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Rencontre avec Toni Servillo à l’occasion d’une petite rétrospective qui lui est consacrée à Berlin

Entrevue en italien et en intégralité à écouter ici

L’acteur, metteur en scène de théâtre et d’opéra et producteur napolitain est un vrai caméléon capable de se fondre physiquement dans ses personnages sans y laisser son âme. En dehors de l’Italie, quand on cite son nom, la réaction est souvent : « cela me dit quelque chose mais ne me reviens pas là… ». Et pourtant et pour cause !
Et pourtant dès que l’on cite quelques titres de films (au hasard – La grande bellezza, Gomorra,  Il divo, Una vita tranquilla [Une vie tranquille], Le Confessioni), les gens réalisent qu’ils l’ont tous vu ici ou là. Et pour cause, puisque dans la veine de la Commedia dell’arte, il n’hésite jamais à se transformer, parfois à l’extrême comme dans Il divo de Paolo Sorrentino où il interprète Giulio Andreotti, une des figures majeures de paysage politique italien du XXè siècle, avec un maquillage transformant tellement le visage qu’il s’apparente au masque.

— Toni Servillo
(Toni Servillo est en plein tournage du film de Paolo Sorrentino Loro dans lequel il interprète Silvio Berlusconi, c’est pourquoi il a les cheveux teints.)
© Malik Berkati

Cependant, Servillo ne se laisse pas happer par ses personnages, du moins pas au cinéma. « Je peux éprouver de l’affection profonde pour un personnage cinématographique, nous dit-il, surtout quand je les regarde quelques années après. Mais le cinéma actuel, très industriel, qui va très vite et doit produire des résultats va dans le sens contraire d’une relation intime que l’on peut avoir par exemple au théâtre avec un personnage avec lequel on peut vivre 3-4 ans. Au cinéma, on joue le personnage mais au théâtre, il peut se confondre avec ta vie – toutefois pas en termes pathologiques ni romantiques. Je ne crois pas à l’Actors Studio (méthode de jeu organique basée sur l’interaction psychologique entre l’acteur et son personnage, N.D.A.), moi je joue. »
Quand on lui demande s’il se retrouve dans la distinction que faisait Louis Jouvet entre acteur et comédien – qui disait qu’un acteur ne peut jouer que certains rôles, le comédien tous; que l’acteur habite un personnage et le  comédien est habité par lui – , Servillo, content que l’on cite un homme de théâtre qu’il admire, commence par affirmer que la distinction est artificielle avant de tout de même trouver cette définition du comédien belle car « c’est vrai que j’aime me glisser dans un personnage, travailler à l’intérieur du personnage comme quelqu’un qui creuse afin de pouvoir témoigner, offrir ce personnage au public. Et ceci, c’est principalement ce que je fais au théâtre. L’acteur au théâtre c’est celui qui témoigne face au public des valeurs du texte. Au théâtre, le responsable ultime qui peut transmettre directement au cœur du spectateur  la poésie, c’est l’acteur. Au cinéma, l’acteur peut illuminer une partie du film, au même titre que le directeur de la photographie, mais au final, le film est celui du réalisateur et c’est lui qui parle au spectateur. »

— L’affiche de la 4è édition Festival du film italien de Berlin avec l’image de Toni Servillo dans La grande bellezza (2013) de Paolo Sorrentino qui a remporté en 2014 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
© Malik Berkati

Au regard de sa filmographie, ce qui frappe c’est le nombre de rôles dans des films à consonance politique, mais assure-t-il, ceci n’est qu’une coïncidence, « une coïncidence de dates, l’air du temps que les auteurs transposent. » Pour Servillo cela ne participe pas d’un engagement civique délibéré mais il « espère que pour les générations à venir cela pourra aider à comprendre ces années que nous traversons. Par exemple Gomorra n’est pas un film politique au sens strict du terme mais c’est certainement un film profondément politique qui raconte de manière exemplaire les problèmes actuels. Dans ce sens c’est une forme de cinéma civique. »

http://www.dailymotion.com/video/x6cwq8

 

Toni Servillo, surtout connu du grand public pour sa carrière cinématographique, est avant tout un homme de théâtre. Dans chaque réponse donnée s’inscrit en filigrane sa passion pour cet art qu’il a débuté très jeune : « mon père qui n’était pas acteur mais un spectateur extraordinaire, était plutôt taiseux mais avait les yeux qui s’allumaient quand il parlait d’un auteur, d’un acteur, d’une pièce ou un film. Cela me vient probablement de là », termine-t-il dans un petit rire pudique. Après avoir créé sa compagnie en 1977, il va poser les fondements  d’une scène théâtrale napolitaine très active et inventive dix ans plus tard à travers la fusion de sa compagnie avec deux autres de la ville pour créer Teatri Uniti. Cette compagnie va être cependant également à l’origine d’une réussite qui n’a rien de théâtrale puisque c’est elle qui va produire le premier film de Paolo Sorrentino, L’uomo in più (L’homme en plus), dont Servillo va devenir l’acteur fétiche (avec le film sur Silvio Berlusconi qu’ils sont en train de tourner (Loro), ils en sont à six). Mais quel est le lien qui lie ces deux hommes? En rigolant, Toni Servillo explique qu’il aime à penser que « c’est mystérieux car même si on est profondément liés, on se fréquente pas particulièrement. On est certes amis et on se voit aussi en dehors du travail mais pas très souvent. Je dirais que cela a avoir avec nos traits de caractères, notre détermination, le fait d’être de grands bosseurs, et cette façon que nous avons de prendre de la distance grâce à une grande capacité d’ironie. » Cette ironie, nous la retrouvons lorsque l’on demande s’il y a un rôle qu’il rêve de jouer mais que personne ne lui a encore proposé : «  C’est peut-être un peu aride mais je n’ai pas de rêves, je me laisse surprendre par les propositions des réalisateurs. Au théâtre par contre, je choisis mon répertoire. Toutefois, ajoute-t-il après réflexion, j’aimerais bien faire un film en costume, par exemple une transposition cinématographique des Liaisons dangereuses de Laclos. On ne fait plus que très rarement des films en costumes, du moins en Italie. Oui, j’aimerais bien faire un film qui se passe au 17è siècle, c’est une époque qui me plaît énormément. »

En attendant, pour ceux qui se trouvent à Berlin, l’Italian Film Festival Berlin qui a eu lieu cette année du 9 au 12 novembre, permet de voir une sélection très représentative de la filmographie de Toni Servillo jusqu’au 17 décembre dans différentes salles de la ville.

Malik Berkati

Le programme de l’hommage à Toni Servillo jusqu’au 17 décembre

PDF en italien et allemand de présentation des films: IFFB_CARD_SERVILLO

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Malik Berkati

Journaliste / Journalist - Rédacteur en chef j:mag / Editor-in-Chief j:mag

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