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La colline où rugissent les lionnes de Luàna Bajrami – La rage d’une jeunesse kosovare assoiffée de liberté

Le cinéma kosovar s’est dévoilé sur les écrans internationaux en 2021-2022 grâce à une « vague » de réalisatrices qui ont couru les festivals et gagné de nombreux prix : Hive (critique) de Blerta Basholli (interview), une coproduction suisse qui a représenté le Kosovo aux Oscars, Looking For Venera de Norika Sefa, Vera Dreams of the Sea de Kaltrina Krasniqi (critique et interview) qui remporteun prix à tous les festivals de printemps où elle se présente ! Au début de cette déferlante, La colline où rugissent les lionnes de l’actrice, scénariste et réalisatrice franco-kosovare Luàna Bajrami, présenté en 2021 à la Quinzaine des Réalisateurs. Alors que Blerta Basholli et Kaltrina Krasniqi offrent un espace public aux femmes d’âge mûr, qui ont vécu le socialisme, la guerre et un moyen de survivre et de s’émanciper dans une République en construction, Norika Sefa et Luàna Bajrami se penchent sur le sort de la jeunesse, hors de la capitale Prishtina où elle peut envisager une vie plus libre que dans les villages. Dans la production cinématographique kosovare, peu ou prou, en arrière-fond, la trace de l’émigration – l’aspiration à partir et/ou les conflits larvés avec celles et ceux qui sont parti.es, un peu de jalousie aussi peut-être. La colline où rugissent les lionnes est à cet égard intéressant puisque sa jeune réalisatrice de 21 ans est issue de la diaspora. Son point de vue est légèrement décalé, mais reflète très honnêtement ce hiatus qui sourd dans pratiquement toutes les familles kosovares.

La colline où rugissent les lionnes de Luàna Bajrami
© Hugo Paturel

Luàna Bajrami met en scène trois jeunes filles, classiquement dans le genre coming-of-age, aux trois caractères différents. Elle-même interprète Lena qui vient au village pour les vacances, chez sa grand-mère ; elle lit du Zola (L’Assommoir), sur un transat, dans le jardin. Qe (Flaka Latifi), la forte tête, Jeta (Uratë Shabani), très acrimonieuse, Li (Era Balaj), la plus calme, ne lisent pas la misère de la condition humaine, elles la vivent. Elles suffoquent dans la chaleur de l’été comme dans leur vie asphyxiée par l’ennui et le manque de perspective : cela fait deux ans qu’elles attendent une place à l’université, leur passeport pour la première émancipation, celle de la famille et du village, dominé.es par une logique patriarcale. En attendant de savoir si elles vont enfin être reçues, elles tuent le temps et les conventions, elles boivent, dansent, rencontrent des garçons, elles défient la société en se lançant dans une activité criminelle, accompagnées en cela par Zem (Andi Bajgora), le petit ami de Li, elles se prennent en photo avec un appareil imaginaire et crient leur rage au sommet d’une colline. Si l’histoire est bien ancrée dans un territoire et ses particularités, elle n’en reste pas moins globale dans sa représentation de jeunes coincé.es entre l’adolescence et la vie d’adulte, mû.es par le rejet de la famille et l’aspiration à l’auto-détermination.

Luàna Bajrami avant 18 ans lorsqu’elle a tourné ce film. On lui pardonnera quelques égarements scénaristiques et quelques faiblesses de réalisation, son propos capturant parfaitement l’air du temps de la jeunesse kosovare que nous avons rencontrée à Prishtina, entre frustration de ne pouvoir raccrocher le train de l’Europe – nombre d’entre elles et eux, faute de visas Schengen, se rendent en Turquie pour leurs études, pays qui use de ce soft power pour remettre dans son giron d’influence un pays dont une très grande partie de la diaspora se trouve en Europe… –, et espoir de construire un pays moderne, désenclavé, partie prenante de la marche du monde.
Lors de la projection au Festival du film de Pristina (PriFest) 2021, où le film a remporté deux prix, la salle était pleine à craquer de jeunes gens qui ont acclamé l’équipe du film, enthousiastes et heureux que l’on parle d’eux, de leur énergie et volonté à défricher leur propre chemin. Une jeune femme nous a dit qu’elle se retrouvait un peu dans tous les personnages féminins, entre démarche raisonnée et pulsion de révolte ; une autre, sous le choc, nous a confié qu’elle était revenue de Turquie au Kosovo pour s’occuper de ses parents et que la phrase de fin du film, « il ne faut jamais revenir  en arrière », l’a transpercée dans la justesse du sentiment qu’elle refoule depuis son retour : « car j’ai fait l’erreur de rentrer ! ».

— Flaka Latifi, Luàna Bajrami, Uratë Shabani et Era Balaj – Prishtina International Film Festival (PriFest) 2021
© Malik Berkati

En revanche, la performance des trois actrices est exceptionnelle – elles ont été récompensées du Prix de meilleures actrices au Sarajevo Film Festival 2021 et au Prishtina International Film Festival 2021.

De Luàna Bajrami ; avec Flaka Latifi, Uratë Shabani, Era Balaj, Andi Bajgora, Luàna Bajrami; Kosovo, France; 2021; 83 minutes.

Écouter l’entretien de Firouz Pillet avec Luàna Bajrami, lors de son passage à Genève pour la sortie du film en Suisse romande le 4 mai 2022.

Malik Berkati

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