Berlinale 2017 – compétition jour #7: Colo / Retour à Montauk (Return to Montauk) / El Bar
En cette 7è journée, tout le monde commence à être fatigué, les traits se creusent, les yeux s’enfoncent, les nerfs affleurent. Alors commencer la journée compétition avec un film de plus de deux heures, lent qui plus est, ce n’était pas la meilleure idée qu’ont eu les programmateurs du festival. Le film de midi a été une vraie déception – mine de rien, Schlöndorff était un peu attendu – et celui de l’après-midi, un film réussi dans son genre (la comédie d’horreur) mais à la présence un peu surprenante dans la sélection compétition – même s’il est formellement hors compétition.
Colo
Le film se situe dans un Portugal dévasté par la crise économique qui touche de plein fouet les familles de la classe moyenne. Derrière les emplois détruits, il y a des individus et des familles détruits. C’est ce que nous montre Colo à travers une famille qui malgré tous ses efforts s’enfonce de plus en plus dans la crise – économique, personnelle, familiale. Le père qui a perdu son emploi passe son temps sur le toit de l’immeuble à contempler l’horizon de manière d’autant plus figée qu’il se trouve mentalement dans un tunnel dont il ne voit pas le bout. La mère rentre le soir épuisée des deux travails qu’elle enchaîne mais qui pourtant ne suffisent pas à entretenir sa famille qui, par conséquent, entame jour après jour les dernières économies. La fille adolescente, comme tous les adolescents, fait aussi sa crise mais surtout se demande avec quel argent elle va acheter son abonnement de bus.
La dynamique familiale se grippe, l’adversité change les protagonistes. Tout le monde semble d’une manière ou d’une autre déséquilibré et malade, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Cette crise familiale est vraiment en miroir à la crise de toute une société en proie à la crise financière. Teresa Villaverde déplore justement qu’à toutes ces crises s’ajoute « la crise européenne qui a perdu son esprit de solidarité entre ses pays membres. Quelques États du nord imposent leurs règles aux pays du sud et la démocratie en pâtie. » Elle ajoute qu’il faut continuer à croire en la démocratie « mais que ce n’est pas suffisant. Nos démocraties sont de moins en moins participatives. Les gens vont au mieux voter, mais après ils ne s’impliquent plus alors que les partis d’extrême-droite reviennent en force. Il faut être très vigilant ! »
Il est difficile de faire une critique équilibrée sur un film qui traite d’un sujet si grave et si prégnant, surtout quand l’intention de la réalisatrice est si sincère et de bonne volonté. Pour rester tout de même honnête, car le cinéma ce ne sont pas que des intentions, le film a de nombreux défauts, même s’il a de bonnes qualités artistiques dans l’éclairage et le cadrage. Outre sa longueur qui ne se justifie pas vraiment, l’histoire prend des chemins de traverses inutiles qui ajoutent des éléments narratifs dont on ne comprend pas vraiment les tenants et aboutissants. Teresa Villaverde est réalisatrice, scénariste, productrice et productrice exécutive de son film. C’est peut-être un peu trop pour avoir le recul nécessaire sur son œuvre. Mais surtout, Colo est beaucoup trop déprimant et désespérant. Il n’est pas toujours nécessaire d’accabler le spectateur pour l’amener du bon côté de l’histoire que l’on veut lui raconter…
De Teresa Villaverde ; avec João Pedro Vaz, Alice Albergaria Borges, Beatriz Batarda, Clara Jost, Tomás Gomes, Dinis Gomes; Portugal, France; 2016; 136 minutes.
Retour à Montauk (Return to Montauk)
Ce nouveau film de Volker Schlöndorff était attendu, et comme bien souvent, quand l’attente est trop grande, la déception n’en est que plus profonde.
Schlöndorff connait bien l’écrivain suisse Max Frisch dont il avait adapté le roman Homo Faber en 1991 pour une réception mitigée de la part de la critique. Avec ce nouvel essai, la critique risque d’être plus assassine, car plus que de l’univers de Max Frisch, c’est une partie de la vie de Volker Schlöndorff que l’on retrouve dans ce film. En soit, rien de répréhensible, mais le manque de distance rend l’histoire absconse, les choses semblent forcées et nous avec. On ne sait pas trop si les parts d’ombre du récit sont censées être le motif d’une ambiance ou une manière de se cacher et se protéger. Pas besoin de tout révéler pour attirer les gens dans une histoire, le pouvoir de suggestion suffit et c’est même le propre du cinéma. Mais ici, vraiment, on ne comprend pas grand-chose. Bien évidemment, pour faire de bons films, il n’y a pas forcément besoin non plus d’une histoire compréhensible si le propos, comme cela semble le cas ici, est d’exprimer un sentiment : celui d’un regret de toute une vie. Mais dans ces cas-là, on travaille justement l’ellipse et les personnages pour transmettre une sensation. Schlöndorff semble ne pas arriver à se décider : raconter une (enfin son) histoire ou dépeindre ce chagrin qui ne passe pas. Un autre élément dérangeant est la musique du film, qui officie comme une partie narrative, une sorte de sous-texte. Même si cela plaira à certains, cette « touche » étant tendance en ce moment – présent dans Manchester by the Sea ou Jackie par exemple. C’est crispant au possible, cela endort les sens et tente de guider la perception du récit, anesthésier le libre-arbitre.
L’écrivain Max Zorn arrive à New York pour une tournée de promotion de son dernier roman. Dès la fin de sa première lecture, on le sent gêné, voire apeuré. Cette ville, manifestement, recèle un secret qui le concerne, et ce secret ne semble pas léger à porter. Dans son roman, Max raconte l’amour passionnel qu’il a vécu dans cette ville il y a 17 ans. Walter (Niels Arestrup), un vieil ami et mentor richissime vient le voir sur le lieu de sa première lecture. Cette apparition semble plus menaçante que prometteuse de bonnes retrouvailles. Le jeu de ce personnage trouble rend possible la rencontre de Max avec Rebecca, la femme dont il est question dans le livre, qui a définitivement tourné le dos à l’Allemagne de l’est dont elle est originaire. Elle est devenue une avocate de renom et nage dans le confort financier en compagnie de ses deux chats dans un immense appartement new-yorkais aseptisé. Une chose en entraînant une autre, Max et Rebecca vont se retrouver ensemble dans le petit village de pêcheurs situé au bout de Long Island, Montauk, dans lequel jadis ils avaient passé des moments de bonheur. C’est l’hiver à Montauk, et bien qu’ils aient encore un bout de chemin de vie devant eux, c’est également l’hiver pour ce qui un jour a été un couple.
Le caractère de Max – parfaitement incarné par l’acteur suédois Stellan Skarsgård – n’est pas sympathique, et s’il faut reconnaître une qualité à Schlöndorff, c’est son honnêteté vis-à-vis de son personnage : Max c’est littéralement lui et si les autres protagonistes de l’histoire ont de nombreux contours flous, il ne cache rien de ses propres faiblesses, de son égotisme, de sa lâcheté.
Il y a quelque chose de crépusculaire dans ce film, c’est peut-être aussi un élément qui laisse, une fois le rideau redescendu sur l’écran, un léger sentiment de malaise. On aimerait tellement voir encore des films de ce réalisateur qui a laissé à plusieurs générations d’amateurs de cinéma qui a vu Le Tambour une marque traumatisante, pour la majorité d’entre eux, une aversion pour les anguilles…
De Volker Schlöndorff ; avec Stellan Skarsgård, Nina Hoss, Susanne Wolff, Niels Arestrup; Allemagne, France, Irlande; 2017; 106 minutes.
El Bar (hors compétition)
Comment bien commencer un film d’horreur ? En général avec une scène d’ouverture tout à fait banale, qui n’a l’air de rien si on est entré par hasard dans cette salle de cinéma qui va se transformer en scène de terreur ! Álex de la Iglesia ne déroge pas à la règle, si ce n’est qu’il ajoute une belle maestria dans sa manière de jongler avec la présentation des personnages avec lesquels nous allons vibrer et souffrir. Enlevée, quasi bucolique, les personnages se croisent et décroisent sur une place populaire de Madrid pour finir par se retrouver dans LE bar. Les personnages sont comme il se doit typés pour que la comédie gore puisse fonctionner. Et cela fonctionne ! Tout à coup, un homme est abattu à la sortie du bar. Puis un deuxième lorsqu’il tente de porter aide au premier. Les autres s’enferment dans le bar. Ils ne peuvent appeler personne, leurs téléphones n’ayant soit plus de signal soit plus de batterie. Lorsqu’ils se rendent compte que la place et les rues se sont vidées, que les deux corps abattus ont disparu, leur imagination, encouragée par la peur, échafaude toutes sortes d’explications, allant de la théorie du complot à l’attaque terroriste (deux fois les attentats de Paris sont mentionnés) en passant par l’idée de ne pas être dans la réalité mais dans un rêve. Un des protagonistes est un sans-abri nommé Israel qui va accompagner la descente aux enfers de ses compagnons de mésaventure par des citations incessantes de l’Apocalypse.
Pour les adeptes du genre, un bon moment garanti dans ce voyage dans les égouts du comportement humain ou seuls les instincts sont capables de sauver de l’enfer.
D’Álex de la Iglesia ; avec Blanca Suárez, Mario Casaa, Carmen Machi, Secun de la Rosa, Jaime Ordóñes, Terele Pávez, Joaquin Climent, Alejandro Awada ; Espagne ; 2017 ; 102 minutes.
Malik Berkati, Berlin
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