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Jane par Charlotte permet une rencontre entre deux femmes pudiques qui se dévoilent en toute sincérité

Pour son premier film derrière la caméra, Charlotte Gainsbourg choisit de rendre hommage à Jane Birkin – à la femme, à l’artiste, à la Muse de Gainsbourg, à l’icône des années septante mais surtout à sa mère. Charlotte Gainsbourg, équipé de sa caméra et de son appareil photo, a commencé à filmer sa mère pour la regarder comme elle ne l’avait jamais fait et pour nous la dévoiler comme Jane Birkin ne nous est jamais apparue. La pudeur de l’une face à celle de l’autre n’avait jamais permis un tel rapprochement. Mais par l’entremise de la caméra, la glace se brise pour faire émerger un échange inédit, complice, émouvant, échelonné sur plusieurs années, qui efface peu à peu les deux artistes et révèle les femmes, les mères, les filles, les sœurs, les mettant délicatement à nu dans une conversation intime inédite et universelle pour laisser apparaître une mère face à une fille. Jane par Charlotte mais aussi Charlotte face à Jane, renouant la relation mère-fille que les aléas de la vie ont parfois éloignées, sous le regard amusé de Joe, la fille cadette de Charlotte.

— Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin – Jane par Charlotte
Image courtoisie ADOK films

Leur relation avait été mise à mal par la mort en 2013 de Kate Barry, fille aînée de Jane et demi-sœur de Charlotte, et la distance (Charlotte ayant vécu à New York durant six ans après la mort de Kate). Ainsi, au fil des conversations et des échanges, Jane et Charlotte parlent de l’amour, de la vie, de la maternité, de la sororité, de Serge et, de manière réparatrice, de Kate. Charlotte pensait faire un film sur sa mère, sur sa maladie qui est discrètement mentionnée, de l’inéluctable échéance mais la réalisatrice prend conscience de certaines choses par le truchement de ce documentaire:

« J’ai réalisé qu’on s’aimait de manière évidente mais qu’on n’avait jamais su se le dire. Il y avait une pudeur entre nous que je voulais explorer, j’avais besoin d’un prétexte pour me rapprocher d’elle. »

Le film s’ouvre sur un concert de Jane Birkin au Japon où Charlotte a décidé de la suivre, sachant que Kate adorait ce pays, et a pu y filmer des lieux évocateurs grâce à une amie de Kate, Kasumiko Murakami. Mis à part les scènes du concert avec un orchestre philharmonique, Charlotte accorde une place prépondérante à la nature – les arbres, leurs feuillages, le chant des oiseaux, le roulis des vagues, la plage -, ce qu’elle poursuit dans la maison de campagne de Jane, en Bretagne. Une fois revenues du Japon, Jane Birkin ne voulait plus continuer le tournage, à la grande surprise de Charlotte Gainsbourg. Deux ans se sont écoulés sans que les rapports entre la mère et la fille ne soient altérés, puis Jane a rendu visite à Charlotte à New York où elles ont regardé les rushes du Japon. Jane a surmonté ses réticences et le tournage a pu reprendre. Tout au long de leurs échanges, l’entretien que mène Charlotte est très délicat, pudique, respectueux, filmé avec tendresse. Si Ben et Alice, le fils aîné et la première fille de Charlotte, et leur père, Yvan Attal, sont absents devant la caméra, seulement mentionnés, Joe est souvent présente et sert de trait d’union entre les deux, consolidant trois générations de femmes.

Première épouse du séduisant et séducteur John Barry, muse de Serge Gainsbourg qu’elle a aimé en même temps que Jacques Doillon pendant une certaine époque, Jane Birkin se montre devant la caméra de sa fille sans fard, au naturel, assumant son âge. Si les spectateurs ont en mémoire la Jane Birkin pétillante et si délicieusement british des années septante, Charlotte Gainsbourg a délibérément choisi de ne pas montrer d’images d’archives de sa mère pour éviter de la mettre en difficulté par rapport à ces clichés de jeunesse. Filmée sans fard et dans son rôle de grand-mère, qu’elle assume parfaitement, Jane a, comme Serge, selon Charlotte, un désordre ordonné et un côté négligé très étudié. Si l’on peut s’étonner de l’absence de Lou Doillon, c’est que cette dernière n’a pas voulu participer à ce documentaire, elle estimait que ce film appartenait à Charlotte et leur mère.

L’exercice dans lequel s’est lancée Charlotte Gainsbourg était périlleux mais elle s’en sort avec finesse et avec justesse évitant les écueils du genre : nombrilisme, exhibitionnisme. Il y a un réel intérêt et un certain plaisir à découvrir les confidences symbiotiques et complices des deux femmes alors qu’elles visitent ensemble la fameuse maison de la rue de Verneuil, à Paris qui est restée intacte depuis le départ de Serge Gainsbourg. Indubitablement, dans un premier temps, les spectateurs se sentent quelque peu voyeurs devant cette thérapie familiale mais, progressivement, subtilement, tout en délicatesse, par touches impressionnistes, le tandem mère-fille nous met à l’aise et nous invite à entrer dans leur intimité partagée avec authenticité et douceur.

Plus qu’un portrait, Charlotte Gainsbourg plonge les spectateurs dans l’intimité du tête-à-tête intime et réussit un film qui échappe savamment à des défauts liés au style abordé, évite judicieusement de sombrer dans un trop narcissique et de se cantonner de manière trop hermétique sur des questions exclusivement familiales. Le film touche des questions à la portée universelle et chacune se confie à l’autre avec pudeur abordant les thèmes de la maternité, de la mort d’un enfant, de la place au sein de la fratrie – mais ne va pas toujours « dans l’essentiel » : on peut déplorer les très (trop !) longues scènes sur la question de l’achat du chien, du nom à lui donner, de son éducation, de son régime alimentaire, etc.

Le film a été présenté en séance spéciale sous le label Cannes Première au Festival de Cannes 2021. Il sort ce mercredi sur les écrans romands.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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