ADN, le dernier film de Maïwenn, interroge notre rapport à la continuité identitaire
ADN a été présenté en Première suisse au Zurich Film Festival 2020, où sa réalisatrice Maïwenn a reçu un Œil d’or d’honneur et a eu droit à une rétrospective. Le film fait partie du Label Sélection Officielle Cannes 2020.
Mère seule de trois enfants, Neige (Maïwenn) rend régulièrement visite à Émir, son grand-père algérien (Omar Marwan) qui vit en maison de retraite et a élevé son cousin Kevin (Dylan Robert, découvert en 2018 pour son rôle de Zach dans le film Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin pour lequel il a reçu le César du meilleur espoir masculin). Comme Kevin, elle adore et admire ce pilier de la famille. Un jour, subitement, il meurt avec Kevin à ses côtés. Quand sa famille nombreuse s’apprête organiser les funérailles, des fissures et de nombreuses anciennes rancœurs surgissent. Neige décide alors de partir à la cherche de ses racines et de son pays d’’origine : l’Algérie.
Le problème de la critique vis-à-vis de l’autofiction est de pouvoir se détacher de ce qui est présenté comme réel et de jauger l’œuvre comme tout autre projet artistique. Le scénario d’ADN, écrit par la réalisatrice et Mathieu Demy, pèche par ses excès dans la stéréotypisation des personnages, la palme allant ex-æquo à la mère de Neige, Caroline (Fanny Ardant poussée au bord du ridicule) totalement barrée, hystérique, vindicative, et François (Louis Garrel) l’ami refuge de Neige, qui enchaîne de manière industrielle les blagues et remarques ironiques censées détendre l’atmosphère. Cette impression de jeu en roue libre des actrices et acteurs n’en est pas qu’une, Maïwenn, comme elle l’explique dans les notes d’intention, ayant voulu « retrouver la liberté que j’avais à mon premier film. Je ne voulais pas qu’il y ait un scénario classique. Le texte que nous avions écrit, Mathieu et moi, faisait une quarantaine de pages. Les scènes étaient résumées avec des fragments de dialogues. Je voulais que les comédiens se les approprient, que chaque prise soit une improvisation très libre, aussi bien pour eux que pour l’équipe technique. »
Des incongruités émaillent aussi cette histoire, comme, entre autres, cette visite de Neige au consulat d’Algérie pour demander à avoir la nationalité algérienne : pour qui a déjà mis un orteil dans une ambassade et/ou consulat algérien, il est peu probable qu’une personne – n’ayant aucun passe-droit – puisse être reçue sans faire une file interminable et recevoir des papiers nationaux, qui plus est pour la première fois, dans un délai tolérable. Toutefois, à côté des ces scènes d’une exubérance et lourdeur pénibles à voir, il y a des moments de grâce, de réalités universelles – les visites aux pompes funèbres pour le choix d’un cercueil et d’une cérémonie sont une valeur sûre pour le comique de situation et l’effet miroir de situations vécues est garanti; Maïwenn a très bien rendu ces scènes – et de légèreté cinématographique qui rend le spectateur bien perplexe quant au ressenti général à la fin de la projection.
Peut-être alors convient-il de séparer les deux piliers de l’histoire, regarder celui de la famille dysfonctionnelle et son travail de deuil comme on regarderait une comédie éculée de série B et s’attarder sur cette quête des origines, ce désir de savoir d’où on vient pour décider qui on est. Un des aspects les plus intéressants d’ADN est que cette famille très hétéroclite est tenue par des liens toxiques qui font obstacle aux épanouissements individuels mais auxquels chacun.e s’accroche. Neige, dans le désir de s’en émanciper, va justement rechercher à renouer ses propres liens à sa vie en dehors du fait émotionnel et subjectif ; elle a recours à cet effet à un test génétique proposé en ligne. Le film prend ici une autre dimension, se recentre sur Neige et évacue le reste de la meute qui le cannibalisait. La surprise du résultat permet de s’extirper également du fait objectif, de ce que l’on appelle « patrimoine génétique », de respirer un bon coup en se découvrant ponctuation sur la frise chronologique des circulations du monde et d’avancer sur sa propre ligne de vie, délestée des oripeaux tribaux mais réconciliée avec la chaîne de transmission, bercée par La Lettre à ma fille d’Idir.
Sentiment collatéral, et pas des moindres par les temps funestes de replis identitaires qui courent, qui ressort de ce travail est celui de l’universalité de l’être humain : que l’on soit d’ici ou d’ailleurs, on est le fruit d’un mélange d’histoires, de rencontres, de métissages. On fait simplement humanité.
De Maïwenn; avec Maïwenn, Fanny Ardant, Omar Marwan, Dylan Robert, Louis Garrel, Marine Vacth, Caroline Chaniolleau, Alain Françon, Florent Lacger, Henri-Noël Tabary; France; 2020; 90 minutes.
Malik Berkati
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