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We Have Boots d’Evans Chan – L’actantiel du mouvement de protestation hongkongais de 2014 à aujourd’hui

Le dernier film d’Evans Chan a fait sa première au festival de Rotterdam en janvier dernier et depuis, fait son chemin dans les festivals qui vaillamment se maintiennent physiquement ou en ligne malgré la crise sanitaire Covid-19.

We Have Boots ( 我們有雨靴 ) d’Evans Chan
Image courtoisie Evans Chan

We Have Boots reprend la structure narrative et le parti pris cinématographique de Raise the Umbrellas (2016) qui documente avec précision le mouvement de 79 jours qui avait fait trembler le gouvernorat d’Hong Kong en 2014 tout en contextualisant  le soulèvement. Nous avions rencontré le cinéaste Hongkongais en 2018 pour ce film.

Tout en revenant sur le mouvement des  parapluies de 2014 pour le suffrage universel, We Have Boots se concentre sur l’ère post-parapluie et des conséquences que ce mouvement ont eues sur la population, sur les manifestants et sur leurs chefs de file qui ont subi des poursuites judiciaires en emprisonnement, des disqualifications politiques, ainsi que  sur la résurgence des protestations massives de 2019. Avec les leaders d’Occupy – Benny Tai et Chan Kin-man ; le législateur Shiu Ka-chun ; l’artiste Kacey Wong ; et de jeunes militants, tels qu’Agnes Chow, Tommy Cheung, Alex Chow, nommé pour le prix Nobel de la paix, Ray Wong, premier réfugié politique de Hong Kong résidant actuellement en Allemagne, ainsi que des manifestants militants masqués, le film dépeint leurs réflexions personnelles sur la voie empruntée : fuir Hong Kong, poursuivre des études à l’étranger, accepter le coût politique de la dissidence en affrontant la perspective de l’emprisonnement ou embrasser à nouveau les combats militants dans la rue. L’espace de réflexion ne fait pas l’économie de l’autocritique et d’une vision plus large et distanciée des événements vécus de l’intérieur dans la frénésie de l’instant de l’action. Benny Tai et Shiu Kar-chun – qui dit qu’ »aller en prison peut devenir un devoir » – ont perdu leurs postes à l’université, Agnes Chow a été arrêtée pour « incitation à la sécession » , Ray Wong, qui était déjà un réfugié politique en Allemagne est devenu un criminel fugitif recherché par la police hongkongaise.

Ce qui est remarquable dans le travail d’Evans Chan est qu’il nous donne des visages à voir, des voix à entendre  derrière tous ces parapluies qui ont inondé nos écrans de journaux télévisés en une masse indifférenciée. Certes ses protagonistes sont les têtes de proue du mouvement, mais leurs états d’esprit et d’âme nous permettent d’entrer dans l’intimité de l’humain universel qui se bat pour la liberté, avec ses doutes, ses évolutions mais aussi les peurs qui étreignent ces personnes, surtout les jeunes, marqués par les événements et leurs conséquence, pour certains leurs phases de dépression, de découragement, mais aussi aux regains d’énergie et de courage infini à consentir consciemment à un certains nombre de sacrifices qui peuvent mener à la prison, à la disparition et à la mort. Cette universalité est illustrée par le spiritual Let My People Go (Go Down Moses) et la référence par Benny Tai fait à Martin Luther King et son texte Letter from a Birmingham Jail.

We Have Boots fait la généalogie de cette ville qui se bat de toutes ses forces vives pour la démocratie et la liberté. Le titre du film est inspiré de la dernière partie du poème du poète afro-américain Nikki Giovanni Where Do You Enter lue par Shiu Kan-chun dans le film:

We begin a poem
with longing
and end with
responsibility

And laugh
all through the storms
that are bound
to come

We have umbrellas
We have boots
We have each
other

(« Nous commençons un poème / avec désir / et le terminons / avec responsabilité / Et nous rions / tout au long des tempêtes / qui ne manqueront pas / de venir / Nous avons des parapluies / Nous avons des bottes / Nous nous avons les uns/ les autres »).

Le cinéaste basé à New York explique :

Les récentes manifestations après la mort de George Floyd aux États-Unis ont malheureusement donné lieu à des brutalités policières inhabituelles à l’encontre non seulement de manifestants pacifiques, mais aussi de médecins et de la presse. Si de telles actions sont apparues aux Américains comme quelque chose de nouveau, ce sont les mêmes tactiques que la police a déployées à Hong Kong seulement six mois plus tôt. Je me demande s’il s’agit d’une simple coïncidence ou d’une tactique inspirée, car les appareils d’État sont constamment à la recherche de nouveaux moyens de contrôle social. Un exemple notoire est la projection par le Pentagone du film La Bataille d’Alger (La battaglia di Algeri de Gillo Pontecorvo, 1966 ; N.D.A.) aux militaires après le 11 septembre afin de les informer sur les tactiques françaises de répression, y compris la torture. Serait-il surprenant que la police américaine ait pris quelques pages du manuel de la police de Hong Kong ? Il est également intéressant de noter que certains manifestants ont utilisé des parapluies, comme les manifestants de Hong Kong, pour se protéger des gaz poivre, des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes tirés par la police. Alors que l’issue des protestations américaines restera incertaine jusqu’au moins après les élections de novembre, la Chine, elle, a mis un couvercle sur les protestations intenses et combatives de Hong Kong pour faire progresser la démocratie et préserver son haut degré d’autonomie promis par la Chine elle-même lorsqu’elle a repris la ville à la Grande-Bretagne en 1997. Aujourd’hui, la nouvelle situation à Hong Kong et la réaction américaine ont accru les inquiétudes quant à la possibilité d’une nouvelle guerre froide. À travers les visages humains de certains participants clés, j’ai essayé de montrer le voyage traumatisant de Hong Kong au cours des dernières années qui ont abouti à ce moment. Et j’espère que le film incitera le public à réfléchir à l’universalité des valeurs occidentales, à la solidarité mondiale, à la post-colonialisme et à la signification de l’essor de la Chine en cette ère de polarisation du capitalisme mondial.

– Evans Chan au Festival international du film de Rotterdam 2020
Image courtoisie Evans Chan

La tragédie que porte ce film est qu’il augure de ce qu’il allait se passer en juin 2020 : l’adoption par le parlement chinois le 30 juin 2020 d’une loi « sur la sécurité nationale » concernant Hong Kong un an après les manifestations contre la prise d’influence grandissante des autorités centrales chinoises sur le territoire. Cette loi s’affranchit des autorités et du conseil législatif local ce qui va à l’encontre des accords de rétrocession de 1997. Le film démontre à cet égard à la perfection  la perversité d’une efficacité redoutable de la tactique chinoise face aux velléités de maintien d’autonomie et de libertés politiques et individuelles : provoquer de la violence physique et surtout judiciaire pour fissurer le mouvement pacifiste et ouvrir un front violent qui délégitime les opposants. Le rejet total de la Chine à travers leurs représentants locaux face aux manifestations pacifiques a entraîné un rejet violent de nombre de Hongkongais.es. envers tout ce qui provient du continent et les a renforcé dans une posture nationalistes et une totale séparation avec le continent – ceux que l’on appelle les localistes: défendre la culture et les valeurs hongkongaises contre celles de la Chine continentale.

We Have Boots ( 我們有雨靴 ) d’Evans Chan
Image courtoisie Evans Chan

Bien sûr que la rage de voir le mouvement balayer par chaque nouveau décret et loi promulgués expressément contre les tentatives d’asseoir le mouvement non seulement dans les rues mais également dans les instances représentatives finit par s’exprimer dans des actions violentes et/ou radicales puisque la protestation pacifique ne mène à rien. Une frange du mouvement, qui était en 2014 marginale comme nous l’expliquait Evans Chan en 2018, de plus en plus organisée exige l’indépendance. Ces opposants radicaux à la Chine s’insurgent contre une sorte de colonisation rampante par le continent de la région autonome, que ce soit économiquement ou culturellement. À mesure que le film avance, les manifestations se font plus petites mais plus virulentes et se transforment de plus en plus en actions coup de poing devant des magasins pour Chinois, des portes d’arrivées du continent et des contre-manifestations entre ceux qui se disent pro-chinois et les localistes qui crient: deux systèmes, deux pays en écho au mirage originel du slogan de rétrocession – un pays, deux systèmes.

Quelle infinie tristesse de voir ces gens – qu’ils soient pacifistes ou radicaux, localistes ou simplement tenants de l’autonomie de contrat de rétrocession – se battre contre Goliath et se dire qu’à la fin c’est bien Goliath qui va gagner. Ce à quoi nous encourage Evans Chan et ses films sur la situation à Hong Kong est de ne pas laisser tomber ces combattants de la liberté, de ne pas regarder ailleurs et d’élever notre voix avec la leur.

We Have Boots est lauréat de la mention spéciale Night Award du International Festival Sign of the Night – Bangkok 2020. Il a également été nommé pour le meilleur film dans la section compétitive Justice Matters du DC International Film Festival 2020 de Washington et par la Documentary Weekly comme l’un des dix meilleurs documentaires présentés par le Sheffield Doc/Fest au Royaume-Uni.

Le film sera, entre autres, projeté à Berlin au Festival Signs of the Night le 20 septembre 2020 et au Film Festival Diritti Umani de Lugano à la mi-octobre.

We Have Boots ( 我們有雨靴 ) d’Evans Chan; USA; 2020; 129 min.

Malik Berkati

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