Pessac 2018 : “Cannes 1939 – le festival n’aura pas lieu” ou quand deux passionnés se rencontrent – entretien avec Olivier Loubes et Julien Ouguergouz
Agrégé d’histoire en1988, Olivier Loubes a soutenu en 1999 sa thèse sous la direction de Pierre Laborie au sujet de « L’école et la patrie en France dans le premier vingtième siècle ». Spécialiste de l’histoire des représentations et de l’imaginaire politique, Olivier Loubes est un habitué du Festival du Film d’Histoire de Pessac où nous l’avions rencontré en 2017. Ses travaux portent sur les liens entre patriotisme, société et enseignement en France, à travers des études sur la république, l’école, l’identité et la nation, le parcours de Jean Zay et, plus récemment, la naissance du Festival de Cannes. Il est correspondant de la revue L’Histoire.
Son livre, intitulé Cannes 1939. Le festival qui n’a pas eu lieu (Paris, Armand Colin, 2016) a inspiré Julien Ouguergouz. Les deux passionnés d’histoire et de septième art se rencontrent et élaborent l’idée de consacrer un documentaire sur la première édition du festival de Cannes, celle de 1939, censée servir de contre-festival à la Mostra, acquise à la cause du fascisme mussolinien.
Cannes 1939 – le festival n’aura pas lieu plonge les spectateurs dans une enquête historique sur un événement ou plutôt un « non-événement » puisqu’il relate les préparatifs d’une manifestation prévue mais qui n’a pas eu lieu : le premier festival du film de Cannes qui devait se dérouler du 1er au 20 septembre 1939 et qui fut reporté d’abord au 10 septembre, à l’annonce du traité de non-agression germano-soviétique du 23 août, avant d’être annulé le 29 en raison de la situation internationale. Le 1er septembre la Wehrmacht envahissait la Pologne et le 3 la France et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre à l’Allemagne.
Historien de formation, Julien Ouguergouz travaille comme cinéaste et explore les rapports entre écriture historique, cinéma et mémoires du XXe siècle. Depuis plusieurs années, il écrit et réalise des créations personnelles ainsi que des films muséographiques. Il réalise en 2012 Mémoires d’octobre sur l’histoire du résistant Vial-Massat, puis le court métrage Europa City (2015), monté uniquement avec des archives de films de famille. Quand on l’interroge sur l’étymologie de son patronyme, Julien Ouguergouz indique qu’il s’agit d’un nom kabyle francisé.
Les deux hommes partagent la même passion et vouent une admiration aux mêmes personnes dont un homme-clef de l’époque :
« sous la présidence effective de Jean Zay, ministre de l’Éducation Nationale du Front Populaire. En 1937, Adolf Hitler a été fortement contrarié par le palmarès de la Mostra de Venise qui n’avait récompensé aucun film allemand et qui avait osé attribuer un des prix du jury au film pacifiste de Jean Renoir La Grande Illusion. Depuis, le dictateur a décidé de s’entendre avec son homologue italien afin de dicter l’attribution des récompenses. C’est dans ce climat d’affrontement entre régimes fascistes et démocraties que l’idée du Festival de Cannes voit le jour.
Au lendemain de la Mostra où Goebbels dicte le palmarès, l’organisation d’un festival des nations libres est envisagée. Ce projet paraît irréalisable et se heurte à la réticence du conseil des ministres. Pourquoi prendre le risque de froisser Hitler et Mussolini et de précipiter l’Europe dans la guerre ? Pour du Cinéma ? Tout cela n’est pas sérieux… Les accords de Munich viennent tout juste d’être signés et le gouvernement français se félicite d’avoir su préserver une paix fragile. La polémique interne enfle. De manière inattendue, une affaire proprement artistique devient un problème international. »
Néanmoins, le festival s’organise et la course à l‘armement culturel peut commencer. Du monde défile sur la Croisette, dont Marlène Dietrich, dans la joie et l’insouciance. Les palaces du bord de mer se remplissent et es premières réceptions sont organisées. Mais au loin, l’orage de la guerre menace de venir gâcher la fête… Alors que l’orage gronde et que les éclairs traversent le ciel, le feu d’artifice jaillit au-dessus de la baie : les festivaliers comme les stars, interloqués, ne savent pas si il faut applaudir ou pas. Cet orage semble un signe prémonitoire du terrible conflit qui va s’abattre sur l’Europe.
Au rythme parfois haletant, à l’instar des préparatifs de la première édition du Festival de Cannes, parfois plus lancinant, pour donner le temps aux spectateurs de ressentir tant l’effervescence que l’angoisse croissante, Cannes 1939 – le festival n’aura pas lieu captive et passionne, révélant moult informations et anecdotes méconnues.
Rencontre avec Olivier Loubes et julien Ouguergouz après la projection de leur film.
Firouz E. Pillet
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