme L’homme Bleu de Chanel et fréquentait avec assiduité les défilés parisiens de la Fashion Week.

Écouter l’entretien de 28 minutes accordé à j:mag à la Berlinale 2018

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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