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ZFF2020 – Nowhere Special d’Uberto Pasolini, un drame bouleversant sur une relation père-fils de toute beauté

Chaque jour, John (James Norton), 35 ans, emmène Michael, son fils de quatre ans, au jardin d’enfants, part laver des vitres, avant de se rendre au parc avec lui. John élève seul Michael (Daniel Lamont) depuis qu’il a deux mois et que la mère du petit les a quittés pour rentrer dans son pays en Russie et tente de préserver aussi longtemps qu’il le peut son fils d’un coup tragique du sort: il n’a plus que quelques mois à vivre. Il tente aussi de préparer l’avenir de son fils au mieux en lui cherchant et choisissant lui-même la famille qui l’adoptera. Cette mission impossible le plonge dans un cercle de doutes, de questionnements et de frustrations : comment savoir ce qui est bon pour son fils? John a une peur panique de ne pas savoir faire le bon choix :

« C’est la décision le plus importante de ma vie. »

Ce drame, qui a fait sa Première à la Mostra de Venise 2020 dans la section Orizzonti avant de faire couler quelques larmes au Festival du film de Zurich, est porté par ses deux acteurs principaux, tous les deux d’un charisme transcendant et au jeu minimaliste qui fait valoir la profondeur de la réflexion existentielle, mais aussi sociale avec ce rapport des deux protagonistes avec les voisins et la communauté au sein de laquelle ils évoluent, dans une solidarité pudique qui ne tombe jamais dans l’ostentation ; ou cette sorte de bréviaire des différentes motivations que peuvent avoir des familles ou des personnes seules pour adopter.

— Daniel Lamont et James Norton – Nowhere Special
Image courtoisie Zurich Film Festival

Film très fin, très sensible, grave mais sans mélo, avec même des brins d’humour qui affleurent ici et là – jamais cynique mais parfois aigre-doux, magnifie une relation père-fils avec une complicité qui atteint des sommets de tendresse quand ils lisent au lit, quand ils marchent selon un rituel vers le jardin d’enfant, quand Michael dessine avec un feutre sur son bras des tatouages comme ceux de son père ou quand le petit met délicatement une couverture sur John endormi dans le canapé. Ils se parlent, mais très peu de mots sont échangés dans ces moments privilégiés, le regard leur suffit.  John va donc profiter du peu de temps qu’il lui reste pour faire ses adieux à son fils de manière implicite.

À traves les vitres qu’il nettoie, John voit les choses de la vie, la vie des gens, les choses qu’on voudrait acheter pour son enfant si on avait les moyens, la vie « gâtée » dans le sens d’un enfant qui joue dans une chambre entière de jouets ou celle d’un bébé gardé avec amour par ses deux parents. On y voit aussi des pierres tombales.

Comment expliquer la mort à un enfant de quatre ans ?

Les collaboratrices du service d’adoption, extrêmement bienveillantes, le guide un peu, mais c’est une amie de John qui lui donne quelques clés en citant sa mère qui disait qu’une fois mort, on flottait pour l’éternité dans les airs, dans les saveurs, dans les sons de la vie. Lui qui était au début réticent, voire résistant, à remplir sa « boîte de mémoire », pensant que son fils avancerait mieux dans la vie en n’ayant plus aucun souvenirs et liens avec ses parents, finira par le faire avec minutie. Pasolini raconte très finement cette histoire en instaurant par petites touches un développement dans la réflexion du père et du fils sur la situation qui se fait en rythme, avec à la fin une sorte d’inversion des rôles. Pour le fils le chemin est de comprendre que son père s’affaiblit et va mourir, pour le père – qui depuis le début du film est dans l’acceptation de son sort – c’est d’évoluer dans la conception de la famille idéale qu’il avait au début.

Rencontre avec Umberto Pasolini

Quel a été le point de départ de cette histoire ?

L’idée de cette histoire m’est venue, comme la majorité des mes histoires car j’ai peu d’imagination, en lisant un article de journal. La base était celle-là : un homme de 35 ans avec un enfant de 4 ans dont la mère était partie quand il avait 2 mois avait collaboré avec les services sociaux pour trouver une famille à son fils avant de mourir. J’ai contacté les services sociaux mais il ne pouvait pas m’en dire plus pour cause de confidentialité. Alors j’ai décidé d’en faire une histoire universelle en procédant à de nombreuses interviews avec des familles qui voulaient adopter, mais aussi avec d’autres groupes qui entrent dans le processus de cette histoire, dont des laveurs de vitres.

John est désemparé devant le choix à faire pour son fils ; vous, vous avez choisi pour Michael, est-ce le bon choix ?

Ce n’est pas forcément le seul choix possible, en fait, je pense que tous ceux que l’on voit en interview dans le film peuvent être le bon choix. Je les aime tous, même le dernier couple qui semble psychorigide et le moins équilibré, mais qui est dans un sens le plus fragile – qui sait, ils pourraient quand même faire de bons parents. Mais j’ai choisi [divulgâchage, donc on dira X ; N.D.A.] car a priori personne dans le public ne va se lever en criant que c’est un scandale ! (rires)… enfin on ne sait jamais, peut-être que cela ne plaît pas à certain.e.s. Mais c’est un choix de toute façon impossible, on ne peut pas savoir si c’est le bon choix : peut-être que c’est parfait pour les trois premières années et peut-être pas quand Michael aura quinze ans. Je suis moi-même père de trois filles et je peux vous dire que c’est le boulot le plus difficile du monde ; on ne sait jamais si on fait juste, trop, pas assez… Personne n’a les outils pour faire ce choix, l’idée est donc que le père accepte qu’il n’y ait pas de bon choix.

Pourquoi ce titre ?

Je voulais faire un film avec ce titre depuis longtemps. Cela part d’un dialogue à la fin du film de Mel Brooks Blazing Saddles : un personnage demande à l’autre, « où vas-tu aller ? », il lui répond, « nowhere special », et l’autre lui dit, « j’ai toujours voulu aller là ». L’idée là-derrière est qu’il n’y a pas de perfection, qu’il faut juste vivre, trouver une place où il fait bon vivre, simplement.

— Uberto Pasolini – ZFF 2020 pour Nowhere Special
© Malik Berkati

Comment avez-vous trouvé Daniel Lamont qui joue Michael ?

Pour le casting de Michael, nous avons vu 100 enfants en Irlande du Nord. Daniel était le 6e ce qui mettait la barre très haut pour les suivants. Ce qui est incroyable avec Daniel, c’est que c’est le gamin le plus vivant du monde mais dès que l’on dit  « action! », il devenait ce petit garçon calme et introverti, et dès que l’on dit « coupez ! », il se remet à courir partout. Daniel est un vrai acteur ; j’avais peur qu’au bout de quelques jours il en ait assez – c’est très dur de tourner sur plusieurs jours avec des enfants si jeunes – mais il est resté pour 31 jours de tournage ! Il connaissait parfaitement son texte, nous n’avons jamais dû recourir aux techniques habituelles quand les jeunes acteurs ont des difficultés à apprendre leur texte, à savoir travailler en post-production les scènes où quelqu’un crie à l’enfant ce qu’il a dire, ou en morcelant les scènes avec une prise sur l’enfant, une autre sur la personne qui est avec lui. On n’a pas eu besoin de créer une relation entre les deux dans la salle de montage, toutes les scènes ont été tournées en continuité sans construction artificielle.
Ce qui a également beaucoup aidé c’est l’attitude de James avec lui, cette relation d’amitié qu’il a construit avec Daniel. Pour finir, Daniel venait chaque jour pour voir son ami et jouer avec lui.

Avez-vous fait un travail particulier avec Daniel ?

On lui a bien expliqué la différence entre lui Daniel et le personnage Michael, mais on n’a pas fait de travail particulier ou psychologique lui expliquant son personnage. Ses parents lui ont lu le scénario mais on ne lui a pas expliqué les scènes, on a travaillé de manière fluide, sans répétitions de sorte que le petit Daniel comprenait les choses au même rythme que le petit Michael.

D’Uberto Pasolini; avec James Norton, Daniel Lamont, Eileen O’Higgins, Valerie O’Connor, Stella McCuske; Italie, Roumanie, Royaume-Uni; 2020; 96 minutes.

Malik Berkati, Zurich

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Malik Berkati

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