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Yalda, la nuit du pardon, de Massoud Bakhshi : un cinéma-vérité qui dénonce le poids de la loi religieuse et du carcan patriarcal à travers une émission de téléréalité

Iran, de nos jours. Maryam Kamijani, vingt-six ans, tue accidentellement son mari Nasser, soixante-cinq ans. Elle est condamnée à mort. La seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Il suffirait que Mona accepte de pardonner Maryam en direct devant des millions de spectateurs, lors d’une émission de téléréalité. En Iran cette émission existe, elle a inspiré cette fiction.

Oui, vous avez bien lu !

Le dernier film de Massoud Bakhshi est bel et bien inspiré de faits réels et reprend le principe d’une émission iranienne de télé-réalité à succès – Le plaisir du pardon – diffusée depuis treize ans. Avec un tel sujet, on pourrait supposer que le scénario dépasse la réalité mais ce n’est, malheureusement, pas le cas.

— Sadaf Asgari – Yalda, la nuit du pardon
© Pyramide Films

Le film s’ouvre sur une vue aérienne et nocturne des artères de Téhéran, avec un premier plan sur la tour de la télévision et la chère qui la surplombe, puis la caméra qui dévoile progressivement à mesure que le plan s’élargit les lumières de la ville et les phares des voitures (des images splendides, signées Julian Stanassov) tel un feu d’artifice pour un célébrer un jour de fête. C’est bien d’une fête qu’il s’agit, en plein mois de Ramadan.

A mesure que la caméra ressert le plan sur une file de voitures, puis sur une voiture de police tous gyrophares allumés, on comprend que l’on suit le transport d’une personne coupable. Arrivée devant un bâtiment, la voiture de police se gare et les policiers font sortir une jeune femme menottée, à la tour Milad de Téhéran, où se trouve la télévision iranienne. Dès l’arrivée de cette jeune femme, l’agitation se fait autour d’elle et de nombreux assistants de la télévision s’agitant telles des abeilles autour de la reine de la ruche. Sauf que dans le film de Massoud Bakhshim, la « reine » de la soirée est une frêle et timide jeune femme, au regard profondément triste, est rapidement ballotée d’une personne à une autre. Devant les caméras, Maryam (Sadaf Asgari) va devoir plaider sa cause et jouer sa vie, au cours d’une émission de télé-réalité durant laquelle le public et les spectateurs sont appelés à voter pour ou contre la condamnation – la peine de mort – de cette candidate d’infortune.

Maryam a tué accidentellement son vieux mari et, depuis quinze mois, est détenue. Au cours du débat public, elle doit implorer et obtenir le pardon de Mona (Behnaz Jafari), la fille du disparu. Sans la clémence et le pardon de Mona Zia, Maryam sera exécutée. Autour d’elle, de manière incessante voire oppressante, papillonne sa mère (Fereshteh Sadre Orafaiy) qui n’a de cesse de donner des recommandations aux journalistes et aux assistants de l’émission et qui répète inlassablement : « Maryam sera grâciée, Inch’Allah ! »

On ne perçoit pas immédiatement le rôle qu’a joué cette mère, a priori bienveillante, dans la destinée de sa fille mais Massoud Bakhshi réserve une surprise à ses spectateurs avec un rebondissement narratif de taille.

Dès les premières séquencees, on cerne l’inquiétude et le malaise de Maryam qui demande de connaître les questions avant le début de l’émission et exprime à plusieurs reprises son souhait de pouvoir parler à Mona en privé mais ses diverses requêtes sont évincées. La jeune femme refuse d’attendre sur le plateau et, au fil de l’attente qui semble interminable tant Mona tarde à arriver, on perçoit l’angoisse de Maryam croître.

La nuit de Yalda, célébrée depuis des milliers d’années en Perse, est l’occasion de pardonner à ceux qui nous ont offensés. Durant le génerique de l’émission qui scande : »Le pardon conduit nos pas de la mort à la vie. Dans plusieurs cas, le pardon a été obtenu juste avant l’exécution par respect pour le Prophète. « Pour éviter l’exécution, j’ai décidé de pardonner pour que Dieu soit satisfait. » C’est dur de pardonner à celui qui a tué votre parent. C’est une décision terrible ! »

Maryam, assise en régie, attend toujours l’arrivée de Mona qui se fait désirer. Viendra-t-elle ? Le producteur a reçu les autorisations officielles mais l’émission a-t-elle un sens sans l’invitée principale ? Malgré son absence, on lance l’émission. On est à l’antenne : les caméras dévoilent un plateau aux couleurs kitsch et aux spots de néons roses. Au milieu du plateau trônent des chaises au velours rouge carmin et parme; des grenades, coupées en deux, laissant apparaître le coeur rouge, ornent les tables et appellent que l’on celébre la fête iranienne de Yalda, qui marque le début de l’hiver.

Ce jour de fête doit être divertissant mais surtout faire de l’audience. D’ailleurs, Omid (Arman Darvish,), le fringant et sémillant présentateur, remplit à la perfection son office, rebondissant à chaque intervention du producteur, Monsieur Ayyat (Babak Karimi), dans son oreillette. Qui de plus efficace que de faire venir une condamnée à mort afin qu’elle obtienne grâce en direct devant des millions de téléspectateurs pour faire monter l’audimat ?

Les spectateurs sont invités à voter pour décider si la jeune femme aura la vie sauve de telle sorte que les sponsors paient « le prix du sang » à Mona, la fille du défunt.

Quel étrange arrangement entre les croyances religieuses, piliers de la société régie par les mollahs, et la société de consommation : le pardon et l’amende qui en résulte – le fameux « prix du sang » – sera payée par les sponsors de l’émission !

Mona Zia arrive enfin mais Maryam ne pourra plus lui parler en privé. Les deux femmes sont installées de part et d’autre du présentateur, dans un face à face tendu où Mona Zia, que l’on accueille en victime et femme lésée, arrive en terrain conquis. Dans ces fauteuils majestueux, les deux femmes en tchador noir s’affrontent, dans un terrible combat qui joue la vie de l’une et assure pactole à l’autre en faisant de l’audience.

Dans cette télévision-tribunal se bousculent les croyances religieuses face à la modernité, le tout enrobé d’intérêts bassement mercantiles. A mesure que l’émission se déroule et révèle progressivement l’histoire de Maryam qui ose enfin réagir et faire éclater la vérité sur ce qu’elle a vécu, le producteur per la maîtrise des rouages bien huilés de son émission. Yalda, la nuit du pardon rappelle quelque peu Slumdog millionnaire qui plongeait les spectateurs du film dans une mise en abîme aux côtés des spectateurs dans l’Inde populaire par le truchement d’un « Qui veut gagner des millions » indien. Ici, l’enjeu est existentiel et la peine peut tomber comme un couperet.

Mais face aux imprévus, le producteur fait intervenir des pauses de divertissement avec Salman Djalili (Bahram Afshari) puis Firouz (Faghiheh Soltani). Omid, le présentateur, poursuit : « « Je me dis que nous devrions faire à chaque saison la même chose que pour Norouz pour célébrer le printemps : nettoyer nos maisons, nos rues, nos quartiers. Oublier nos haines et purifier nos coeurs. Nous devrions le faire à chaque fin de saison. Cela suppose grandeur et clémence, le propos de notre émission » Puis, le présentateur lance un reportage, intitulée «L’origine du désastre », sur la vie de Maryam avec des images prises à son insu. On découvre que Maryam a accepté un mariage temporaire et non permanent (encore un arrangement complaisant de la société iranienne contemporaine qui permet d’avoir des relations sexuelles en toute égalité pour une très courte durée, même pour une nuit, afin que la morale soit sauve !) comme son mari était toujours marié à sa première femme, la mère de Mona, et que Maryam avait accepté de signer une clause qui indiquait qu’elle ne devait pas tomber enceinte.

Une vingtaine d’étudiants de l’Université d’Amélioration de la Pratique de la Morale ont préparé un texte à l’attention de madame Zia et le lisent en direct alors que Maryam a fait repentance en implorant le pardon de Mona. Rappelons que ce que l’on voit dans ce film est directement inspiré d’une émission bien réelle et ce spectacle glace le sang : les spectateurs votent en direct pour la mort d’une personne encore en vie qu’ils voient à l’écran et qui affronte la personne lésée; les prestations sont savamment orchestrées par les producteurs de l’émission et ne doivent surtout pas sortir des sentiers battus vu que l’émission est suivie non seulement par tout le pays mais surtout par les autorités religieuses.

— Babak Karimi – Yalda, la nuit du pardon
© Pyramide Films

Le spectateur au cinéma se retrouve dans la même position que celui de l’émission de télévision, jaugeant la peine et la sincérité d’une condamnée à mort.

Massoud Bakhshi compte déjà une dizaine de documentaires à son actif et un court métrage consacré par de nombreux prix internationaux. Son long métrage, Une famille respectable (2012) sélectionné à Cannes, n’a pas pu sortir en Iran et lui a valu une condamnation pour son regard critique sur son pays lors de la guerre Iran/Irak.

Avec Yalda, la nuit du pardon, son savoir-faire de documentariste permet une réalisation prenante et poignante, axée sur les personnes et en particulier leurs visages, mettant en relief l’expression de leurs regards, les plissements des lèvres, les traits qui se tirent en fonction des questions posées par l’animateur. Si Massoud Bakhshi parvient magnifiequement bien à souligner les émotions et les contradictions de ces personnages face caméra, il soigne tout autant la trame qui se déroule dans les coulisses, réservant de multiples rebondissements narratifs aux spectateurs qui sont tenus en haleine du début à la fin du film.

Un film qui amène moult réflexions et questionne bien au-delà du générique sur la condition des personnes condamnées à tort, des femmes et de leurs enfants.

A voir et et à revoir sans modération !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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