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Misbehaviour de Philippa Lowthorpe – Histoire réelle d’une double lutte d’émancipation

On serait tenté de dire que le titre est l’élément le plus réussi de ce film, du moins le plus prometteur. En effet, ce jeu de mots intraduisible, qui veut dire mauvaise conduite, peut être vu à l’aune du sujet en associant les deux termes : miss et behaviour (comportement), est très caustique et engageant. Hélas, le résultat du travail de la cinéaste britannique Philippa Lowthorpe, principalement connue pour ses réalisations de télévision (The Other Boylen Girl, Three Girls, The Crown), est très convenu. Certes, le fait de prendre cette histoire vraie par le biais de la comédie est une bonne idée, mais faire une comédie ne veut pas forcément dire rester à la surface des choses. Et ce sujet aurait mérité un traitement un peu plus profond que la série de stéréotypes qui s’alignent et donnent une matière plus démonstrative que de réflexion, s’apparente au « feel good movie » plutôt qu’au genre comédie dramatique.

— Keira Knightley – Misbehaviour
© eOne Germany

À la fin des années 60, le concours de Miss Monde est regardé par des millions de spectateurs, certainement l’événement le plus regardé au niveau planétaire. L’heureuse élue, qui doit être irréprochable publiquement concernant ses mœurs et son comportement devient, pendant un an, à la fois le modèle féminin idéal qui fait rêver les petites filles et la pin-up immaculée pour les hommes devant lesquelles elle est exhibée, comme par exemple les soldats en manque d’images d’Épinal sexuées. C’est d’ailleurs sur une scène qui reproduit le passage du chanteur, acteur et humoriste Bob Hope – interprété plus vrai que nature par Greg Kinnear –  qui, entre deux animations lucratives comme la cérémonie des Oscars par exemple, distrayait les soldats basés au Vietnam et leur présentait des femmes attrayantes, comme la très blonde Miss Monde 1969. En 1970, la compétition des Miss Monde se déroule à Londres où le Mouvement de Libération des Femmes est en pleine effervescence. Entre autres actions, l’idée d’investir la compétition en pleine retransmission mondiale en direct émerge. Cette intervention réussie aura le mérite de faire scandale, mais comme on peut le constater cinquante après, en aucun cas éliminer les concours de beauté puisqu’au contraire ils se multiplient dans le monde entier et dans tous les genres, le plus inquiétant étant celui des petites filles comme le dénonce plusieurs films documentaire (Casting JonBenet de Kitty Green, 2017 ) ou de fiction (Mignonnes de Maimouna Doucouré, 2020).

« Nous ne sommes pas belles, nous ne sommes pas laides, nous sommes en colère »

scandent les féministes pour protester contre la tenue de la compétition.

L’idée de mettre en parallèle deux combats – celle des féministes et celles des femmes de couleurs pour exister sur la carte de la société et du monde – est très intéressante et amorce la réflexion complexe des émancipations multiples (genre, couleur, ethnie, classe) qui finissent par s’opposer dans un système dominant qui s’ingénie à monter les un.es contre les autres pour se préserver. À cet égard, l’une des scènes les plus réussies car très juste politiquement est celle de la seule rencontre directe entre les deux univers féminins, la féministe Sally Alexander (Keira Knightley) et Jennifer Hosten, Miss Grenade (Gugu Mbatha-Raw) où cette dernière explique à Sally, blanche et universitaire que son émancipation à elle ne peut passer que par ce concours pour sortir de sa condition où le sexisme le dispute au racisme et à la condition de classe. La dialectique de ces luttes émancipatrices incarnées par les féministes britanniques (et les différents courants qu’elles représentent) mais aussi les Miss de type caucasien (avec comme idéal-type Miss Suède) versus les femmes racisées et/ou colonisées (avec comme modèle éloquent Miss Afrique du Sud, blanche, et Miss sud de l’Afrique, noire) n’est pas inintéressante mais malheureusement structurée trop grossièrement avec des ressorts narratifs tellement classiques que chaque mouvement de l’histoire est sans surprise aucune attendu. Sans compter les rôles masculins, tous plus grotesques et irrécupérables les uns que les autres, mis à part le compagnon de Sally, lui aussi d’une certaine manière caricaturé mais dans l’autre sens, celui d’un homme tellement compréhensif que cela confine à la sainteté !

— Keira Knightley et Gugu Mbatha-Raw – Misbehaviour
Zurich Film Festival

Misbehaviour reste tout de même un agréable divertissement, bien joué, qui met en lumière des faits réels méconnus et, à la toute fin du film, dans le générique, les images des vraies protagonistes de cet épisode de l’histoire – rien que pour cela, le déplacement en vaut la peine et on se met à espérer qu’un documentaire sera fait pour donner la parole à ces femmes d’exception.

Petite réflexion helvético-suisse : pendant que des femmes partout se battaient pour une place juste dans la société et dans le monde, les femmes suisses en étaient encore à se battre pour simplement avoir le droit de vote qui n’est entrée en vigueur au niveau fédéral en 1971 et 1972 – au niveau cantonal le droit de vote des femmes a été accordé entre 1959 et 1991 (Appenzell Rhodes-Intérieures).

[Titre francophone: Miss Revolution] De Philippa Lowthorpe; avec Keira Knightley, Gugu Mbatha-Raw, Jessie Buckley, Greg Kinnear, Daniel Tiplady, Kajsa Mohammar, Stephen Boxer, Justin Salinger; Grande-Bretagne; 2020; 106 minutes.

Malik Berkati

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